«Depuis la signature de l’accord de paix, l’insécurité s’élargit à d’autres localités du Mali»

Issa Fakaba Sissoko. Journaliste à la radio malienne Studio Tamani

«Depuis la signature de l’accord de paix, l’insécurité s’élargit à d’autres localités du Mali»

El Watan, 25 juillet 2017

Le représentant spécial des Nations unies en Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn Chambas, a averti il y a quelques jours que le conflit au Mali s’étend désormais au Burkina Faso et au Niger, avec une forte augmentation du nombre des attaques de groupes terroristes dans les régions frontalières ces derniers mois.

– L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali célèbre pratiquement sa deuxième année. Où en est-on dans son application ?

Deux années après la signature de cet accord, difficile de se réjouir du bilan de manière objective. Car le calendrier de mise en œuvre est véritablement en retard, même si les principaux acteurs évitent de parler de bilan négatif. Il est vrai que certaines réformes prévues par l’accord, notamment dans son volet politique, tardent à se mettre en place.

C’est le cas, par exemple, de la mise en place d’un Sénat, prévue dans le projet de Constitution, dont le référendum suscite des divergences au sein de la classe politique et plusieurs organisations de la société civile. Si la signature de l’accord, le 15 mai et le 20 juin 2015, a permis de mettre fin aux affrontements entre l’armée malienne et les ex-rebelles, elle n’a pas pour autant permis de réduire l’insécurité dans le pays. Au contraire, les attaques terroristes se multiplient, rendant difficile un accord déjà fragile.

Aussi, le respect du cessez-le-feu entre la CMA et la Plate-forme a du mal à être appliqué, malgré les menaces de sanctions prévues dans la dernière résolution du Conseil de sécurité prorogeant le mandat de la Mission de l’ONU au Mali. Depuis la signature de l’accord, l’insécurité s’élargit à d’autres parties du pays, notamment dans la région de Mopti (au centre), où plus 500 écoles restent fermées du fait de l’insécurité et de l’absence de l’Etat dans de nombreuses localités. En revanche, comme acquis, on peut citer la tenue de la Conférence d’entente nationale et la mise en place des autorités intérimaires à Gao, Tombouctou, Ménaka.

– A quel niveau y a-t-il encore blocage ?

Fondamentalement, la mise en œuvre de l’accord pose problème à plusieurs niveaux, même si officiellement les acteurs refusent de parler de «blocage». Le processus de mise en place des autorités reste encore inachevé. Celles de Kidal, Taoudénit ne sont pas encore opérationnelles. Le retour de l’administration publique malienne, initialement prévue le 20 juin dernier, a été reporté au 20 juillet. Cette date ayant aussi été reportée.

Officiellement, le gouvernement du Mali, à travers son ministre de la Défense, accuse les groupes armés de la CMA et de la Plate-forme d’être «les responsables» de ce report. Il avance comme arguments les récents affrontements intervenus entre les deux groupes dans la région de Kidal. En clair, l’opérationnalisation du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) à Kidal, le retour de l’Etat, les patrouilles mixtes et les opérations de désarmement, de cantonnement et réinsertion des ex-combattants devraient encore attendre.

A ce jour, tous les observateurs avertis sont unanimes pour dire que les conditions sécuritaires ne permettent pas à l’administration publique de s’installer à Kidal. Par ailleurs, l’une des étapes de la mise en œuvre de l’accord, c’est aussi la révision de la Constitution pour permettre, selon le gouvernement, «la prise en compte de certaines dispositions de l’accord». Cette révision est aujourd’hui confrontée à une violente opposition d’une partie de la classe politique et des organisations de la société civile.

– Des accrochages meurtriers sont régulièrement signalés entre des membres des Gatia et des éléments de la CMA. Le dernier en date remonte au 11 juillet et a eu pour théâtre Anefis. A quoi cela est-il dû ? Cela ne risque-t-il pas de compromettre la mise en œuvre de l’accord de paix au Mali ?

Tout à fait, et ces affrontement sont réguliers. Le dernier en date a d’ailleurs fait plusieurs morts de part et d’autre, même s’il est difficile d’avoir un bilan officiel précis. Si les combats ont cessé, la tension reste vive entre ces groupes rivaux. Ces affrontements sont intervenus alors qu’un chronogramme de retour de l’administration à Kidal était prévu ce 20 juillet. Mais, comme je viens de vous le dire, cette date a été reportée et le gouvernement (à travers le ministre de la Défense) tient pour «responsables» les groupes armés de ce report de l’Etat à Kidal.

La raison fondamentale de ces affrontements est sans doute la bataille de positionnement pour le contrôle de la région de Kidal entre le groupe d’autodéfense Gatia et les ex-rebelles. Si, officiellement, les groupes armés signataires de l’accord récusent toute implication dans le trafic de drogue et d’armes, plusieurs observateurs pensent en revanche que le contrôle des routes de ce trafic est l’un des facteurs de cette rivalité.

Aujourd’hui, il est clair que la paix au nord du Mali, notamment dans la région de Kidal, passe par la réconciliation des communautés Imghad (majoritairement du Gatia) et Ifoghas (majoritairement de la CMA, dont le MNLA et le HCUA). La rivalité entre ces deux communautés est fondamentalement l’une des raisons des tensions à Kidal.

– Les Maliens veulent-ils toujours de cet accord ?

Sur cette question, les avis sont partagés. Si vous vous rappelez, depuis la signature de l’Accord d’Alger en mai et juin 2015, plusieurs organisations de la société civile et des partis d’opposition ont exprimé leur opposition au document. Car, selon eux, ledit accord est «une trahison pour le pays» et consacre «la partition du pays». Il est clair qu’aujourd’hui ces acteurs pensent que l’histoire leur donne raison au regard des difficultés dans la mise en œuvre de l’accord. En revanche, les partisans du régime ne l’entendent pas de cette oreille. Selon eux, l’accord reste d’actualité.

En janvier dernier, au cours d’une conférence de presse lors du Sommet Afrique-France, un journaliste qui a demandé si l’Accord d’Alger était «caduc», s’est heurté à la colère du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta.
On comprend donc que l’accord divise une partie des Maliens et certains vont plus loin et s’interrogent sur «la sincérité de l’Algérie» dans la crise malienne.

Car, selon eux, les négociations conduites par le facilitateur algérien accorderaient «la part belle» aux ex-rebelles. En attendant que les lignes bougent, les réfugiés, qui sont dans des camps dans les pays voisins, doivent prendre leur mal en patience. Entre-temps, l’insécurité fait sa loi dans les localités (au centre comme au nord du pays) qui échappent au contrôle de l’Etat.

Zine Cherfaoui