Non-intervention
par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 25 mai 2014
Aucun débat sur les questions stratégiques n’est inutile. Le fait que l’Algérie se retrouve dans une géographie tumultueuse avec des problèmes dans des pays voisins, de la Libye au Mali, ne dispense pas d’en discuter. Bien au contraire. Plus le débat est public et contradictoire plus il est utile, même si on ne peut échapper, sur ses questions, aux risques de mises à l’index. Ces derniers temps, à la faveur de la dégradation de la situation en Libye et aussi au Mali, la doctrine de «non-intervention» de l’armée algérienne hors de ses frontières a été discutée. Ceux qui appellent à la révision de cette doctrine soutiennent que l’Algérie ne peut rester dans la position du «spectateur» quand des évènements lourds se déroulent dans son voisinage immédiat. L’évolution chaotique de la situation en Libye et au Mali au cours des dernières semaines sert d’argument et de toile de fond de ce qu’on pourrait appeler les interventionnistes.
Dans le cas de la Libye, la non-intervention de l’Algérie au bon moment -et son incapacité à mettre la pression sur Kadhafi dès le début de la crise- a été compensée ou exploitée par les Occidentaux pour y intervenir en se permettant, au nom du devoir de protéger, une lecture très discutable des résolutions du Conseil de sécurité. La suite, on la connait. En Libye, où les « nouvelles élites» sont très hostiles à l’Algérie, il y a un chaos politique durable qui pose de sérieux problèmes.
En somme, l’Algérie paye pour avoir choisi d’être attentiste alors qu’il fallait qu’elle soit proactive. Au Mali, on lui reproche même de ne pas être intervenue alors que les autorités de Bamako le souhaitaient et laissaient entendre que les problèmes du nord du Mali sont une «exportation algérienne» de djihadistes. Mais ce n’est pas un véritable argument. «L’exportation algérienne» en question s’est greffée d’abord d’un problème malien endémique d’intégration des populations du Nord. Ce problème demeure même après la dispersion des djihadistes qui tenaient le nord du Mali. L’argument des partisans d’un dépassement de la doctrine de la non-intervention est qu’en se privant d’agir au moment qu’il faut dans le voisinage, l’Algérie ne sera pas pour autant prémunie des conséquences de la dégradation de la situation. En clair, on peut avoir eu raison de dire que l’intervention de l’Otan en Libye fera plus de mal que de bien, cela n’empêchera pas d’avoir à en subir les effets. Mais cela justifie-t-il pour autant de changer de doctrine et de prendre le risque de s’envaser dans les théâtres extérieurs ? Les mêmes arguments peuvent être retournés pour défendre l’option traditionnelle. L’intervention française au Mali ne règle aucun des problèmes de ce pays. Paris est obligé de maintenir une force pour préserver un statuquo fragile et qui peut être rapidement remis en cause comme en témoignent les derniers évènements. On peut toujours regretter que la présence politique algérienne -qui inclut le travail des services, lesquels sont par nature non soumis au principe de non-ingérence- n’ait pas été efficace au cours des dernières années.
Mais, la diplomatie serait-elle performante alors que l’ensemble du système ne l’est pas ? Aller sur des théâtres extérieurs devenus explosifs est un pas très risqué qui ne peut être franchi avec légèreté. A plus forte raison quand on a un système en crise qui a besoin d’abord de changer radicalement et de recréer le lien avec les citoyens.