L’Algérie réelle, les programmes complémentaires et l’armée

LE STAFF PRESIDENTIEL PRESENTE LE BILAN BOUTEFLIKA

L’Algérie réelle, les programmes complémentaires et l’armée

Mounir B., Le Quotidien d’Oran, 21 février 2004

Quel bilan politique pour le président Bouteflika ? Le staff politique du futur candidat affûte ses arguments en cultivant à traits forcés l’Algérie d’avant et d’après Bouteflika depuis 1999. Exercice de communication délicat, tant il y a eu plusieurs Bouteflika depuis le début du premier mandat.

Dans l’ancien immeuble du ministère des Affaires étrangères, annexe de la Présidence de la République, Abdelkader Ziari et Abdelhamid Temmar, conseillers spéciaux du président Bouteflika et anciens ministres, ont exposé les grandes lignes du bilan politique et économique du président, prémices au programme de candidature de Bouteflika qui va annoncer, demain, son intention de briguer un second mandat.

Il serait aisé de reprocher au staff présidentiel d’organiser une rencontre avec la presse dans un bâtiment officiel afin d’exposer le bilan du futur candidat ou de «l’actuel président». Dans cette nuance se logent souvent «les faux procès», dixit Ziari, d’un Bouteflika à qui l’opposition reproche, à tort ou à raison, d’être protagoniste et arbitre des élections d’avril 2004.

Les conseillers du président ont ainsi brisé le carcan dans lequel semble s’être volontairement enfermé le président. «Le président a fait l’objet des attaques les plus viles. Il a été la cible d’une campagne qui n’a rien à voir avec la pédagogie politique qui reflète une manière pas du tout noble des règles du débat. Qu’a-t-il fait ? A-t-il répondu ? Non. Il n’a pas dit un mot», explique l’ancien ministre des Relations maghrébines et ex-membre du FLN. Le staff présidentiel revendique un débat «serein et responsable» qui devrait éviter «les aspects politicards et les règlements de comptes».

Forts de l’accueil populaire que reçoit le président lors de ses déplacements à l’intérieur du pays, les conseillers du président expliquent la démarche d’un président qui marche 3 km par jour et fait 30 points de visite quotidiens à l’intérieur du pays. «Les gens qui étaient au départ, en 1999, contre le président sont toujours en 2004 contre ce président. Ce n’est pas nouveau. Le président a décidé d’aller vers l’Algérie réelle, celle qui vote, qui a la possibilité de juger les faits. Plus la campagne contre lui se durcit avec des propos violents et des réactions haineuses, plus on a le sentiment que le président est jugé positivement par son peuple et plus il a de la chance d’être réélu. Bouteflika préfère un débat politique serein et digne. Un bilan, c’est d’abord ce qui a été fait», indique Abdelkader Ziari.

L’Algérie réelle contre l’Algérie utile

Comment expliquer les déplacements du président hors campagne électorale ? Le staff présidentiel décrit un président qui «a une autre façon de faire de la politique» et parlent de ses «impulsions personnelles qui ont dicté cette volonté d’injecter de l’argent dans le développement local contre l’avis d’experts». Car, pour Bouteflika, il y a eu «l’Algérie utile» d’avant 1999 contre «l’Algérie réelle» de 2004, comme Jean-Pierre Raffarin en France avant inventé le concept de «la France d’en bas». Depuis, 7 milliards de dollars ont été distribués dans le cadre des programmes complémentaires, «qui n’ont pas de côté spectaculaire», admettent ses conseillers, mais qui sont visibles. Logements, écoles, hôpitaux, routes, infrastructures de base sont construits pour traduire le thème de ces déplacements présidentiels. »Ce n’est pas je vais vous faire, mais je vous ai fait ! Le président rend compte aux populations et pas aux cénacles et aux appareils. C’est une manière de faire de la politique qui consiste à concrétiser des projets et à ne pas faire des promesses. C’est le but de ces tournées. Avant, ça aurait été du vent», insiste Ziari.

Alors que la décantation de la campagne s’accélère, le staff présidentiel se fait plus offensif. Timidement. L’image du président n’est pas au mieux, paraît-il, mais où et auprès de qui ? «Bouteflika dérange des groupes d’intérêts qui ne sont pas forcément à des hauts degrés de responsabilité mais qu’on retrouve dans le circuit étatique, économique et affairiste. Ce sont les profiteurs de guerre. Ceux qui veulent que la situation d’opacité perdure». Ziari se garde d’identifier ces «groupes d’intérêts», respectant le leitmotiv présidentiel de ne pas répondre à ses adversaires.

On lui reproche ce côté messianique de la concorde civile. Réponse: »Le président est venu dans une atmosphère de crise politique en 1999. Les courants extrémistes étaient dominants, l’Algérie était soumise à de véritables enquêtes internationales, comme la mission Suarès et la troïka européenne. On souffrait d’isolement international et on nous reprochait des atteintes aux droits de l’homme. Le coup de génie de Bouteflika est d’avoir compris que le retour à la paix est la conjonction d’une action politique, économique et sécuritaire. La concorde civile implique qu’on était prêts à pardonner sans se laisser abuser et que le peuple, en adoptant le texte, a donné leur légitimité aux forces de sécurité à qui des ONG demandaient des comptes sur le thème de Qui tue qui ?».

La réconciliation nationale pour le second mandat

Cinq ans de concorde civile ont-ils pour autant endigué le terrorisme ? Pour le staff présidentiel, depuis 1999, le bilan des victimes du terrorisme est de 5.500 personnes, 700.000 personnes, sur le 1,1 million d’Algériens qui ont déserté leurs maisons à cause de l’exode dû au terrorisme, sont revenues chez elles, les groupes terroristes ne bénéficient plus de logistique et de la sympathie de la population et n’ont plus d’alibi politique. Mais les conseillers du président préfèrent plaider pour le «prolongement institutionnel» de la concorde civile, qui aura permis «la stabilité de l’Etat algérien qui ne s’est pas disloqué mais renforcé».

Mais après 5 ans d’exercice, Bouteflika, qui a axé sa première campagne sur le personnage de «rassembleur», n’est-il pas devenu «le diviseur» de la classe politique ? Ziari confesse qu’il a «peut-être divisé ses adversaires mais pas ses alliés». Il en veut pour preuve qu’il avait rassemblé, au départ, des forces aussi diverses que le RCD «laïcisant», le Hamas «fondamentaliste» dans une même coalition, avant que ça n’éclate. «Vous verrez qu’il va réunir et rassembler plus de forces syndicales, politiques et sociales que lors de la première investiture», promet Ziari.

Mais la seconde investiture sera-t-elle placée sous le générique de la réconciliation nationale, qui ne semble pas avoir de contenu probant, de texte et de substance politique ? En ancien médecin, Ziari explique que si «la concorde civile a permis d’arrêter l’hémorragie et de suturer la plaie, la réconciliation nationale permettra de cicatriser la blessure et de guérir le malade». Avant d’ajouter: »Je ne vois pas quel est l’Algérien, hors les politiciens, qui peut être contre la réconciliation nationale», qui suppose, pour certains des détracteurs du président, une alliance avec l’islamisme. Veut-on créer des ruptures définitives dans la société ?», se demande Ziari.

Normaliser la relation avec l’armée

Des ruptures qu’une partie de la classe politique impute aux divergences supposées entre le président Bouteflika et l’état-major de l’armée. »Il faut sortir de ce fantasme et des mythes. C’est avec l’ANP que les relations du président ont été les plus claires et les plus saines. L’ANP a eu à se moderniser et a reçu tous les budgets en conséquence dans le respect de la relation institutionnelle. Cette fantasmagorie des divergences entre le président et son armée vient d’où ? Des mêmes cercles qui voulaient maintenir l’armée dans le «Qui tue qui ?» Qui, avant l’arrivée du président, qui, durant cinq années, a tenté de sortir l’ANP de cette propagande véhiculée contre elle ? Le président et l’armée ont d’excellentes relations et leur renforcement ne peut que consolider les institutions de la République qui permettent le retour à la cohésion nationale, aussi bien chez le citoyen que chez l’officier ou le politique», explique Ziari.

Ainsi, le staff présidentiel affûte les prochains arguments de campagne de Bouteflika, là où l’attendent ses adversaires. Sur la Kabylie, les réformes de l’éducation, la justice, l’Etat, le statut de la femme ou les libertés collectives. Pour tous ces sujets qui auront un prolongement au-delà d’avril 2004, le candidat Bouteflika revendiquera probablement du temps. Un peu plus de temps pour mener à terme une stratégie politique qui fait dire à ses conseillers que Bouteflika «n’ouvre pas des fronts mais des chantiers», comme «il ne part pas en guerre mais il construit».

Mounir B.