Abassi Madani donne de la voix de Kuala Lumpur

Le pouvoir doit prendre l’initiative de restaurer les libertés

Abassi Madani donne de la voix de Kuala Lumpur

Le Quotidien d’Oran, 4 septembre 2003

«En dix ans, l’Algérie peut devenir comme la Malaisie pour peu que les efforts soient concertés pour mettre fin aux tragédies du peuple algérien». Le FIS a bien repris de la voix à partir de la capitale malaisienne.

Abassi Madani, parti en Malaisie pour des soins, a fait hier une sortie publique dans les deux chaînes d’informations satellitaires les plus regardées dans le monde arabe, Al-Jazira et Al-Arabiya. Deux entretiens accordés aux deux chaînes concurrentes et diffusés hier au même moment. Abassi Madani a choisi de satisfaire les deux chaînes concurrentes, en les mettant sur le même pied, mais apparemment Al-Jazira n’a pas résisté au désir de faire un pied de nez à Al-Arabiya, en diffusant des extraits dès la mi-journée. Tout bénéfice en tout cas pour Abassi Madani qui bénéficie de deux supports importants pour signifier une reprise de parole, que les autorités lui ont interdite après son élargissement. Le chef de l’ex-Fis continue d’ailleurs d’en faire un usage très modéré, puisque son discours reste entièrement consacré à l’impératif de sortir le pays de la crise. Et dans ce domaine, il appelle les responsables à tous les niveaux, y compris le président de la République a montré leurs «dispositions à ouvrir le champ des libertés devant tous sans exclure personne» et à ôter les obstacles devant Ali Benhadj, qu’il qualifie de «jeune génie», pour contribuer à la solution de la crise. «Je demande à tous les dirigeants et au président Bouteflika de prendre l’initiative. Notre situation actuelle impose que des initiatives soient prises, il n’y a plus de place pour l’hésitation», a déclaré le chef du FIS à la fin de l’entretien avec Al-Arabiya où, étrangement, il paraissait en moins bonne santé que dans celui accordé à al-jazira. De nombreuses questions lui ont été posées sur les initiatives qu’il comptait prendre lui-même, mais il a éludé en indiquant que la «chose viendrait en son temps», ajoutant que la règle dans ce domaine est que «celui qui demande une chose avant son heure», risque de ne pas l’avoir.

Au journaliste d’al-jazira qui lui reprochait le coté vague de ses propos au sujet d’un éventuel appel aux groupes armés encore actifs, Abassi Madani répond : « je suis un homme d’action et je ne veux me perdre dans des labyrinthes. Nous oeuvrons à arrêter l’effusion de sang et à tourner la page de la haine». Pourquoi ne l’a-t-il pas fait quand il était en prison ? Réponse : «est-ce que vous me demandez de me prononcer sur des choses dont nous ignorions les tenants et aboutissants de prison ? Devais-je marcher sur un champ de mines en ayant les yeux bandés». L’histoire a-t-il dit, a déjà jugé sur la question. «Dans un contexte d’absence de libertés dont celle de l’expression, la victime peut être accusée d’être le criminel», a-t-il ajouté en indiquant qu’il ne souhaite pas soulever ce genre de question, car l’urgence est de sortir de la crise. Très logiquement, l’homme qui attend des initiatives du pouvoir refuse de se positionner sur les évènements politiques actuels et notamment la présidentielle, en disant qu’il n’entend pas «entrer dans les marchandages et les jeux alors que le sang du peuple coule». Aux journalistes qui voulaient visiblement savoir vers qui irait son soutien lors de la prochaine échéance électorale, Abassi Madani, très politique, a refusé de donner une quelconque indication. «Nous ne sommes pas à la recherche du pouvoir, nous avons une cause qui est de sortir l’Algérie de sa crise et la préparer à la renaissance», a déclaré hier Abassi Madani dans un entretien diffusé par la chaîne al-jazira.

Une franche retenue, histoire sans doute de ne pas brusquer les choses alors que les présidentielles sont loin. Surtout le FIS qui ne peut prétendre jouer un rôle direct dans ces élections se retrouve, paradoxalement, avec une marge de manoeuvre politique très importante. De Kuala Lumpur on a eu la confirmation que le FIS a repris une voix sans la contrainte qui pesait sur ses dirigeants dans le territoire national. Il reste à confirmer qu’il lui reste un électorat suffisamment substantiel et obéissant pour pouvoir peser sur le cours des élections, si elles sont ouvertes bien entendu.

Cette voix retrouvée, Abassi Madani en use pour distiller des messages très politiques. Le plus frappant a été l’éloge fait à Chirac le «gaullien», dont il a salué le geste de restitution des sceaux du Dey d’Alger lors de sa visite en Algérie. Le chef du FIS y voit la confirmation que la France gaulliste n’a plus de vision colonialiste. Il a considéré même que le président français était porteur d’un projet pour aider l’Algérie à se relever. «C’est la raison de l’accueil chaleureux qu’il a reçu en Algérie et non, comme certains l’ont dit, à cause des histoires de visa». Plus généralement, Abassi Madani dit n’attendre que «du bien» de l’Europe et que les pays qui investissent en Algérie servent leurs intérêts à long terme.

M. Saâdoune