La «moubadara» et le rapport de force

La «moubadara» et le rapport de force

Abassi Madani lance son «initiative» de paix

Le Quotidien d’Oran, 17 janvier 2004

Annoncée depuis septembre dernier, l’initiative de paix de Abassi Madani a é té présentée, jeudi à Doha, lors d’une conférence de presse.

Accessible en trois langues sur un site Internet (http://www. moubadara. net), la «moubadara» du président de l’ex-FIS emprunte au FFS sa revendication majeure de toujours: l’élection d’une assemblée constituante ainsi que la demande de report des élections présidentielles. « Intertextualité», «plagiat» ou «parasitage» du FFS qui entend reprendre l’ initiative dans les prochains jours, le fait est que la constituante est l’ é lément le moins attendu dans l’initiative de Madani.

«L’initiative populaire nationale», tel est son nom officiel, comprend un appel à l’arrêt des combats et des violences, »y compris celles du pouvoir» à partir de l’Aïd Al-Adha, la levée de l’état d’urgence, l’amnistie générale, des garanties pour le retour des exilés, un report des élections présidentielles et l’élection d’une assemblée constituante. Le président de l’ex-FIS ne s’inscrit en tout cas pas dans l’échéance présidentielle qui, dit-il, «ne résoudra pas le problème de l’illégitimité du régime actuel». « Comment des élections peuvent-elles être libres, transparentes alors que l’ é tat d’urgence impose aux Algériens ce qu’ils n’aiment pas», a déclaré Abassi Madani, pour qui le régime est définitivement corrompu. La seule solution, indique-t-il, est d’aller vers «une nouvelle république selon les prescriptions de l’appel du 1er Novembre 1954 et les exigences et les défis du siècle», une nouvelle république qui doit permettre au peuple «de recouvrer ses acquis confisqués et sauvegarder les intérêts des générations futures».

L’alternative pour l’Algérie, «c’est la somalisation ou la solution globale», a-t-il dit, en évoquant, en cas de rejet de la part du pouvoir, une démarche civique selon le modèle géorgien. Prenant les devants, il a qualifié une telle démarche de «position civique» en rejetant le concept de « désobéissance civile», qui, a-t-il dit, ne cadre pas avec la situation algérienne. Il a en même temps exclu une dérive vers la violence, comme cela est arrivé en juin 1991. Encore une fois, le chef de l’ex-FIS est resté muet sur les autres personnalités qui parrainent son initiative. Anouar Heddam, qui a rejoint le CC-FIS de Mourad Dhina, a avoué sur la chaîne Al-Jazira qu’ il s’agissait d’une «initiative personnelle» de Abassi Madani et que «le bureau exécutif» se réunira pour prendre position.

«Initiative personnelle», le mot est sans doute approprié. On peut ajouter aussi initiative médiatique, dont l’effet politique laisse circonspect. En s ’é tablissant Doha, d’où il a lancé son initiative, Abassi Madani s’est assuré une large couverture médiatique internationale. Mais l’incidence politique de l’initiative risque d’être sans rapport avec cet intérêt médiatique. En s’exilant, Abassi Madani échappe aux interdits politiques et civiques qui pesaient sur lui en Algérie, tout comme sur Ali Benhadj, mais cette marge ne modifie pas le rapport de force. L’initiative de Abassi Madani paraît décalée ou être venue trop tard pour recevoir des échos au sein du pouvoir. La donne sécuritaire ainsi que la donne politique – en dépit du fait que la présidentielle soit un moment de forte tension pour le régime — ne semblent guère favorables à la levée du veto contre l’ex-FIS. Sans doute, Abassi Madani en est-il conscient, d’où son insistance à dire que l’initiative n’est pas celle du FIS. Mais cela ne change pas fondamentalement les choses.

Du côté du pouvoir, le verrou politique est mis sur le FIS et ses dirigeants. Et du côté de la société, même en supposant que le FIS a conservé des soutiens, la décennie de sang se termine par une si puissante désaffection – pour ne pas dire aversion – à l’égard de la politique, que l’ on voit mal comment cette initiative pourrait déboucher sur un scénario géorgien.

K. Selim