Rachid Benyellés : “Il faut faire barrage à Bouteflika”

Rachid Benyellés : “Il faut faire barrage à Bouteflika”

Par Rachid Benyellès Liberté, 28 mars 2004

Lors de ma conférence de presse du 21 décembre 2003, j’avais annoncé que mon premier objectif en m’engageant dans la course à la présidence était “d’empêcher Bouteflika de continuer à sévir contre le pays”. Cet objectif reste plus que jamais prioritaire. C’est pourquoi j’appelle les électeurs à voter pour les candidats qui lui sont réellement opposés, en privilégiant MM. Ali Benflis et Saïd Sadi, les deux candidats appartenant au groupe antifraude.
Je me suis retiré de la course présidentielle, parce que je ne pouvais plus supporter que les citoyens qui m’avaient accordé leur confiance, nombreux à travers le pays, continuent à subir les contraintes des agents de l’administration, manifestement instruits par leur tutelle qui tenait à m’éliminer en refusant tout bonnement de procéder à la légalisation des signatures apposées sur les formulaires pourtant dûment remplis.
À l’évidence, l’administration, tout comme le gouvernement et les institutions concernées par l’élection présidentielle d’avril 2004, n’ont pas été neutres. Leur parti pris en faveur de Bouteflika était avéré et flagrant. Il en sera vraisemblablement de même tout au long de cette élection. Est-ce pour autant une raison suffisante pour baisser les bras, se désintéresser du prochain scrutin ou le boycotter ? Certainement pas, surtout dans un régime aussi branlant que celui de Bouteflika, où les retournements les plus inattendus peuvent intervenir à tout moment et jusqu’en dernière minute. Un sursaut citoyen est possible. Il faut y croire et s’y consacrer pour convaincre les électeurs que l’abstention ou le boycott font le jeu de Bouteflika ; que leur devoir est de voter en masse pour lui barrer la route et le chasser du pouvoir, par les urnes.
Le code électoral algérien, contrairement à ceux en vigueur dans de nombreux pays dans le monde, ne fixe pas de seuil minimum de participation pour la validation d’une élection. Il suffit donc à un candidat d’obtenir 50% des suffrages exprimés, plus une voix supplémentaire, pour être déclaré vainqueur et cela, quel que soit le taux de participation. Lors des élections législatives et locales précédentes, ce taux avoisinait les 40%. Il risque d’être encore plus faible en avril 2004, en raison notamment, de la suppression des bureaux de vote spéciaux où plus d’un million d’électeurs allaient aux urnes, en ordre serré, pour y déposer un bulletin.
Dans l’hypothèse d’une désaffection semblable à celle des précédents scrutins, il suffirait donc au candidat d’obtenir 3 600 000 + 1 voix (c’est-à-dire 50% des 40% des suffrages exprimés par un corps électoral évalué, par le ministère de l’Intérieur, à près de 18 millions d’électeurs) pour être déclaré vainqueur au premier tour !
La question que doivent se poser ceux qui considèrent que la reconduction de Bouteflika serait une catastrophe pour le pays, est celle de savoir si ce candidat qui se comporte en roi médiéval, est en mesure d’obtenir ce volume de voix. La réponse est malheureusement, oui, si les électeurs continuent à afficher le même désintérêt pour cette élection et s’ils suivent le mot d’ordre de boycott que certains mouvements agitent en Kabylie. Dans ces conditions, Bouteflika pourra toujours compter sur les Algériens trompés par la propagande des médias publics lourds qui n’ont cessé de le glorifier depuis des mois, surtout ceux qui ont peur de perdre leur emploi, sur les électeurs, notamment, dans le monde rural, pour lesquels il demeure le symbole de l’état comme il pourrait compter sur les confréries religieuses qui chantent ses louanges, les repentis et assimilés, les courtisans, les opportunistes et autres parasites.
Bouteflika dispose d’un réservoir de voix constitué par tous ces électeurs sensibles au mythe du chef civil et militaire tout puissant, celui qui distribue l’argent du pays, achète les allégeances, nomme et dégomme. L’impact de ce réservoir sur le résultat du scrutin dépend directement du taux de participation. Avec 60% de participation, la victoire au premier tour suppose l’obtention de 5 400 000 + 1 voix, au lieu des 3 600 000 + 1 citées précédemment, ce que Bouteflika ne peut atteindre, sauf à manipuler outrageusement les résultats. Un deuxième tour s’imposerait alors. Plus conforme à la réalité politique du pays et moins humiliant pour les Algériens, ce deuxième tour sera fatal à Bouteflika qui aura à affronter un électorat majoritairement hostile qui se mobilisera à coup sûr en la circonstance.
C’est en Kabylie que risquera en définitif de se jouer le sort de Bouteflika, car de tous les candidats en lice, il est celui dont l’impopularité est la plus grande, à cause d’une part, de la légèreté des appréciations qu’il s’est permis de porter sur nos compatriotes de cette région, et d’autre part, de son comportement irresponsable tout au long de la crise née de l’assassinat du jeune Massinissa Guermah et de la centaine de morts qui s’en est suivie. Si les quelque trois millions d’électeurs de cette région (sans compter les émigrés) venaient à participer de manière significative au prochain scrutin, nul doute qu’ils voteraient unanimement contre lui. a contrario, une participation faible, où le boycott a fortiori, serait tout bénéfice pour lui. Il a donc tout à gagner à voir cette région prendre le chemin d’un boycott massif qui neutraliserait les voix de ses électeurs, diminuerait d’autant le nombre de suffrages exprimés et favoriserait grandement sa victoire au premier tour. Les électeurs de Kabylie doivent prendre conscience que la crise qui affecte leur région depuis si longtemps ne peut être résolue qu’avec un changement à la tête de l’État et que ce changement, salutaire pour tout le pays, dépend largement d’eux. Ils doivent voter, ne serait-ce que pour imposer un deuxième tour qui permettra à leurs représentants de négocier en position de force.
Ceux qui, en Kabylie, font campagne en faveur du boycott, prennent une lourde responsabilité. Ils deviennent, qu’ils l’admettent ou pas, les alliés objectifs de celui qui, trois années durant, n’a cessé de les ignorer, de tergiverser, de susciter leur division et de dresser contre eux les citoyens des autres régions du pays.
En avril 2004, un rendez-vous crucial nous attend. Plus que jamais l’avenir de l’Algérie sera en jeu. Notre avenir, celui de nos enfants.
Face à la menace qui pèse sur notre destin et malgré les appréhensions quant à la régularité du prochain scrutin, il ne faut surtout pas manifester son indignation et sa désillusion en s’abstenant de voter ou en boycottant le prochain scrutin, mais au contraire, réagir en imposant la volonté populaire par les urnes. Rien, ni personne ne pourra s’opposer à celle-ci lorsqu’elle sera exprimée par des millions d’Algériens.
Nous, citoyens et citoyennes de ce pays, pouvons, ou nous ressaisir et décider de nous engager dans la voie salvatrice du changement, ou abdiquer devant le fait accompli. Nous pouvons, ou redresser la tête, reprendre confiance en nous-mêmes et influer positivement sur le cours des évènements, ou continuer à subir passivement la régression et l’humiliation qu’un petit potentat nous impose depuis cinq ans. Alors, allons voter en masse !

R. B.

Alger le 27 mars 2004