Présidentielles de 2004 : un peu de modestie
Présidentielles de 2004 : un peu de modestie
Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 6 février 2003
Les candidats aux présidentielles de 2004 devraient y réfléchir à deux fois avant de s’engager. Avant de présenter leurs programmes et tenter de séduire les électeurs, ils devraient mesurer l’ampleur de la régression qui a touché le pays pendant la décennie écoulée. Promesses électorales et engagements n’auraient aucun sens s’ils ne s’appuyaient sur un constat lucide, sans complaisance, de la situation dramatique du pays. A moins que ces candidats n’aient, eux aussi, l’intention d’effectuer un tour à El-Mouradia pour faire de la figuration et des affaires, pendant que le pays continue de s’enfoncer.
Un simple petit exercice, la lecture de la presse de mercredi 05 février leur permettrait de mesurer l’état de délabrement politique, économique et social du pays et de se rendre compte dans quelle mesure ils seraient en mesure d’apporter des solutions. Cette journée «ordinaire» en Algérie révèle en effet une série d’émeutes, de faits divers et d’actions politiques qui donnent une idée de l’ampleur et de la variété des problèmes à surmonter.
Pour le seul chapitre des émeutes non organisées, violentes, non encadrées par des partis, des syndicats ou des associations, le bilan est impressionnant. A Zeboudja, près de Chlef, des habitants se sont attaqués à la résidence du chef de daïra. A Tadjenant, dans la wilaya de Mila, on a enregistré de violentes manifestations nécessitant l’intervention musclée des services de sécurité. A Bethioua, près d’Oran, une autre émeute a donné lieu à 45 arrestations, pendant qu’un sit-in de protestation était organisé à Chaâbet El-Ameur.
Point commun de toutes ces manifestations: leur caractère spontané. Elles se limitent à une sorte de jacquerie sans lendemain, pour exprimer un ras-le-bol concernant une situation précise. Elles révèlent un des principaux échecs du pays pendant la décennie écoulée, celui de la représentation. Les citoyens ne se retrouvent ni dans les partis, ni dans les associations, encore moins dans ce que fait l’administration. Aucune structure n’est en mesure de prendre en charge leurs revendications. Ne croyant plus aux démarches légales, ils optent pour la violence. Qui paie parfois. Souvent.
A ces émeutes, il faut ajouter, pour la même journée du 5 février, toutes les actions menées dans un cadre légal, mais qui n’aboutissent pas. Luttes syndicales, professionnelles, politiques, toutes se terminent en queue de poisson, faute d’interlocuteur, de centre de décision et d’institutions capables de rendre des arbitrages.
Le cas le plus typique est peut-être celui de la situation en Kabylie, où l’agitation est endémique. La crise dure depuis bientôt deux ans, mais les principaux partenaires donnent l’impression d’avoir admis leur incapacité de la résoudre. Aucune structure, aucun homme politique, aucun responsable légalement habilité à décider n’a été en mesure d’agir, laissant pourrir une situation qu’il faudra bien évoquer pour 2004.
A tout ceci, il faudra ajouter la dégradation sociale, celle dont on mesure le moins la portée, mais qui risque d’être la plus destructrice pour les prochaines décennies. Dégradation de valeurs, perte de repères, absence de citoyenneté, le constat est accablant. Il apparaît aussi bien abstrait, jusqu’à ce qu’il apparaisse dans sa réalité cruelle. La presse de mercredi en offre une illustration dramatique, avec ces deux faits divers aussi horribles que sordides: deux vieilles femmes retrouvées assassinées à Taguemount Azzouz, près de Tizi Ouzou, et l’arrestation de cet homme, auteur de l’assassinat de trois femmes et quatre enfants à Sidi Bel-Abbès. Concrètement, cela signifie que le pays est entré dans une nouvelle phase sociologique, où la criminalité et la corruption sont devenues des faits de société majeurs.
Tout ceci offre un tableau bien noir de l’Algérie, dirait-on. Mais ce n’est pas fini. Car il faut y ajouter le phénomène qui est peut-être le plus important: le dévoiement de la vie et de l’activité politiques. La notion de politique a été détruite, pour être assimilée à une participation au pouvoir, à un partage du butin, ou à de la figuration symbolique. Les journaux de mercredi rapportent deux faits qui illustrent bien cette situation. Bouteflika s’est rendu à Paris pour un voyage dont personne ne sait rien. Ni le gouvernement, ni les pauvres députés du peuple, ni, peut-être, les célèbres décideurs. Dans le même temps, les amis de Bouteflika sont en train d’accaparer un immense patrimoine immobilier sur la côte, près d’Alger.
Vrai ou faux, peu importe. Mais aucune de ces démarches n’est transparente. Aucune institution n’est en mesure d’en vérifier la légalité. Ce sont des tractations qui se passent «dans les hautes sphères», selon l’expression consacrée. Le citoyen ordinaire n’a pas le droit d’y mettre le nez. Ceux qu’il a élus, maires, députés et autres membres d’assemblée, n’ont pas le droit de se rapprocher, sous peine de se brûler les doigts.
On peut arrêter là le tableau établi à partir de la lecture de la presse d’une seule journée. Il n’est pas exhaustif, mais il est assez éloquent. Il est révélateur de ce que l’Algérie attend de son prochain président. Cela ressemble fort aux travaux d’Hercule et devrait pousser les candidats aux prochaines présidentielles à beaucoup de modestie: personne n’est en mesure de sortir le pays de la crise d’un coup de baguette magique. La seule option, raisonnable et réaliste, est celle qui pousserait les candidats à promettre ce qui est possible. C’est modeste, mais le jeu en vaut la peine: mettre le pays dans une situation nouvelle, à partir de laquelle il pourrait aller à la solution des différents problèmes qui se posent. Cette action devrait se limiter à l’établissement de nouvelles règles du jeu, d’un nouveau système.
Un consensus est apparu sur l’échec du système actuel et sur son incapacité à résoudre la crise qu’il a générée. Désormais, envisager une sortie de crise avec le maintien de ce système n’est plus seulement une erreur. Cela devient un crime. La priorité est donc à la sortie du système actuel. C’est un programme modeste, qui peut être partagé par de larges courants d’opinion. A moins qu’un nouveau consensus ne se dégage autour d’un candidat de l’échec.