Hamrouche met la pression
En refusant d’être candidat aux présidentielles
Hamrouche met la pression
Le Quotidien d’Oran, 16 février 2004
Soumis à une forte pression pour être candidat, Hamrouche rejette la balle dans le camp adverse. En mettant la pression sur Lamari, Bouteflika, Taleb et Benflis.
En décidant de ne pas se porter candidat aux élections présidentielles d’avril prochain, Mouloud Hamrouche a mis la pression sur de nombreux partenaires aux ambitions et aux projets contradictoires. De Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée, à Ali Benflis et Ahmed Taleb Ibrahimi, les candidats les plus en vue encore en lice, et jusqu’au président Abdelaziz Bouteflika, personne ne peut désormais occulter la décision de Hamrouche, tant ses implications sont nombreuses.
Mohamed Lamari se trouve, par la force des choses, une nouvelle fois en première ligne. Lui qui avait affirmé et réaffirmé le retrait de l’armée de la scène politique, ne peut rester indifférent à l’équation posée par Mouloud Hamrouche. Celui-ci a déclaré avoir pris acte de la déclaration du chef d’état-major de l’armée, mais dans le même temps il note que les mécanismes d’une élection non démocratique sont mis en place. Que s’est-il passé dans l’intervalle ? Hamrouche affirme: je n’ai pas de réponse, mais des lectures.
Selon la première lecture, il y a eu une remise en cause de la décision de l’armée de se retirer de la scène politique. Pourquoi, comment, par qui ? Il ne le sait pas, mais il déclare que les Algériens ont le droit de savoir ce qui s’est passé. Selon la deuxième lecture, l’armée s’est effectivement retirée de la scène politique, mais un autre groupe (clan, ‘issaba) a pris la place de l’armée dans la prise de décision, notamment en cooptant un président de la République et en essayant de l’imposer aux Algériens le 8 avril prochain. Cette hypothèse met évidemment Lamari dans l’embarras, car elle suppose que les grands principes énoncés par le chef d’état-major de l’armée, comme la liberté des élections et la démocratie, ne sont pas respectés.
Sur ce terrain, Mouloud Hamrouche ne fait pourtant que reprendre une analyse qui avait défrayé la chronique il y a sept ans. Il avait alors affirmé que l’armée n’exerçait pas le pouvoir, détenu en fait par des clans qui utilisent l’armée à leur profit. Celle-ci sert de simple couverture à des clans, qui contrôlent les réseaux d’influence, le monde des affaires et ont réussi à étendre leur pouvoir jusqu’à la nomination du chef de l’Etat et du gouvernement. Cette analyse ne donne pas toutes les réponses. Elle laisse notamment une grande question en suspens: vers où s’est déplacé le centre du pouvoir réel aujourd’hui ? Chacun a sa petite idée, avec des réponses parfois contradictoires, qui se rejoignent sur un point: si on admet cette hypothèse, on admet forcément que le poids de l’armée dans la gestion des affaires du pays a beaucoup diminué. On ne sait s’il faut s’en féliciter, si des groupes occultes ont remplacé l’armée.
Abdelaziz Bouteflika doit, de son côté, accueillir cette hypothèse avec beaucoup de prudence. En l’état actuel des choses, il apparaît comme le grand bénéficiaire du recul de l’armée. Aucune force ne semble en mesure de le contrer. Il est en train de s’installer comme le centre du nouveau pouvoir, après avoir clairement affirmé qu’il refusait d’être un «trois quarts» de président.
Cela n’a cependant rien de rassurant pour lui. On ne peut gérer un pays de cette manière sans prendre de risques inconsidérés. Il y a les risques de l’échec, d’un côté, mais surtout les risques qu’on encourt face aux autres partenaires. Et d’abord l’armée. Celle-ci peut-elle se résigner à voir son pouvoir rogné en faveur d’un groupe, alors que la gestion des années 1990 lui est essentiellement imputée, avec tout le passif qu’elle comporte. D’autre part, Bouteflika sait également que la décision de Mouloud Hamrouche de ne pas se présenter risque d’avoir un effet boule de neige sur les autres candidats. Avec le risque de répétition du scénario de 1999. Or, Mohamed Lamari a précisément déclaré que la répétition de ce scénario montrera que l’élection n’est pas crédible, et a promis d’en tirer les conséquences. Il sera attendu au tournant.
Bouteflika doit donc manoeuvrer avec une certaine habileté pour donner un minimum de crédibilité au prochain scrutin. La présence de deux candidats, Ali Benflis et Taleb Ibrahimi, lui est donc vitale. Les autres candidats potentiels apparaissent d’ores et déjà comme de simples lièvres, tant leurs chances de succès sont nulles, même si certains entrent dans la compétition pour d’autres objectifs, comme de se redonner une certaine crédibilité ou roder leurs appareils politiques.
On se retrouve dès lors face à un nouveau paradoxe: ce sont les deux principaux rivaux théoriques de Bouteflika encore en course, Benflis et Taleb, qui peuvent aujourd’hui le faire élire «correctement» ou lui enlever tout crédit. En maintenant leur candidature, sans aucune chance de l’emporter, ils garantiront au chef de l’Etat ce minimum de crédibilité qui lui permettrait de s’engager tranquillement pour un second mandat. A l’inverse, en se retirant, ils le laisseront face à Ali Zeghdoud, dans une compétition absurde ou le perdant aura plus d’honneur que le gagnant. C’est dire toute la pression qui pèse désormais sur Taleb et Benflis.
Le premier possède l’autonomie et l’envergure nécessaires pour prendre la décision qui lui apparaîtra la plus opportune. Il a montré suffisamment de lucidité pour savoir que les jeux sont faits. Il lui est désormais difficile d’aller à une élection où il risque d’apparaître comme un simple lièvre. D’autres personnes sont mieux armées pour jouer ce rôle. La position de Benflis est plus délicate. Le secrétaire général du FLN peut être tenté par une participation ayant un autre objectif que de se faire élire. Il peut aussi passer un deal pour la période post-électorale, ou être emporté par une logique partisane qui le forcerait à maintenir sa candidature, en vue de se présenter comme le plus grand concurrent du chef de l’Etat.
On ne sait pas, par ailleurs, quelle est sa marge d’autonomie par rapport aux vrais centres de décision. Peut-il, par exemple, opter pour le retrait et s’accrocher à cette décision si les vrais «décideurs» font pression sur lui pour qu’il maintienne sa candidature ? Peut-il affronter ce pouvoir de l’ombre, plus présent que jamais ? On le saura dans quelques semaines. Mais on sait d’ores et déjà que l’avenir de l’Algérie se joue encore dans l’ombre. Pas dans l’urne.
Abed Charef