Entretien avec Ahmed Ouyahia, premier ministre algérien
Entretien avec Ahmed Ouyahia, premier ministre algérien
Le Monde, 22 janvier 2004
A trois mois d’un scrutin présidentiel, le chef du gouvernement affirme qu’il sera transparent.
Plusieurs candidats à l’élection présidentielle d’avril réclament votre départ et la démission du gouvernement. Si vous restez, disent-ils, il ne pourra pas y avoir de scrutin libre et transparent.
Ils sont libres de dire ce qu’ils veulent. Sachez que je n’ai pas l’intention de présenter ma démission. D’autant que, lorsque, il y a moins de dix mois, j’ai exposé mon programme de politique générale, il comportait l’organisation d’une élection présidentielle libre, transparente et loyale.
Quelles garanties pouvez-vous offrir ?
Lundi 19 janvier, la majorité des députés de l’Assemblée populaire nationale ont voté une révision de la loi électorale, qui complète des instructions présidentielles déjà existantes. Toutes les conditions sont donc réunies pour une élection présidentielle transparente : la surveillance des bureaux de vote par les représentants des candidats, leur présence au dépouillement, le droit d’obtenir une copie du procès-verbal du plus petit des bureaux de vote, la communication des listes électorales, la disparition – bienvenue – des bureaux « spéciaux » -dans les casernes et les postes de police-. On ne peut pas faire mieux. Mais il faut que toutes les parties jouent le jeu : l’administration, qui s’engage à veiller au respect de la loi et à la transparence du scrutin, et les candidats. Or il y a un manque de confiance, ancien. Certains partent à la bataille avec la conviction que les dés sont pipés, peut-être parce que le pluralisme démocratique est une notion récente pour nous. La nouvelle loi accorde des garanties supplémentaires. Que l’on ne nous fasse pas de procès d’intention. Une élection truquée ne servirait ni le candidat élu ni le pays.
Vos adversaires vous reprochent votre mainmise sur la télévision.
Je n’ai donné aucune instruction à la télévision. Y a-t-il un seul parti politique qui ait été privé de couverture médiatique ? Qu’on m’en apporte la preuve. Nous ne sommes pas encore en campagne électorale et pourtant des responsables de parti tiennent des réunions, organisent des rencontres. La télévision couvre leurs activités, sans traitement de faveur. Et, lorsque la campagne électorale sera lancée, tous les candidats seront logés à la même enseigne.
Des journalistes de presse écrite font actuellement l’objet de poursuites judiciaires. On parle d’acharnement. C’est parce qu’ils ne vous ménagent pas ?
Je peux en parler à l’aise. Ministre de la justice en 2000, j’ai été l’artisan de la libéralisation du code pénal sur ces questions de presse, et j’en suis fier. Les amendes ont été préférées aux peines de prison. A quand remonte l’embastillement d’un journaliste dans ce pays ? A des années ! Je n’ai jamais empêché un journaliste de critiquer le pouvoir. Au contraire, au cours de mes rencontres, j’ai toujours poussé la presse à critiquer le président de la République et le gouvernement. Mais je leur ai dit aussi : « N’insultez pas. » Ici comme ailleurs, l’insulte ne peut pas être admise. C’est une culture à acquérir. J’invite, encore une fois, la presse à mettre en place son code de déontologie.
Lors de l’élection, en avril, seriez-vous prêt à accepter la présence d’observateurs extérieurs ?
La question n’a pas été posée. Et même si, par le passé, nous avons accueilli des observateurs, doit-on toujours considérer que nous sommes incapables de nous assumer ?
Il y a quelques jours, dans un message qui a beaucoup agité la classe politique, l’armée algérienne annonçait qu’elle n’était pas indifférente au scrutin. Comment analysez-vous ces propos ?
Depuis plus d’un an, l’armée n’en finit pas d’énoncer une évidence : elle n’est pas le laboratoire où l’on fabrique les dirigeants. L’armée est neutre. C’est ce que vient de rappeler le chef d’état-major, le général Mohamed Lamari. Il a dit aussi que l’élection est du ressort des candidats en compétition, qu’elle doit être transparente – un vœu partagé par tous – et enfin que l’armée veillera, si besoin, au respect de l’ordre démocratique et républicain. Chacun peut en faire la lecture qu’il veut, ce n’est pas mon rôle de chef du gouvernement. J’ajoute que je suis fier de notre armée, de tout ce qu’elle a accompli, ces dernières années. Elle a sauvé l’ordre républicain, et, si nous avons un rendez-vous électoral, c’est grâce à elle. Mais, pour la gestion des affaires du pays, nous avons une Constitution. Elle est claire. Il revient au politique de faire en sorte que les compétitions électorales se déroulent normalement, sans atteinte à l’ordre public. Cessons de considérer que l’armée est un arbitre. S’il y a une crise politique, il y a un Parlement. Il peut démettre le chef de l’Etat. Pour le reste, nous avons des élections. C’est au peuple de trancher.
Vous n’avez pas été tenté de vous présenter ?
Il y a un tel encombrement… Ce n’était pas la peine d’allonger la liste des candidats. Je pense que je sers mieux ce pays au poste qui est le mien qu’en participant à cette galopade.
Propos recueillis par Jean-Pierre Tuquoi