Mali : Le processus de paix mis à mal par les violences
El Watan, 3 mars 2017
Réunion extraordinaire du G5 Sahel, quatre ans de présence militaire française au Mali, investissements de la communauté internationale, etc. Rien de tout cela n’a empêché les 385 attaques en 2016, coûtant la vie à 207 civils. Malgré ce bilan funeste, le Mali poursuit ses efforts pour lutter contre le terrorisme en organisant, en mars, une conférence d’entente nationale afin de réunifier toutes les composantes de la nation.
«Nous sommes confrontés à des problèmes récurrents, l’insécurité en est la principale cause. Cependant, l’Accord d’Alger doit aboutir sinon il finira une fois de plus dans la poussière de l’histoire et nous irons vers un autre processus», affirme un diplomate malien impliqué dans la mise en marche de l’Accord de Ouagadougou en 2013 et celui d’Alger en 2015. «Aucune situation ne devrait faire que l’on désespère. Les efforts consentis pour le Mali sont des décisions politiques et diplomatiques de partenaires régionaux et internationaux qu’il faut porter jusqu’à la résolution de la crise.
Ce qui est certain, c’est que l’Algérie s’est engagée au Mali, et au même titre en Libye, pour une solution politique. C’est un processus long et difficile.» L’insécurité omniprésente en Afrique subsaharienne est d’autant plus préoccupante que toutes les actions menées en dehors de l’Accord d’Alger sont les bienvenues, selon la partie malienne. D’ailleurs, lundi dernier s’est clôturé le sommet extraordinaire des pays membres du G5 Sahel portant sur «la situation sécuritaire au Mali et son impact dans le Sahel».
En effet, les chefs d’état-major du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Tchad et de la Mauritanie étaient à Bamako pour préparer cette réunion stratégique. La principale mesure à retenir est la création d’une force conjointe au Sahel. Les cinq pays membres du G5 vont fournir des troupes pour lutter contre le terrorisme dans la région et veiller à la sécurité des frontières. Le G5 Sahel a également annoncé la création d’une compagnie dénommée Air Sahel et qui dispose déjà de ses propres appareils.
Rapt
«Le G5 est un dérivé de toutes les tentatives d’union faites par le passé, et la question que l’on peut se poser est : quels intérêts cette force va réellement protéger sachant que les lourds investissements de la France et des pays occidentaux demeurent des cibles faciles ?» s’interroge Harouna Sidibé, économiste et altermondialiste malien, en précisant : «Presque quatre ans que la France est au Mali à travers ses deux missions : Serval, puis Berkhane.
Les Français ont repoussé des groupes djihadistes, pendant que d’autres ont pris leur place sur l’échiquier ardent d’AQMI.» Quoi qu’il en soit, les chefs d’Etat du G5 Sahel se sont engagés sur deux plans : le sécuritaire et le développement. En mettant au centre de leurs préoccupations la souveraineté du Mali et l’appui à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale.
Le prochain sommet du G5 Sahel se tiendra l’an prochain à Niamey, au Niger. Depuis quelques semaines, le Mali est en alerte suite au rapt d’une religieuse colombienne qui a été enlevée dans la nuit de mardi à mercredi dans le sud du Mali, à 400 km de Bamako, par des hommes armés. Selon les autorités locales, ces derniers sont partis avec elle dans un véhicule de la congrégation religieuse pour laquelle elle travaillait. «Cet enlèvement entache une fois de plus la sécurité au Mali et intervient au lendemain de la rencontre G5 Sahel.
Ce n’est quand même pas une coïncidence», fait observer un médecin malien et militant des droits de l’homme. «Depuis le début du conflit, les ONG ont commencé à quitter le pays les unes après les autres. D’un côté, il y avait le risque de se faire enlever, et de l’autre la possibilité de tomber sur des groupes armés qui exigeaient des soins et des médicaments. Ce n’est pas la première fois qu’ils s’en prennent à des religieux», regrette il.
Efforts
L’année 2016 a été une année très sombre en matière de droits humains au Mali. Pas moins de 385 attaques qui ont coûté la vie à au moins 332 personnes dont 207 civils dans le Nord et le Centre du pays. Par ailleurs, le Conseil de sécurité des Nations unies a, de son côté, accepté d’examiner l’opportunité d’infliger des sanctions à ceux qui feraient obstacle au processus de paix au Mali.
«Cette mesure est nécessaire pour le maintien du processus de paix, elle est une conséquence logique vu les dépassements répétitifs en termes de violences et de crimes commis sur le territoire malien», indique Nacer Bouhamla, politologue et essayiste attaché au questions liées au Sahel et de défense. «La Tunisie, la Libye et le Mali sont des priorités et des dossiers urgents que gère la diplomatie algérienne depuis des années, avec l’appui du président de la République. Il faut aller à terme pour repenser la région et son développent. Nous sommes tous en attente de quelque chose.
Il ne se passe rien que nous ne connaissons pas», dit-il, en ajoutant que «l’Algérie, par le biais de son ambassadeur au Mali, Ahmed Boutache, qui est également le président du Comité de suivi de l’Accord pour la paix, a affaire à tous les acteurs concernés. Des consultations se font régulièrement pour arriver au dialogue, même quand il s’agit du boycott de la CMA. La situation est délicate, les efforts sont permanents. Attendons la conférence nationale en mars pour déceler les nouvelles directives», conclut il.
Faten Hayed
Attaye AG Mohamed. Chargé des questions des droits de l’homme et membre de la CMA
Le gouvernement malien préfère réaliser d’autres chantiers au lieu d’aider à la construction de la paix
– Depuis l’Accord d’Alger, qu’est-ce qui a vraiment changé sur le terrain ?
En revenant au document signé en juin 2015 à Bamako, et à l’ensemble de son programme qui avait été ficelé par le Comité de suivi présidé par l’Algérie, le constat est vraiment inquiétant. Parce qu’on ne peut pas montrer des évolutions concrètes réalisées à travers l’Accord d’Alger. Aujourd’hui, il n’y a pas d’infrastructures ni d’autres chantiers de haut niveau qui attestent de l’application dudit Accord.
Sur le plan de la communication, on parle de l’Accord dans toutes les réunions officielles importantes, on parle également des commissions qui ont leurs prérogatives sur le papier, mais qui ne dépassent pas ce cadre. Aucune de ces commissions nommées à Bamako n’a encore au niveau local sa propre sous-direction ou une antenne opérationnelle.
D’un autre côté, on constate que le gouvernement malien tente de relancer des anciens chantiers. Alors qu’il est engagé dans un processus de paix laborieux avec les belligérants qui ont prouvé leur présence sur le terrain et qui ont accepté de collaborer. Le gouvernement malien préfère réaliser d’autres chantiers au lieu de renforcer et d’aider à la construction de la paix.
Ceci met davantage en difficulté l’Accord d’Alger, sachant qu’il y a d’autres paramètres qui n’ont pas été pris en compte, notamment les questions qui ont fait débat, comme par exemple la période intérimaire qui avait pour mission d’organiser les élections, préparer les sites pour le retour des réfugiés, constituer un répertoire électoral transparent, de discuter ou donner son avis sur la nouvelle loi électorale, le découpage territorial. Mais, visiblement, il y avait un autre agenda en parallèle qui s’est mis en place, celui de Bamako.
– Pensez-vous que l’Algérie joue pleinement son rôle à travers le Comité de suivi de cet accord ?
C’est un fait, le gouvernement algérien s’est toujours montré incontournable dans la résolution des conflits dans la région du Sahel. Une fois de plus, la communauté internationale lui confie la direction des négociations ; c’est l’Algérie qui préside le Comité de suivi de l’Accord. L’Algérie est également présente dans la réalisation de certains projets de coopération, rappelle la responsabilité et l’engagement de tous dans ce processus, et sait très bien ce qui se passe sur le terrain.
Cependant, on constate souvent le silence d’Alger sur certaines questions. Rebondir et faire l’arbitrage, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant pour un pays qui est chef de file de la médiation et qui dirige le comité de suivi de l’Accord d’Alger. En termes de mise en garde et de mobilisation, l’Algérie peut faire beaucoup mieux et s‘impliquer avec fermeté. Sans oublier que sur le plan de l’action humanitaire, l’Algérie dispose de sa propre organisation qui avait fait son travail sur les frontières en 2012 et la région de Kidal. D’ailleurs, il existe un projet d’aide humanitaire dans l’accord, mais qui peine à démarrer.
– Le mois prochain se tiendra une importante conférence à Bamako ; qu’en attendez-vous?
La prochaine conférence de haut niveau doit être l’occasion pour tous les acteurs de recadrer rigoureusement l’Accord d’Alger. Le gouvernement malien doit respecter ses engagements et cesser de faire semblant de nier l’existence de tous les groupes. Ce sont des groupes politico-militaires qui sont dans l’Azawad et qui ont un projet de société et assurent la sécurité dans certaines villes bien mieux que les forces étrangères.
Faten Hayed