Djamel Zenati, militant et directeur de campagne de Hocine Aït Ahmed lors de la présidentielle de 1999

Djamel Zenati, militant et directeur de campagne de Hocine Aït Ahmed lors de la présidentielle de 1999

«Détends-toi, ce n’est pas l’histoire que tu as devant toi…»

El Watan, 30 décembre 2015

Le militant de la démocratie Djamel Zenati, qui a bien connu Hocine Aït Ahmed et a même été son directeur de campagne lors de la présidentielle de 1999, a accepté d’évoquer pour les lecteurs d’El Watan ses souvenirs de l’homme que fut ce leader politique et révolutionnaire hors normes.

Ma première rencontre avec Si L’Hocine date de 1990. Un jour, mon ami Matoub Lounès me fait part de son vœu de rencontrer Hocine Aït Ahmed qui était rentré d’un très long exil, presque une année auparavant. A l’époque, le FFS était dirigé par Hachemi Naït Djoudi qui était un ami. Je le contacte et celui-ci nous prend rendez-vous avec Si L’Hocine.

Le 30 mai 1990, la veille de la marche du MCB, nous le rencontrons au siège du FFS qui était situé boulevard Bougara», se rappelle Djamel Zenati. Evidemment, Hocine Aït Ahmed connaissait bien Matoub, mais Djamel Zenati, animateur du MCB, que de réputation. Lorsque les deux hommes rentrent dans le bureau du leader révolutionnaire et après les salutations d’usage, Si L’Hocine s’adresse à Matoub, en désignant le jeune homme à l’allure très juvénile qui l’accompagne : «C’est ton fils ?»

«Non Si L’Hocine, répond Matoub avec le sourire, c’est Djamel Zenati.» Aujourd’hui encore, le souvenir de cette anecdote fait sourire ce dernier. «Nous avons longuement discuté et pris quelques photos ensemble à la fin de l’entrevue. Toutes d’ailleurs étaient ratées et une seule a pu être développée. Matoub était visiblement très content.» A la sortie des deux amis, impressionnés par la stature politique et la taille de Si L’Hocine, Matoub Lounès lâchera cette boutade : «Aït Ahmed est un grand homme grand !»

Matoub : «Aït Ahmed est un grand homme grand !»

La rencontre entre le vieux leader du FFS et Djamel Zenati, animateur très en vue du MCB dans les années 1990, est l’histoire d’une convergence d’idées et de principes. «Je n’ai jamais été un militant encarté. Entre le FFS et moi, c’est l’histoire d’une rencontre. Moi, je venais de l’extrême-gauche marxiste-léniniste et je me retrouvais dans les positions d’Aït Ahmed sur la Constituante, la souveraineté populaire et la séparation du politique et du religieux, trois grands principes auxquels j’adhérais sans réserve. L’autre passerelle entre nous était la question berbère», explique Djamel Zenati. Sachant que beaucoup d’animateurs du MCB étaient également des cadres du FFS, les trajectoires de deux hommes ne pouvaient fatalement que se croiser un jour ou l’autre.

«Quand on le rencontre pour la première fois, on est forcément intimidé et un peu tendu face à ce monument vivant. J’ai même vu des gens trembler, avoir le trac devant lui. Mais Si L’Hocine vous mettait tout de suite à l’aise», confie encore Djamel Zenati. Le vieux leader observe quelques règles de bienséance toutes simples. «Je préfère qu’on se tutoie. C’est déjà plus facile sur le plan grammatical», dit-il au jeune militant. Ensuite, Si L’Hocine n’entame jamais une discussion par la politique.

Il commence par demander des nouvelles de la santé de son interlocuteur, il parle de la pluie, du beau temps, de «thamourth», de la vie quotidienne avant d’aborder la chose politique. C’est sa manière à lui de briser la glace. «Notre seconde rencontre a lieu au premier congrès du FFS en 1991. Je suis invité en tant qu’animateur du MCB et je fais une intervention», se remémore Djamel Zenati. Après l’assassinat de Mohamed Boudiaf et le climat d’insurrection qui s’installe, Hocine Aït Ahmed quitte le pays et les deux hommes n’auront plus que des contacts téléphoniques sporadiques.

«J’ai vu des gens trembler devant lui…»

En novembre 1995, Djamel Zenati fait une campagne active pour le boycott des élections présidentielles. Les gendarmes le convoquent à la brigade d’Akbou et l’interrogent longuement. Assez longtemps pour permettre à une équipe du DRS d’arriver et de le cueillir à sa sortie de la brigade. Il sera séquestré pendant 48 heures et ne pourra donner aucune nouvelle à ses proches. Cela se passe quelques jours seulement après l’assassinat du militant du FFS Mbarek Mahiou et son neveu.

Le climat politique est très anxiogène. «Si L’Hocine s’est mobilisé à fond pour ma libération», se rappelle Djamel Zenati. Il alerte l’opinion publique internationale en faisant un tapage politico-médiatique et saisit par écrit le président Liamine Zeroual. «Après ma libération, Si L’Hocine m’appelle pour me demander d’arrêter de faire campagne. ‘‘C’est trop dangereux’’, me dit-il. ‘‘Ces gens-là sont capables de tout.’’ Evidemment, je passe outre ses instructions», révèle Djamel. «Notre premier tête-à-tête a lieu en décembre 1995 à Paris.

Détends-toi, ce n’est pas l’histoire que tu as en face de toi», me dit-il d’emblée. Djamel lui demande s’il n’y voyait pas d’inconvénients à ce qu’il prenne des notes. Il était enchanté : «Rarement des cadres politiques m’ont sollicité dans ce sens.» Les deux hommes passent une semaine ensemble. Le vieux briscard a apparemment décidé de prendre sous son aile le jeune et fougueux militant et entreprend de lui présenter un maximum de personnalités politiques de premier plan. «Un vrai travail initiatique», s’enthousiasme Djamel Zenati.

Da L’Hocine, le vieux zaïm, est également très attentif et attentionné avec ses amis et hôtes sur lesquels il veille avec affection. «Je suis parti en France avec une jaquette légère et comme il faisait froid à Paris, Si L’Hocine m’avait acheté quelques vêtements», se rappelle Djamel. «Je suis parti un peu plus tard chez lui à Lausanne, à plusieurs reprises. Je me rappelle qu’il est venu en personne me chercher à l’aéroport avec son Audi. Il m’a présenté à sa famille, à ses amis, à son entourage. C’est quelqu’un de profondément affectueux et de très respectueux. Il a constamment le souci pour le côté humain. Nos relations et nos contacts sont alors devenus réguliers», se souvient-il encore.

Un travail initiatique

«En 1997, Si L’Hocine me demande d’être tête de liste du FFS aux élections législatives. Je ne pouvais pas lui dire non.» Djamel Zenati n’étant pas un militant encarté du parti, cette initiative a fait grincer des dents au sein des cadres du FFS. Elu député avec un score confortable, l’animateur du MCB s’implique désormais beaucoup plus dans la vie de son parti d’adoption.

«Cela a approfondi mes liens et mes engagements au sein du FFS», avoue-t-il. Le 2 février 1999, Hocine Aït Ahmed rentre au pays pour se présenter à l’ élection présidentielle. Il arrive à l’aéroport d’Alger, où il est accueilli par une délégation des cadres du FFS. Simple omission ou mise à l’écart intentionnelle, Djamel Zenati ne fait pas partie du comité d’accueil. Aït Ahmed débarque et regarde autour de lui, cherchant des yeux son protégé : «Où est Djamel ? Il n’est pas là ? Il faut que je le vois ce soir !» Le soir même, il lui propose d’être son directeur de campagne.

Une décision qui ne plaît pas à certains cadres qui voient toujours en Djamel Zenati un intrus, un étranger au parti. «Nous avons discuté longuement le soir même de son arrivée et je lui ai notamment demandé de m’expliquer comment l’idée lui était venue de se présenter à l’élection présidentielle», signale notre interlocuteur. Le vieux leader est loin d’être dupe. Il explique : «Je n’ignore pas tous les risques liés à une élection fermée. Mon objectif n’est pas de devenir président de la République, mais de saisir cette opportunité pour faire avancer l’idée de paix et de démocratie à un point de non-retour. Cependant, il faut se préparer d’ores et déjà à l’idée d’un retrait en cas de coup de force flagrant.»

Ultime acte de résistance

La campagne sera difficile pour le vieux leader qui mobilise ses dernières énergies et se jette corps et âme dans une bataille qu’il sait perdue d’avance. Au cours d’un meeting, Hocine Aït Ahmed est victime d’un infarctus. Six petites minutes après cet accident, l’ambulance chargée de l’évacuer arrive. L’homme est alité, il ne peut plus parler, mais il entend. Il entend surtout qu’on cherche à l’évacuer à l’hôpital militaire de Aïn Naâdja, habituellement réservé aux militaires, à la classe politique dirigeante et aux pistonnés du système.

De l’index, Hocine Aït Ahmed fait signe que non. «Il sera finalement évacué au CNMS, le Centre national de médecine sportive de Ben Aknoun. C’est cette même logique qui lui a fait très certainement prendre la décision de bouder El Alia pour le petit cimetière de ses ancêtres. C’est à mon sens, son ultime acte de résistance», dit l’ancien directeur de campagne. Djamel Zenati continue la campagne à la place du vieux leader gravement malade et diminué. Le contexte politique est très tendu.

Il faut également composer avec l’adversité d’un parti hostile et manœuvrer pour éviter les crocs-en-jambe de la part de certains membres de la direction du FFS qui ne l’ont jamais porté dans leur cœur. La campagne bat son plein, mais le traitement de faveur réservé à Abdelaziz Bouteflika, candidat du système et de l’administration, irrite de plus en plus les autres candidats au nombre de six. De contact en réunion, ces derniers se liguent pour préparer une riposte commune face à une fraude qui s’annonce massive. Hocine Aït Ahmed est hospitalisé à Lausanne, en Suisse. Il conseille son directeur de campagne : «Quand il s’agit d’une décision des six, ne me consulte pas, vas-y.

S’il s’agit d’une décision de moins de six, appelle-moi et je t’oriente.» La veille du scrutin, les six provoquent un séisme politique en décidant de se retirer. Ils laissent Abdelaziz Bouteflika seul face aux urnes. «J’ai été le voir à Lausanne, à la clinique où il était hospitalisé et je lui ai posé la question de savoir dans quel état il se trouvait. ‘‘Maintenant, je connais mes limites’’, m’a-t-il répondu. A sa sortie d’hôpital, je le revois chez lui afin de lui présenter un bilan de campagne. Je lui ramène également un paquet de messages de sympathie suite à ses ennuis de santé. Je lui lance : Si L’Hocine, quand quelqu’un est malade, il recueille toute la sympathie des gens. Et il me répond : ‘‘Encore plus quand il meurt…’’»

Djamel Alilat