Ali Laskri: L’alliance présidentielle veut recomposer le champ politique en Kabylie

Le premier secrétaire national du FFS, M. Ali Laskri, au Jeune Indépendant

L’alliance présidentielle veut recomposer le champ politique en Kabylie

par Rosa Mansouri, Le Jeune Indépendant, 14 novembre 2005

Répondant à notre invitation, le premier secrétaire national du FFS, M. Laskri, a bien voulu, à la veille des prochaines élections partielles en Kabylie, nous accorder cette interview.

Le Jeune Indépendant : La présence en force du FFS à cette élection partielle est remarquable. L’enjeu est-il aussi important ?

M. Laskri : Je ne vous cache pas qu’au départ, on a été mis devant le fait accompli par rapport à ces élections partielles, du fait de la dissolution d’autorité des APC et APW. Nous avons fait dans la protestation politique, en tant que parti d’opposition, et nous n’avons pas voulu nous inscrire dans cette initiative de dissolution de ces assemblées et de singularisation de la Kabylie.

Cependant, nous avons constaté, lors du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale, que cette singularisation devenait prégnante en raison du faible taux de participation à ce scrutin. C’est à partir de ce moment que nous avons décidé de revoir notre stratégie et de ne pas laisser le pouvoir local à d’autres.

L’enjeu est effectivement important. Le véritable travail de proximité se fait avec les citoyens et nous œuvrons pour la concrétisation de leurs aspirations.

Vous parlez des autres. Quels autres ?

Vous savez que tout simplement, en Algérie, il n’y a jamais eu d’élections comme il le fallait, qui traduisent une véritable représentation sociale.

Ils ont fait dans la cooptation. Aujourd’hui, on ne va pas laisser toutes ces structures créées pour faire dans la cooptation agir comme bon leur semble. Il y a aussi l’alliance présidentielle qui veut recomposer le champ politique en Kabylie.

Cette structure a été créée afin de faire dans la compromission. C’est la raison pour laquelle nous œuvrons pour une véritable représentation sociale dans la région et une réhabilitation du politique.

Quelle menace craignez-vous de l’alliance présidentielle pour que votre contestation soit telle ?

Nous faisons tout pour qu’il y ait une diversité politique. On est pour le pluralisme politique. Le problème ne se pose pas. L’essentiel, c’est que toutes les conditions soient réunies pour que chacun, quelle que soit sa couleur politique, puisse participer à cette élection. On va tout faire pour réhabiliter le politique et l’acte de voter dans la région et répondre à l’aspiration citoyenne.

Mais, bien sûr, il y a diversion de certaines parties, car il y a manipulation politique. Ils font tout pour aller vers la cooptation. Et cela, on ne va pas le permettre, surtout dans cette région qui a une grande tradition politique et culturelle et où la diversité des idées peut s’exprimer, loin de la pensée unique.

Vous avez beaucoup hésité avant de trancher la décision de votre participation…

On avait opté pour une protestation d’ordre politique, que nous estimons fondée. Puisque l’élection de 2002 avait été validée, pourquoi un décret pour amender le code communal et le code de wilaya et refaire une élection dans une seule région ? C’est très dangereux, c’est une dérive afin de singulariser la Kabylie par rapport aux autres régions du pays.

Ils ont «réussi» à le faire. D’ailleurs, même pour le référendum dernier, le boycott qui a eu lieu dans la région a été volontairement mis en exergue, en faisant croire que les résultats dans les autres régions étaient différents, alors que la participation a été, aussi, très faible et que les Algériens le savent aujourd’hui.

Le dernier scrutin a été une faillite. Mais ils ont tout de même réussi à singulariser la région, avec tous les risques de dérapage quant à l’unité nationale, à laquelle le FFS tient. On assiste à une dérive du gouvernement et du pouvoir en place.

Vous avez tout de même accepté de participer à la prochaine élection partielle…

Comme je vous l’ai déjà dit, nous avons protesté politiquement contre la dissolution des APC et APW, mais on a fini par accepter de participer à cette élection pour ne pas laisser le pouvoir local aux «autres» et, aussi, pour contrecarrer leur stratégie de déstructuration de la région.

Agir pour le développement local, parler de plan de relance n’a aucune finalité, si l’on crée de toutes pièces les événements de Kabylie, le chômage… Ils sont en train de poursuivre cette œuvre maléfique de déstabilisation totale, y compris par le chantage ou en faisant miroiter des enveloppes financières énormes.

Selon vous, l’APC offre-t-elle une meilleure tribune que le Parlement ?

Notre participation aux élections locales, alors que nous avons boycotté les législatives, a pour objectif, entre autres, de contrecarrer les prédateurs dans la région, surtout ceux du foncier.

Nous ne les laisserons pas faire. C’est pour cela que nous avions participé aux élections de 2002. Pour les élections législatives, nous n’y croyons pas, car nous avons déjà vécu l’expérience de 1997. Les conditions ne sont pas réunies pour des élections législatives.

Une fraude nationale avait marqué l’élection de 1997. Le Parlement n’a pas été une bonne tribune. Et vous avez le résultat aujourd’hui, un parlement qui n’est ni représentatif ni légitime. Il n’est pas l’émanation de la configuration politique et sociale du pays.

Revenons à la campagne électorale, si vous le voulez bien. Comment se présente-t-elle pour votre parti ?

Notre parti dispose d’un programme précis qui est remis à tous les animateurs, lesquels sillonneront les moindres localités de la région, pour le présenter et l’expliquer aux citoyens.

Un travail se fait également au niveau de toutes nos sections, à travers une campagne de proximité au niveau des quartiers et villages. Tout cela a déjà commencé. Des conférences et des meetings seront animés dans les wilayas concernées.

Nous sommes réellement présents et les citoyens font confiance au FFS. Nous l’avons constaté lors de nos différents déplacements.

A la faveur de cette campagne électorale, êtes-vous arrivé à cerner les préoccupations des citoyens et leurs attentes ?

On a rendu plus lisible tout ce qui s’est passé dans la région, depuis les événements de 2001, avec leur lot d’actes de violence et de crimes ayant entraîné l’instabilité que l’on sait de la région, où la vie communautaire et la solidarité ont toujours été des vertus cardinales.

Il faut mettre fin à cette violence et c’est en réhabilitant le politique que nous dépasserons la crise. Je vous assure que les citoyens, aujourd’hui, croient au programme du FFS, que la confiance revient et qu’ensemble nous allons réhabiliter la Kabylie, telle que ses habitants l’ont toujours conçue, à travers le débat politique contradictoire.

Le RCD a appelé à une alliance avec votre parti. Quelle est votre position ?

Le FFS a fait ses propres listes, sa propre campagne électorale et a un programme. Il est ouvert aux forces politiques, aux associations, aux syndicats autonomes et aux citoyens en général qui luttent pour des revendications légitimes, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles.

Il y a eu effectivement des contacts entre les personnalités politiques, mais l’alliance dont vous me parlez n’existe pas pour notre parti. Ce n’est pas possible. Le FFS œuvre pour concrétiser l’alternative démocratique et sociale avec tous ceux qui sont autonomes et crédibles et, aussi, solidaires de la société.

Sinon, il n’y a ni regroupement ni rassemblement ni autre chose avec le RCD. L’alternative démocratique et sociale se construit.

Que pensez-vous de l’initiative d’Ali Yahia Abdennour de construire un pôle démocratique ?

La crise, en Algérie, est nationale, globale et la solution doit être démocratique. Donc le problème n’est pas dans une région. Il n’y a pas de problèmes kabylo-kabyles. Ça, le FFS le rejette totalement. La solution politique doit être trouvée avec la société algérienne. Le FFS a toujours été constant dans ses positions, mais n’a jamais tiré de dividendes de cette position.

S’agit-il d’un déséquilibre entre la vision du FFS et celle du citoyen, ou alors y a-t-il d’autres considérations en jeu ?

Le FFS est toujours dans l’esprit du 1er Novembre, du mouvement national et du congrès de la Soummam. Parmi ses fondements, la primauté du «politique» sur le «militaire».

Le FFS a été fondé en 1963, dans l’opposition démocratique et il continue cette lutte pour concrétiser les valeurs des militants du mouvement national. Ils croyaient même à l’Etoile nord-africaine et à la confédération maghrébine.

Le problème, pour nous, ne se pose pas. Il n’y a pas de déséquilibre dans notre vision. On est en train de continuer le combat de toujours avec tous nos militants, avec les Algériens et Algériennes qui croient aux valeurs du FFS, aux droits de l’homme, à la liberté d’expression et de pensée… Le FFS ne reculera jamais par rapport à ces valeurs fondamentales.

C’est vrai qu’il y a eu une dérive en 1962, qu’il y a eu la dictature qu’aujourd’hui beaucoup essaient de reproduire, par la fermeture du champ politique et des libertés en général, afin de revenir au système de la pensée unique. Mais le FFS est là, présent.

La lutte n’est pas facile, mais lorsqu’on sait que des forces démocratiques, des syndicats autonomes se rapprochent de nous, c’est qu’il y a une croyance en notre parti ou une certaine communion de pensée. Les syndicats autonomes sont en train de lutter, de faire des sacrifices ; leurs responsables sont emprisonnés ou placés sous contrôle judiciaire ; il y a aussi des journalistes et des militants politiques qui luttent pour des valeurs et des principes que portent les militants du FFS depuis 1963.

Il y a eu des martyrs, quand même. Même si le champ politique est parasité, vu la fermeture totale des médias lourds, cela n’empêche pas de nombreux Algériens de militer. Il y a également toutes ces émeutes, provoquées par l’incompétence des gouvernants.

Les citoyens luttent, sont là à revendiquer leurs droits sociaux. Et tout cela finira par aller dans le sens de la construction de l’alternative démocratique. Ce qu’on appelle, nous, l’avènement de la 2e République. Le FFS plaide pour une cour maghrébine des droits de l’homme.

Pouvez-vous nous expliquer davantage cette initiative ?

Le FFS plaide effectivement pour la construction d’une cour maghrébine des droits de l’homme. Et aussi pour un parlement maghrébin légitimement élu. Il croit à un ensemble maghrébin et à une confédération maghrébine, mais malheureusement nous ne sommes pas encore à ce stade.

Les peuples au niveau des pays du Maghreb doivent se déterminer par rapport à toutes ces questions. Car les gouvernements, eux, freinent toute cette évolution. Alors quand on parle de la cour maghrébine des droits de l’homme, c’est parce qu’on croit réellement à la construction de la démocratie et de la véritable paix.

Avec ça, on pourra créer un partenariat. Les militants du mouvement national, lorsqu’ils ont créé l’Etoile nord-africaine, c’était tout le Maghreb qui s’était uni, dans le cadre d’un ensemble sans frontières. Les autres l’ont fait avant nous, à l’exemple de l’Europe.

On n’en est pas encore là, mais on va œuvrer d’abord pour un parlement maghrébin légitimement élu et, pourquoi pas, par la suite pour une cour maghrébine des droits de l’homme

Vous insistez sur le Parlement maghrébin, alors que vous refusez de figurer dans le parlement… national…

Non. On n’a pas rejeté une élection. En 2002, nous avons assisté à l’élection d’un parlement par une fraude massive. Les conditions n’avaient pas été réunies. Il n’y a pas d’ouverture politique, pas de levée de l’état d’urgence, pas de véritable compétition.

Les urnes ont été détournées. On a un parlement non représentatif. Vous n’avez qu’à voir comment la loi sur les hydrocarbures est passée sans débat. Ça, ce n’est pas un parlement ! Revendiquez-vous toujours la levée de l’état d’urgence ? Oui, nous continuerons tout le temps à revendiquer la levée de l’état d’urgence, l’ouverture du champ politique et la reprise d’un véritable processus démocratique, pour une transition politique réelle.

Et ça, le régime en place ne le veut pas et a rejeté toutes les propositions faites dans ce sens. Nous avons fait énormément de propositions. En 1992, avant l’assassinat de Boudiaf, nous avons fait la proposition d’»un contrat pour la démocratie».

Le président du FFS, Hocine Aït Ahmed, a appelé à la réconciliation nationale historique le 1er mai 1992, lorsque Boudiaf était encore vivant. Mais ce dernier avait été assassiné. On n’est pas encore arrivé à cette réconciliation entre l’Etat et la société.

Par la suite, il y a eu le contrat de Rome, et la réconciliation n’a pas eu lieu, non plus. On est ouvert à une véritable solution globale concernant la crise algérienne. Nous avons enchaîné avec la proposition du mémorandum, pour contrecarrer ce qu’ils appellent les événements de Kabylie, que le pouvoir a créés.

Lorsque le FFS a transmis au pouvoir son mémorandum, les décideurs ont riposté par la plate-forme d’El-Kseur. Or, celle-ci ne pourra jamais remplacer la plate-forme de la Soummam. Le mémorandum du FFS est justement inspiré de la plate-forme de la Soummam.

Nous avons toujours milité dans le sens d’une prise en charge des résolutions de la plate-forme de la Soummam, notamment la primauté du «politique» sur le «militaire», et donc le retrait de l’institution militaire du champ politique.

Pensez-vous que l’armée s’est retirée du champ politique ?

Non, jamais, jamais ! Quelle opinion avez-vous des débats actuels sur la révision constitutionnelle ? Je préfère ne pas aborder cette question. On n’a jamais eu une seule Constitution en Algérie, mais plusieurs.

Chaque président qui est venu a voulu sa propre Constitution.Cependant, une véritable Constitution, ce sera celle qui viendra de l’aspiration des Algériens, et ça, c’est une revendication du mouvement national. Je reviens d’ailleurs à ce que le PPA, le MTLD et l’AML ont demandé, durant la colonisation et que le FFS a repris en 1963 : une assemblée nationale constituante, qui avait été mise en place à cette époque, mais malheureusement, aussitôt dissoute dans une salle de cinéma.

Et depuis, nous n’avons jamais eu de Constitution. R. M