Ruée des harragas algériens vers l’Espagne
Nacer Djabi, sociologue, à propos du phénomène de la “harga”
“Les raisons qui poussent les Algériens à fuir le pays sont multiples”
Liberté, 22 novembre 2017
Liberté : 562 harragas algériens ont été interceptés depuis le 16 novembre près des côtes espagnoles. Auparavant, 45 autres harragas interceptés près des côtes libyennes ont été remis, hier, par les services de sécurité de ce pays voisin à leurs homologues algériens. Comment expliquez-vous l’ampleur prise par ce phénomène ?
Nacer Djabi : D’abord, il y a l’amélioration des conditions météorologiques en Méditerranée qui encourage, ces jours-ci, l’immigration illégale en raison des moyens rudimentaires utilisés (embarcations de fortune, ndlr). Outre ce facteur, il y a de profondes raisons qui font que l’Algérie est fuie par les pauvres et les riches, les petits et les grands, les hommes et les femmes, et même les enfants comme nous l’avons constaté dernièrement. Le pays est devenu oppressant. Une grande partie d’Algériens (selon certaines estimations, plus de 25% ont l’intention réelle d’émigrer et ce pourcentage serait plus élevé chez les jeunes).
Nous sommes donc devant une sorte de désespoir qui fait que l’Algérien n’imagine pas rester dans son pays pour y vivre, fonder une famille et nourrir un projet professionnel. Bien sûr, la situation n’est pas uniquement liée aux aspects économiques. Il y a des raisons profondes liées à la qualité de vie et au refus de mener à bien les projets de notre vie en Algérie. D’autres raisons peuvent être ajoutées, comme la situation politique. La flambée de la migration peut-être, ainsi, liée au danger imminent qu’appréhendent les Algériens, un peu comme pour les oiseaux et les animaux qui quittent leur lieu de vie parce qu’ils ressentent l’arrivée d’un danger s’ils ne quittent pas le lieu. J’espère que cela ne sera pas une réalité dans le cas de l’Algérie.
Le phénomène n’épargne pratiquement aucune catégorie de la société, y compris des universitaires. Quelles en seraient les raisons ?
Chaque catégorie a ses propres raisons. Le pauvre émigre dans l’objectif d’améliorer sa situation économique. Le riche c’est parce qu’il veut mieux vivre. L’apprenti pour exprimer et réaliser ses ambitions dans une société indulgente, c’est le cas des personnes qui partent actuellement au Canada, même à l’âge de cinquante ou soixante ans.
Ce type d’émigration confirme que l’Algérie vit une crise profonde qui fait que ses citoyens partent dans tous les cas, indépendamment de leur situation économique et de leur niveau d’éducation.
Quelle parade pour freiner la “harga” ?
Il n’y a pas de solution miracle pour convaincre l’Algérien de rester dans son pays. Le convaincre pour réaliser ses ambitions, nourrir un projet professionnel et y fonder une famille, sont des choses qui semblent simples certes, mais qui sont, hélas, devenues difficiles dans le cas de l’Algérie.
Il faut changer beaucoup de choses, y compris ce qui concerne la situation économique et l’élimination de la corruption et de la bureaucratie et améliorer la qualité de l’éducation, de la santé, de la vie, etc. En résumé, il faut un projet ambitieux pour convaincre les Algériens de rester en Algérie.
Entretien réalisé par : Farid A.
Le CNDH et la lutte contre la migration clandestine
Appel à renforcer le rôle des organisations internationales
L’Algérie a joué un “rôle effectif” dans la fourniture de l’assistance nécessaire aux migrants africains en fonction de ses capacités d’aide et de sa politique de solidarité, a affirmé le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH). “Par rapport à sa situation géographique et eu égard aux traditions de bon voisinage et d’engagement envers l’Afrique, et plus précisément vers les pays subsahariens, l’Algérie a joué un rôle effectif dans la fourniture de l’assistance nécessaire aux migrants africains, en fonction de ses capacités d’aide et de sa politique de solidarité et a toujours exprimé sa volonté de traiter profondément ce phénomène et d’y trouver les solutions appropriées”, souligne la même instance dans un communiqué.
L’Algérie “a appelé au renforcement du rôle des organisations internationales compétentes dans la lutte contre le phénomène de la migration clandestine, qui a imposé aux États d’agir d’une manière à protéger leurs frontières et à préserver leurs sécurités intérieure et extérieure”, avance le Conseil, rappelant “les grands efforts” déployés par l’Algérie pour protéger les migrants et assurer leur retour dans de bonnes conditions vers leurs pays d’origine, sur la base d’accords antérieurs conclus avec ces États. Le CNDH a également insisté sur “le droit souverain de l’État à surveiller son territoire et à en réglementer l’entrée et la sortie, en conformité avec les principes reconnus et établis par le système des droits de l’Homme des Nations unies, dans ce domaine”.
Dans ce cadre, le Conseil a présenté une série de recommandations, à savoir “l’adoption d’une approche participative et humanitaire garantissant la dignité humaine dans la gestion du phénomène de la migration clandestine”, invitant “les pouvoirs publics à promouvoir une approche participative de la société civile dans la mise en œuvre des stratégies de gestion des flux de la migration clandestine et renforcer les capacités des organisations de la société civile à l’effet de leur permettre d’accomplir au mieux leurs missions en matière des droits des migrants et des demandeurs d’asile”. Cette instance a également appelé à “concrétiser l’idée de mise en place d’un observatoire régional des migrations”, dont le siège serait fixé à Alger.
APS
562 d’entre eux ont été interceptés en l’espace de cinq jours
Ruée des harragas algériens vers l’Espagne
Selon les autorités ibériques, sur 962 personnes arrivées par mer depuis jeudi dernier, 562 sont des Algériens.
Plus d’un demi-millier de harragas algériens ont atteint les côtes ibériques, et ce, rien que durant cette semaine ! C’est l’information révélée par le ministère de l’Intérieur espagnol, relayé par l’AFP, qui déplore l’interception près des côtes de la ville de Murcie (sud-est de l’Espagne) d’un total de 962 migrants clandestins parmi lesquels figurent exactement 562 Algériens. “962 personnes sont arrivées par mer depuis jeudi 16 novembre, dont 562 Algériens. La moitié de ces migrants ont été interceptés non loin des côtes de Murcie, où ils ont été débarqués”, a précisé le ministère espagnol qui, s’avouant “débordé” par la situation, envisage de retenir une grande partie de ces migrants clandestins dans une prison de Malaga, faute de place suffisante dans les centres de rétention.
Cette option dénoncée par les ONG de défense des droits de l’Homme, a été encore défendue hier sur les ondes d’une radio locale, par le ministre Juan Ignacio Zoido. “Nous considérons qu’il est bien mieux que les immigrés soient dans un centre (….) avec des moyens sanitaires, des douches, du chauffage, des lits, des salles de sport, que de les mettre dans des campements comme nous en avons vu dans d’autres pays.” Tels sont les propos tenus par le membre du gouvernement espagnol, également rapportés par l’AFP.
Avant-hier, faut-il le rappeler, 45 autres harragas algériens interceptés par les gardes-côtes libyens ont été remis aux services de sécurité algériens. Pas plus tard que samedi dernier, les unités des gardes-côtes des forces navales de l’Armée nationale populaire (ANP) ont procédé, en l’espace de 48 heures seulement, à l’interception et le sauvetage de 286 candidats à l’émigration clandestine à bord d’embarcations de fortune.
Il ne se passe, en effet, pas une semaine sans que les flots rejettent des cadavres de jeunes noyés le long des côtes de la Méditerranée ou que des centaines de candidats à l’émigration illégale ne soient sauvés par les forces navales des pays du pourtour méditerranéen. Les chiffres traduisant cette réalité font peur. Il va de soi que parmi ces victimes on compte des Algériens.
Selon les récentes statistiques de l’Organisation internationale pour les migrations, 17 687 migrants ont atteint l’Espagne par mer du 1er janvier au 15 novembre, contre 5 445 sur la même période de 2016, 114 000 sont arrivés en Italie et 25 000 en Grèce. Parmi ces migrants figurent plusieurs centaines d’Algériens. C’est dire l’ampleur que prend ce phénomène. L’État algérien est allé, il y a quelques années, jusqu’à criminaliser les opérations de harga, dans l’espoir de dissuader les candidats à l’émigration clandestine de tenter cette aventure dangereuse. Le phénomène des harragas est ainsi “passible d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement”. Mais, visiblement, ce changement dans la législation n’a pas pesé sur le cours des événements et les flux de migrants se sont poursuivis sans discontinuer.
Si l’exode des populations de nombreux pays d’Afrique est plus ou moins justifié notamment par la dégradation de la situation sécuritaire et de l’instabilité, il est, en revanche, plus difficile de comprendre la “harga” en masse des Algériens, même après le retour relatif de la sécurité dans le pays.
Mais alors, qu’est-ce qui fait fuir autant d’Algériens, même après le retour de la sécurité dans le pays ? La situation économique reste la première cause qui pousse de nombreux Algériens à rêver de l’eldorado occidental, certes, mais pas seulement. Pour nombre d’observateurs, l’impasse politique qui floute l’avenir du pays constitue aussi l’une des causes qui découragerait de nombreux Algériens à rester au pays.
Désormais, le phénomène touche quasiment toutes les catégories sociales et tous les âges confondus. Ce qui n’était pas le cas auparavant, y compris durant la décennie noire…
Farid Abdeladim
Rapatriés dimanche de Libye où ils étaient détenus
Tébessa : prison avec sursis pour 45 harragas
Les 45 harragas détenus en Libye depuis plusieurs semaines, voire des mois pour certains d’entre eux et qui ont été rapatriés dans l’après-midi de dimanche dernier par voie terrestre, via le poste frontalier de Bouchebka, ont été présentés lundi devant le procureur de la République près le tribunal de Tébessa qui les a condamnés à deux mois de prison avec sursis. Le verdict a été bien accueilli. La libération des détenus rapatriés a été accompagnée d’une manifestation de joie des proches venus nombreux de différentes villes d’Algérie.
À la sortie du tribunal, les détenus et leurs proches ont longuement fêté l’événement au point de bloquer la circulation automobile pendant une trentaine de minutes. Le rapatriement s’est opéré après une négociation menée par les diplomates algériens avec les autorités libyennes, comme l’avait déclaré, lundi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Abdelaziz Benali Cherif, soulignant que cette opération s’est déroulée en “bonne intelligence et en étroite coordination avec les autorités libyennes compétentes”.
Il a précisé que les négociations entreprises avec les autorités libyennes ont été sanctionnées par la libération de tous les Algériens détenus en Libye.
M. Benali Cherif avait souligné que c’est le consulat d’Algérie à Gafsa en Tunisie qui s’est occupé du rapatriement. Les harragas, détenus en libye, ont été “libérés, respectivement, les 17, 18 et 19 novembre courant et ont été rapatriés par route, via la Tunisie, le 19 novembre 2017”.
À leur sortie du tribunal de Tébessa, les harragas rapatriés ont indiqué qu’ils étaient dans la prison de la ville côtière de Zouara, située à une quarantaine de kilomètres des frontières tuniso-libyennes, à Ras Jedir.
Certains détenus ont déclaré que ce sont les milices militaires libyennes qui contrôlent les centres de détention. Pour rappel ces détenus algériens ont tenté d’émigrer clandestinement vers l’Europe par la Libye, via la Tunisie.
Selon un détenu, c’est la voie la plus dangereuse vu que le pays est en guerre. Il met en garde tous les jeunes Algériens de ne pas tenter l’aventure. “Les conditions de détention en Libye sont terribles, ce sont des conditions inhumaines. Si nous avons eu cette chance d’être rapatriés grâce aux efforts de notre État, beaucoup de Subsahariens détenus périssent en mer ou en détention dans l’indifférence totale.”
À signaler que les rapatriés ont été soumis à des examens médicaux dès leur arrivée au poste frontalier, avant de passer la nuit dans des conditions confortables quant à l’hébergement et à la nourriture.
Rachid Ghorieb