Pourquoi tout le monde lâche le MNLA

Mali

Pourquoi tout le monde lâche le MNLA

El Watan, 15 novembre 2013

Kidal est sous pression depuis l’annonce du retrait du MNLA, dimanche dernier. Hier, des partisans du Mouvement ont saccagé des bâtiments publics. Mauvais calculs des leaders de la rébellion touareg. Eclairage.

«Ne nous ne méprenons pas : les discours d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) depuis son élection n’ont rien changé à la situation désastreuse qui prévaut à Kidal, déclare un haut gradé malien du ministère de la Défense. IBK collabore étroitement avec la France, comme à l’époque d’ATT. Aujourd’hui, le MNLA a été déchu par la France. Paniqué par l’exécution des deux journalistes français, il était prévisible dans un premier temps que le MNLA quitte Kidal. On peut espérer un désarmement par la suite. Un processus logique, qui ne signifie pas dissolution du mouvement rebelle.» Le 10 novembre dernier, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) informait, dans un communiqué officiel, «l’opinion nationale et internationale qu’il s’est engagé à quitter le gouvernorat et la Radio de Kidal le 14 novembre 2013, selon les termes de l’accord-cadre signé, sous l’égide de la communauté internationale, par le MNLA en juin 2013 à Ouagadougou». Cet engagement entre dans le cadre de «l’accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux négociations de paix de Ouagadougou».

Une décision qui a bouleversé les partisans et certains décideurs du MNLA. «A Kidal, cette nouvelle a troublé la population. Certains habitants veulent quitter la région puisqu’ils craignent des représailles de la part de l’armée malienne quand elle sera sur place, à la place du MNLA, affirme un vétéran du mouvement. L’épisode de juin dernier, qui nous a obligés à interpeller des habitants noirs de Kidal, a marqué tout le monde. Depuis que le MNLA a annoncé le retrait de Kidal, une vague d’indignation s’est abattue sur nous, comme si la décision nous appartenait.» Ce témoignage rejoint l’étonnante déclaration d’un haut cadre du MNLA et ancien membre du gouvernement malien qui nous avait confié, il y a quelques mois, que le projet du MNLA devra attendre quelques années : «L’Azawad devra patienter. Ce n’est pas encore le jour de gloire de notre cause, ceci ne veut pas dire que nous sommes des traîtres. Nos différentes alliances et divisions au sein du groupe nous ont fragilisés et décrédibilisés auprès de notre jeune nation. Nous patienterons encore pour que l’Azawad se libère.»

Ouaga 2000

Pour Jean-Marc Soboth, journaliste et expert camerounais en politique africaine, un mouvement comme le MNLA «ne survit qu’en fonction du soutien diplomatique, financier et militaire de groupes islamistes conjugué à celui de prédateurs de l’OTAN, qui envisagent de fragiliser des pays africains comme on l’a encore noté dans un récent rapport du ministère français de la Défense. Ce mouvement ne se “stabiliserait“ donc qu’en fonction de calculs géostratégiques. Rappelons qu’au Mali on est en pré carré de la France. Ce pays seul mobilise l’Union européenne et Barack Obama autour du Mali selon son point de vue et non celui des Maliens ; il poursuit discrètement son action à Ouaga 2000 (hôtel prestigieux de Ouagadougou où se rencontrent les hauts cadres ouest-africains). La France décide d’envoyer le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Acharif, signer un accord multipartite.

Que restera-t-il du mouvement ? Paris me semble avoir encore besoin du MNLA non pas pour la légitimité de ses revendications, mais comme trublion “indépendantiste“ dans une zone stratégique où on continuera d’avoir besoin des bons offices de Paris.» Les groupes armés ont beaucoup profité du vide institutionnel des structures sociales et économiques à Kidal, ce qui a également fragilisé les positions du MNLA sur les plans sécuritaire et politique. «La proximité des groupuscules terroristes est quasiment congénitale au MNLA et leur influence (de ces groupuscules) sur le mouvement est inévitable. Mais ce que les responsables du MNLA ont le mieux réussi, c’est de rester dans les bonnes grâces de la France en flirtant avec les groupes terroristes», conclut-il.

Stabilité

Si la France est pointée sévèrement du doigt, l’Algérie ne semble pas jouer un rôle prédominant dans ce retrait. «L’Algérie ne veut pas être assimilée au MNLA. Bien qu’elle ait tenté, quelques semaines avant l’élection présidentielle malienne, de trouver une énième solution en conviant quelques cadres du MNLA à Alger, explique Mohamed Rachedi, chercheur indépendant et spécialiste des problématiques sécuritaires du Sahel, le MNLA a démontré qu’il était un groupe girouette, divisé et tiraillé de l’intérieur même de son administration. L’Algérie devra s’assurer de sa stabilité à long terme, à cause de ses frontières infernales !»

D’un autre côté, Jean-Marc Soboth renchérit en expliquant que «la question qui devrait venir spontanément à l’esprit est la suivante : que cache ce spectacle qui se déroule justement à Ouagadougou chez Blaise Compaoré, l’Africain de l’Elysée ? J’y vois une stratégie visant à apaiser “l’humiliation“ de Bamako, notamment celle du nouvel homme fort, IBK, allié de la France, quant à cette région restée hors de contrôle du pouvoir malien. Il n’est pas exagéré d’y subodorer une nouvelle étape du processus de sécurisation politique d’une riche région qui s’étend aux gisements d’uranium d’Areva et aux sous-sols miniers en général. N’hésitons pas à aller plus loin : la France et ses alliés préparent l’avenir. Et l’avenir c’est l’Algérie entre autres.»

Le MNLA évacue les bâtiments publics à Kidal :

Des partisans de la rébellion touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ont saccagé, hier, des bâtiments publics à Kidal, dans le nord-est du Mali, pour protester contre la décision de leurs chefs de quitter certains de ces locaux occupés depuis plusieurs mois, ont indiqué des sources concordantes.

Des hommes du MNLA demeuraient toutefois, hier après-midi, au gouvernorat et au siège de l’ORTM, qu’ils occupent depuis environ neuf mois. Hier, en début de soirée la rébellion du MNLA a évacué les bâtiments publics à Kidal. APS

Faten Hayed


Bakary Sambe. Enseignant-chercheur à l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (Sénégal)

Le MNLA piégé par ses propres jeux politiques

– Le MNLA s’est engagé à quitter Kidal hier, une décision qui ne fait pas l’unanimité au sein du groupe. Quelle lecture en faites-vous ?

C’est une décision inattendue au regard des derniers événements qui, malgré la revendication d’AQMI, laissent planer des doutes sur le rôle du MNLA. Ce changement d’attitude soudain et cette volonté de se conformer aux accords de Ouagadougou ne sont pas anodins et auraient des soubassements non avoués, bien que le texte du communiqué du MNLA tente de rassurer ses sympathisants en ces termes : «La décision a été mûrement réfléchie et vise à éviter une escalade dans les souffrances que le vaillant peuple de l’Azawad n’a déjà que trop enduré.»

– Pourquoi le MNLA n’arrive pas à se stabiliser ? Que reste-t-il finalement du mouvement?

C’est un mouvement qui se cherche. Tantôt nouant des alliances objectives avec les groupes djihadistes pour la rente que constituent les rançons d’otages, mais souvent s’affirmant comme un mouvement politique laïque pour s’attirer la respectabilité de l’Occident et faire valoir une respectabilité sur la scène internationale. Mais il est troublant de constater ce phénomène de vases communicants permettant de passer allègrement du djihadisme à la cause nationaliste. Il y a matière à creuser dans cette incessante valse politique du MNLA.

– Peut-on dire que les groupuscules terroristes ont dévié les objectifs du MNLA ?

Le MNLA s’est retrouvé piégé par ses propres jeux politiques. Il essuie des accusations tous les jours de manière allusive par la classe politique malienne comme faisant le lit du djihadisme tout en étant la main implacable de Paris dans cet imbroglio politico-diplomatique – certains diraient cette tragi-comédie qui se joue au Nord du Mali. En fait, au mouvement nationaliste est arrivé ce qui a été toujours fatal à toutes les luttes politiques, l’embourgeoisement de la direction et l’instauration d’une culture de salons diplomatiques, éloignant ceux qui devaient porter la cause des réalités du terrain mais aussi des objectifs initiaux de la lutte qu’ils sont censés mener.

– Le Mali est-il toujours en guerre ?

Il y a eu dès le début justement un conflit de perception de la question du Nord-Mali. Les Occidentaux sont restés dans le schéma romantique d’une lutte plus ou moins juste pour l’autodétermination menée par les «hommes en bleu», attirant une certaine sympathie inavouée. Alors que dans la classe politique malienne, l’idée de groupes touareg antichambre du djihadisme et complice de l’Occident reste la plus partagée. Les dernières larmes d’IBK me semblent plus être versées pour impuissance que par simple compassion pour la France en deuil.

– Pensez-vous que les législatives, le 24 novembre prochain, s’y tiendront sans entrave ?

On s’avance vers les législatives entourées encore de mille compromis contradictoires comme à l’approche de la présidentielle, au lendemain des accords de Ouaga. Et on peut dire aujourd’hui qu’au Mali, les élections se sont passées, mais les problèmes demeurent entiers. Eternel recommencement de la communauté internationale noyée dans la forte influence de la France dont les autorités sont encore partagées entre position de principe et réalisme politique.

Faten Hayed