Les entrepreneurs algériens à la police: « Donnez aux migrants des cartes de séjour »
Par Mehdi Alioui, Huffpost, 12 octobre 2017
De 08H à 16H, ils s’appliquent à faire monter les sacs de sables, à préparer le ciment ou décharger les briques des camionnettes pour 1500 Da la journée. Dans la soirée, ils restent cloîtrés. Pour se reposer, certes, mais également pour faire profil bas …
Zakaria, Keita ou encore Ibrahim sont ouvriers, ou “maçons”, comme ils se définissent. Ils sont tous Maliens et bâtissent depuis plusieurs semaines une villa dans le quartier Zina de Bordj El Kiffan, dans la banlieue est d’Alger. Comme d’autres ouvriers, de la même nationalité ou sénégalais, camerounais, nigériens, ils semblent faire le bonheur des entrepreneurs sur les chantiers à Alger.
Ils sont “plus forts, plus appliqués” et “coûtent moins cher” que les ouvriers algériens, disent les constructeurs algériens que nous avons rencontrés dans ce quartier. Mais cette “aubaine” ne vient pas sans soucis que ce soit pour les patrons, interdits de recruter des migrants, que pour les ouvriers étrangers venus du Sud, vulnérables, sans assurance et désormais “harcelés” par les forces de l’ordre qui veulent les expulser d’Algérie. Pour cette raison, ils refusent d’être filmés ou photographier.
Keita, 23 ans, est Malien. Il va de chantier en chantier dans la capitale depuis son arrivée en Algérie en 2015. Avant de jeter son ancre à Bordj El Kiffan, il travaillait déjà comme ouvrier dans la commune de Beni Messous, à l’ouest d’Alger. Il projette de poursuivre son périple au Maroc. Lui ne pense pas au Vieux Continent mais pense à rentrer au bercail, chez lui, au sud du Mali.
Quelle différence de paie entre le manoeuvre Subsaharien et l’Algérien ?
Chaque jour, Keita et ses compatriotes doivent soulever des briques, faire monter les sacs de sables aux étages supérieurs et préparer parfois le béton ou le ciment aux carreleurs.
Des tâches plutôt ingrates que les ouvriers locaux rechignent à exécuter mais pour lesquelles Keita et ses camarades ne touchent que 1500 Da comme rémunération journalière, explique au HuffPost Algérie le propriétaire d’une maison en construction.
Il précise néanmoins que cette rémunération de 1500 Da est minimale et dépend de la durée des travaux. “Officiellement, le service dure de 08H à 12H et de 13H à 16H mais cela nous arrive de travailler moins, en attendant la livraison de matières premières par exemple”.
Mais le salaire des ouvriers subsahariens reste tout de même en-deçà de celui des maçons algériens. “Pour 1500 Da, ils (montrant du doigt Keita et ses camarades) font monter toute la marchandise en une seule journée. Les ouvriers algériens, quant à eux, demandent au minimum entre 1800 et 2000 Da et, pire encore, ils mettent parfois plusieurs jours pour accomplir la tâche que les Maliens finissent en une journée”, ajoute-t-il.
Il tente également d’expliquer l’écart entre les paies par le profil des ouvriers, les Algériens, dit-il, sont meilleurs dans les tâches qui requièrent plus de “technicité”. “Nous ne pouvons pas employer des ouvriers subsahariens dans la plomberie ou l’électricité par exemple, car les notres sont bien meilleurs. Le carreleur prend à titre d’exemple jusqu’à 3400 Da”, dit-il.
“En revanche, nous les préférons aux travailleurs locaux quand il s’agit de logistique, de soulever des briques, des sacs de sables ou de ciments. Ils sont plus forts et plus efficaces”.
Issam Ouaret, responsable d’un chantier à Bordj El Kiffan (Alger), explique pourquoi les entrepreneurs en Algérie préfèrent souvent les ouvriers subsahariens aux ouvriers algériens
Interrogé à son tour Keita confirme être payé 1500 Da mais précise que cette fourchette varie selon les travaux qui lui sont assignés. “Nous sommes payés 1500 Da au minimum mais cela dépend de notre travail. Quand il s’agit de faire monter les sacs de sable, les prix augmentent avec les étages”, dit-il. “A partir du 3e étage, c’est 4000 Da”.
Interrogé sur la méthode de tarification adoptée par les chefs de chantiers et cette préférence aux ouvriers algériens pour leur “technicité”, ce Malien est résigné et dit “ne pas savoir faire autre chose” de toute manière.
Ce n’est pas l’avis de Ibrahim, 19 ans, qui estime que les ouvriers Algériens sont “automatiquement préférés”, même quand ils sont moins bons techniquement.
Ce jeune migrant dit être ferrailleur, métier qu’il exerçait déjà au Mali. “Mais on ne nous recrutera pas pour ce genre de travail. Généralement, ils préfèrent les Algériens”, insiste-t-il.