Mehri: «un combat programmé de coqs»

Dans une lettre intitulée les concepteurs de complots

Mehri: «un combat programmé de coqs»

Le Quotidien d’oran, 6 août 2003

Dans une lettre de six pages intitulée «Les concepteurs de complots et ceux qui y tombent», l’ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri, met les points sur les i au sujet du «complot scientifique» et s’exprime sur la «bataille programmée» entre Bouteflika et Benflis, qu’il qualifie de «combat de coqs» destiné à occulter les vrais débats.

Pour des raisons diverses, la guerre en Irak, le séisme, le refus d’interférer dans un 8ème congrès auquel il n’a pas été convié, Abdelhamid Mehri s’était abstenu de réagir aux propos auto-glorificateurs de Abderrahmane Belayat et Abdelkader Hadjar au sujet du fameux «complot scientifique» de 1996. Il estimait que les évènements allaient apporter d’eux-mêmes une «réponse appropriée à ses auteurs» et à dévoiler la «fausseté des pratiques politiques qui ne fondent ni de vrais partis ni une bonne gouvernance».

Mais le fait qu’à la faveur de la bataille en cours au sein du FLN, Belayat et Hadjar aient abondamment évoqué ce «complot scientifique», pousse Mehri à sortir de son silence pour mettre les points sur les i. Surtout qu’il perçoit dans ces comportements la preuve que «les héros du complot scientifique et ceux qui sont derrière eux ne tirent aucune leçon» et que la gravité de la situation nationale et celle du monde arabe ne semblent pas être une raison suffisante pour les convaincre de «réviser les méthodes de travail politique en cours dans notre pays». Abdelhamid Mehri constate, au contraire, une persistance à «embellir ces thèses de laboratoire» et que leurs auteurs «ambitionnent d’en faire des modèles à suivre dans la pratique politique».

Il était donc temps pour M. Mehri de rompre un «silence qui pourrait être mal interprété», mais sans entrer dans des polémiques de bas niveau qui consacrent des pratiques inacceptables. L’ancien secrétaire général prend au mot Belayat qui a déclaré que «nous avons destitué» l’ancien secrétaire, non sur la base de mécanismes organiques clairs, mais sur la base d’un «traitement politique pour éviter un dérapage destructeur pour le parti».

Ce «nous» utilisé par Belayat couvre la vérité, selon Abdelhamid Mehri, qui estime que Belayat et Hadjar n’ont été que des faire-valoir publics à des personnes occultes. «Les militants du FLN savent parfaitement que Belayat et consorts n’étaient en fait que des agents publics de personnes occultes qui ont planifié et exécuté l’opération». Et si les choses n’ont pas suivi des «mécanismes organiques clairs», cela n’est dû qu’au fait que le traitement s’est fait en dehors du parti. «Le traitement a consisté en une ordonnance grasse de la part de certains services de l’Etat qui croyaient — et sans doute le croient-ils encore — que les missions qui leur ont été confiées leur donnent le droit de gérer, d’une manière ou d’une autre, le fonctionnement des organisations sociales, partis et associations, de promouvoir certains de leurs dirigeants, de sélectionner ses candidats aux assemblées élues, de réajuster la ligne politique, en cas de nécessité, dans le sens qui la satisfait ainsi que le pouvoir établi». Pour la «gloire», Belayat et Hadjar devront repasser.

Mais Mehri va au-delà en notant que le complot scientifique est un «composé organique du régime du pouvoir en place et un instrument de gestion de la démocratie de façade». Une gestion qui ne se limite ni au FLN, même s’il a eu la part du lion, ni à une période historique donnée. C’est, estime Mehri, «une donnée structurelle durable que subissent les partis et les associations et qui se fait plus pesante selon le degré de proximité ou d’éloignement des partis et associations du cercle de l’obéissance et de l’acquiescement».

L’ancien secrétaire général relève que rien n’indique que les «mécanismes et instruments semés au sein du FLN, lors de l’exécution de ce complot scientifique et avant, aient été supprimés ou gelés par la suite. Au contraire, leurs effets ont atteint le summum lors du 7ème congrès qui a été géré de la manière que les militants connaissent, puisque des membres du comité central, qui sont des membres essentiels au congrès, ont été empêchés jusqu’à entrer en salle de réunion».

La direction du parti, révèle-t-il, «a été désignée dans une villa proche de la salle du congrès. Ces mécanismes ont-ils continué à fonctionner entre deux congrès et lors de la tenue du 8ème congrès, dans quel sens et au profit de qui ? Je n’ai pas de réponses certaines à ces questions, mais peut-être que certains de ceux qui ont participé à la campagne des semailles pourront nous donner une idée de la qualité de la moisson».

Belayat a affirmé que le complot scientifique s’est déroulé lors d’une réunion ordinaire du comité central convoqué par Mehri lui-même. Certes, répond Mehri, mais rien n’a été «ordinaire» avant et après la session du comité central. Des «visiteurs» non membres du parti ont pris attache avec de nombreux membres du comité central pour les forcer, par des «promesses ou des menaces», à prendre une position donnée lors de la réunion. Certains d’entre eux s’en sont ouverts à Mehri qui, au vu du contexte de l’époque, leur a conseillé de jouer le jeu et, surtout, pour «éviter une personnalisation du débat».

Ce qui n’était pas ordinaire aussi est que la liste des membres qui demandaient la destitution de Mehri a disparu, tout comme l’acte d’accusation contre lui, qui n’est pas disponible dans les archives du parti. Pas ordinaire aussi le fait que des membres du comité central qui ont refusé de suivre les injonctions des «visiteurs» ont vu leurs dossiers de retraire gelés pendant des années. Uniquement pour avoir refusé d’obtempérer à un complot qui «n’a de scientifique que l’exploitation du pouvoir d’Etat pour imposer des positions particulières à des partis et des associations».

Reprenant les propos de Belayat, Mehri se dit encore prêt à aller en conseil de discipline face à une «accusation politique», surtout que les questions posées à l’époque sont encore là avec plus d’acuité. L’ancien secrétaire général du FLN défend avec force la ligne politique élaborée collégialement par les structures du parti. Pour lui, le FLN se doit, sans hésitation et sans complaisance, d’être dans la tranchée de ceux qui réclament un véritable régime de pouvoir démocratique comme alternative au régime unique. Et, selon lui, cela est «valable également pour l’Armée nationale populaire, si l’on veut vraiment qu’il soit l’héritier de l’ALN, car le FLN et l’armée sont les jumeaux d’un même arbre».

La grave crise que traverse l’Algérie depuis 15 ans est née d’une aspiration populaire profonde à changer le régime par un système plus juste, plus efficace, et l’ignorance de cette exigence – ou l’incapacité d’y répondre-a fait éclater la crise et continue de l’entretenir. C’est pour cela, ajoute-t-il, »et avant le complot scientifique», que le FLN a refusé de cautionner une démocratie de pure forme en tant que fausse solution à cette profonde exigence populaire. Le refus de toute forme de violence comme moyen d’action politique impose également de rejeter toute forme d’exclusion, car «c’est une violence cachée» qui alimente le cycle des violences.

Hadjar a justifié l’action contre Benflis en estimant que l’opposition de Mehri au régime avait coûté au FLN un éloignement du pouvoir, la perte de ses sièges et le gel de ses avoirs. Des locaux, qu’il dit avoir récupérés après d’âpres négociations avec Ouyahia en 1996.

Tout en notant que ce propos confirme que le «complot» comportait un marché, Mehri va au fond des choses en demandant: »Quel est ce régime (nidham) qui n’est pas cité dans la Constitution de l’Etat et ses institutions ? Qui sont-ils ceux qui le contrôlent, quelles sont leurs prérogatives et qui les leur a données ? Quel est ce pouvoir qui éloigne du pouvoir et l’en rapproche ? Les gouvernements avec qui traite Hadjar agissent-ils conformément à la loi ? Quand ? En enlevant les locaux au FLN ou en les restituant ? A moins que, dans les deux cas, cela dépende de l’humeur des gouvernants et de leur ijtihad personnel ? Cette logique est-elle compatible avec l’édification de l’Etat de droit, qui est l’objectif noble de la lutte du peuple algérien et de ses forces politiques saines ?

Ce comportement n’est-il pas un feu vert pour la conclusion de contrats douteux à tous les niveaux de l’Etat et de ses services ?

N’est-ce pas faire de l’allégeance de rétribution, qui peut être comprise comme un comportement individuel, un programme que mettrait des militants sur le front du FLN ? Faut-il comprendre que ce régime, comme le nomme Abdelkader Hadjar, continue à vouloir user de ces procédés pour organiser la scène politique face aux défis présents et à venir du pays ?»

Au passage, Mehri précise que les avoirs du FLN n’ont pas été gelés par le pouvoir, mais que le bureau politique a décidé de les placer dans un compte bloqué pour n’utiliser que ses intérêts dans la gestion du parti durant six ans.

Mehri estime que le bilan du complot scientifique est occulté, en soulignant qu’aujourd’hui comme hier, la question de l’autonomie du FLN vis-à-vis du pouvoir est posée dans des conditions «très complexes». Le complot scientifique a-t-il permis au FLN de contribuer à résoudre les questions essentielles ou de faire mûrir une solution réelle à la crise et les problèmes qui en découlent ?

Sans répondre à ces questions, Mehri considère que la lutte «programme» actuelle au sein et autour du FLN ne sert en fin de compte qu’à chauffer la scène politique par des «allégeances personnelles» pour occulter les véritables défis du pays. Elle sert aussi à préparer les esprits à remplacer de «vraies élections par une sorte de combat de coqs, c’est-à-dire la prépondérance des attaques et des allégeances sur le débat et l’engagement politique».

Je crains, écrit Mehri, que «cette lutte n’entre dans la configuration générale de la fabrication des présidents à laquelle on a été souvent habitué et qui veut que l’arrivée d’un président à El-Mouradia s’accompagne d’une campagne de glorification et qu’on lui fasse les adieux par une campagne de dénigrement». Considérant qu’aussi bien Bouteflika que Benflis ont leurs «glorificateurs», leurs «comploteurs» et ceux qui y «succombent», Mehri estime qu’il n’y a aucune utilité à ce combat si les deux hommes «n’expliquent pas pourquoi ils veulent être candidats à la plus haute responsabilité de l’Etat, ne divulguent pas leur programme politique et les solutions proposées pour résoudre les problèmes du présent et les défis de l’avenir. Cela, bien entendu, dans le cas où il s’agit d’élections au sens réel du terme. Dans le cas où il s’agirait d’élections telles qu’elles ont été faites, chacun des deux sait aussi par où se mange le festin».

K. Selim