Les dynamiques politiques à l’œuvre dans l’Azawad (Nord-Mali)

Les dynamiques politiques à l’œuvre dans l’Azawad (Nord-Mali)

El Watan, 12 août 2013

Si la France, à travers l’opération Serval, précipita le calendrier arrêté par les Nations unies pour une intervention militaire, en prenant, seule, l’initiative d’attaquer les forces djihadistes, le 11 janvier 2013, elle a également contribué à la redistribution des cartes politiques au Nord-Mali en créant les conditions d’une nouvelle situation politique dont le point d’orgue est l’accord de Ouagadougou et l’élection présidentielle de juillet 2013.

La compétition actuelle ainsi que les alliances qui se sont nouées, depuis l’Accord de Ouagadougou, entre les différentes forces pour se positionner dans le nouvel échiquier politique qui va être mis en place, permettent d’entrevoir les contours de cette nouvelle situation politique au Nord-Mali. L’enjeu principal étant «les négociations inclusives», prévues par le dernier accord, sur le futur statut juridique et politique de l’Azawad. Ces forces politiques en présence au Nord-Mali peuvent être rangées en deux catégories : les pro-Maliens et l’opposition ou les contestataires de l’ordre établi.

Les pro-Maliens

Les pro-Maliens ou les loyalistes sont structurés dans la «plateforme des Kel Tamasheq», mouvance présidée par le député de Menaka, Bajan Ag Hamatou et initiée par Moussa Mara, maire de la commune IV de Bamako, et candidat à la présidentielle de juillet 2013. Les adhérents à cette alliance, qui sont plus nombreux à Bamako et dans les rouages de l’Etat que dans l’Azawad, rejettent au nom de la loyauté à l’Etat non seulement les revendications des nationalistes touareg, dont entre autres la référence à un territoire dénommé «Azawad», mais également celles des islamistes qui visent l’instauration d’un Etat théocratique. Il faut se rappeler que Bajan Ag Hamatou est également le leader de la chefferie des Iwellemeden et, à ce titre, conteste le leadership de celle des Kel Adagh sous la houlette du patriarche des Ifughas, Intalla Ag Attaher, et président du HCUA, dont le fief est la région de Kidal.

A cela s’ajoutent les milices paramilitaires d’autodéfense Gandakoy, qui perpétuent les clivages nomades contre sédentaires, Noirs contre Blancs hérités de la domination coloniale française et repris par le régime socialisant de Modibo Keita, à l’indépendance du Mali en 1960. L’idéologie de la milice Gandakoy, dont l’appellation signifie «ceux de la terre) en langue songhaï, est basée sur la primauté des sédentaires sur les nomades. Leur discours fait référence au passé glorieux de l’empire songhaï, dont la boucle du fleuve Niger fut le bastion historique.

Ils considèrent les nomades, essentiellement les Touareg et les Maures arabophones, comme des extra-muros qui appartiennent au monde sauvage du dehors, de la brousse, du nomade razzieur, esclavagiste, fainéant et sans attache territoriale. Image qui contraste avec le monde humanisé et apprivoisé des sédentaires attachés à la terre et se nourrissant de leur labeur. Au nom de cette idéologie, la milice Gandakoy a toujours rejeté les revendications politiques des autres organisations azawadiennes, en se rangeant du côté de l’Etat malien dans ses difficiles rapports avec elles.

L’autre mouvance politico-économique est celle des Maures arabophones, qui s’assument comme «Arabes du Mali». Très actifs économiquement, beaucoup d’entre eux soutinrent financièrement et politiquement le régime d’ATT dans sa guerre contre les rebelles touareg, en fournissant des milices armées en échange d’ériger le désert de Taoudenni en région. Ce projet, qui permet d’offrir aux Arabes maliens un fief qui leur est propre sur le triangle stratégique pour les échanges en tous genres entre le Maghreb et le Sahel, était en voie d’accomplissement lorsqu’ATT fut renversé.

Loin d’être homogène, les Arabes du Mali sont structurés au sein de l’Alliance de la communauté arabe du Mali (Alcarama) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et, à ce titre, traversés par différents courants politico-religieux. On leur attribue un rôle important dans le financement de groupes islamistes qui ont dominé la région, ce qui explique le pogrome et la destruction de leurs biens, à Gao et Tombouctou, dont ils furent victimes, après la chute des djihadistes.

La défaite des djihadistes, l’affaiblissement de l’Etat malien, les tensions avec le MNLA sur le contrôle de la ville stratégique d’In Khalil, frontalière avec l’Algérie, et le désir de revenir sur la scène ont poussé le MAA, branche armée de la mouvance arabe, à répondre favorablement à l’invitation du gouvernement malien à se joindre, avec le Gandakoy, aux négociations de Ouagadougou. Mais le rejet des deux principaux mouvements politico-militaires, que sont le HCUA et le MNLA, de les voir intégrer la négociation, eut pour effet le rapprochement entre les deux milices et fit d’eux des alliés objectifs. Alliance qui fut scellée par un accord entre les deux milices. Il faut se rappeler que ces deux organisations, créées du temps d’ATT, se seraient alliées avec le Mujao pour chasser le MNLA de Gao, en avril 2012. Elles entendent ainsi peser de leur poids, lors de prochaines négociations, sur le statut juridique de l’Azawad, prévues par l’Accord de Ouagadougou.

Les contestataires

A la veille de l’opération Serval, le mouvement touareg était traversé par deux courants politiques antagoniques : un projet, bien que conçu localement à partir de la conversion de certains réseaux locaux de la secte islamiste pakistanaise de la Tablighe Jama’aât en un salafisme djihadiste, qui se rattache au projet islamique mondial, mais orienté localement vers l’islamisation de la rébellion historique targuie. Ce projet était porté par Ançar Eddine qui fut vaincu militairement par l’intervention étrangère. Un autre courant plus ancré dans l’histoire de la contestation des Touareg maliens à l’égard de l’Etat central est représenté par le MNLA, dont le projet politique, notamment les questions relatives à la laïcité et à la notion de l’Etat, est aux antipodes de celui des islamistes qui prônent l’application de la charia.

Le discours politique du MNLA est axé sur la reformulation de la contestation targuie dans un discours en adéquation avec le langage des institutions internationales des droits des minorités, à l’exemple du droit à l’autodétermination, dont il fait le principal axe de son programme politique.

-L’autre mouvance politique targuie est le Haut conseil de l’unité de l’Azawad (HCUA), cosignataire avec le MNLA de l’Accord de Ouagadougou. Lors de sa création, ce conseil était dénommé le Haut Conseil de l’Azawad (HCA). Ici, le terme «conseil» renvoie à la concertation et à l’organisation politique traditionnelle qui tranche avec celle en «mouvement» qui a davantage une connotation militaire, tout en gardant cependant la référence au territoire de l’Azawad. Par la suite, on lui a accolé le vocable de «unité» pour faire écho de l’entente qu’il eut avec le MNLA, pour former une délégation unique en vue des négociations.

La création du HCUA est le résultat d’un compromis politique entre le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), fondé à la suite de l’intervention Serval, par l’aile modérée d’Ançar Eddine et la chefferie traditionnelle des Ifughas, sous la responsabilité du patriarche Intalla Ag Attaher, qui en devient président, prenant ainsi ses distances avec le MNLA. Il faut se rappeler que la chefferie des Ifughas, dont la légitimité est basée sur l’idéologie chérifienne, prit position contre les salafistes, ce qui l’a poussé à se rapprocher des indépendantistes touareg du MNLA. Le projet politique du HCUA est de se constituer en société civile, capable de porter les revendications des Azawadiens après les désarmements des combattants et la dissolution des mouvements politico-militaires prévus par l’Accord de Ouagadougou.

La nouvelle approche de l’état et la perception de l’opinion malienne de la question targuie

Quand, en 1991, la délégation du gouvernement malien, sous le général Moussa Traoré, était venue à Tamanrasset négocier le premier accord entre une organisation politico-militaire targuie et un Etat, et ce, depuis la décolonisation, non seulement le nombre des Touareg dans les institutions étatiques de ce pays se comptaient sur les doigts d’une seule main, mais la région de Kidal était déclarée «zone militaire interdite aux étrangers». Force est de constater que, 22 ans après, la situation est différente. En effet, cette fois-ci, non seulement beaucoup de cadres touareg se trouvent dans l’armée et dans l’administration centrale et les hautes sphères de l’Etat, à la faveur de différents accords passés, mais il se trouve même que parmi la composante de la délégation chargée de négocier le nouvel accord, figuraient certains ressortissants de la communauté targuie du Nord, alliés au pouvoir central ou occupant des fonctions supérieures dans la haute administration.

Autre fait nouveau, la délégation qui négocia l’Accord de Ouagadougou était présidée par Tiebelé Dramé, une personnalité politique issue du mouvement démocratique des années 1990. Il a connu le Nord, où il y fut emprisonné par Moussa Traoré. Ainsi, même si la perception des vieilles élites politiques et des Maliens du Sud, de leurs concitoyens des communautés arabe et touareg ne s’est toujours pas affranchie des clichés anciens, hérités de la domination coloniale, 50 ans après l’indépendance, les jeunes élites politiques, notamment celles issues du mouvement estudiantin des années 1990, à l’exemple de Tiebelé Dramé, semblent commencer à appréhender de manière plus nuancée les problèmes du Nord en associant ses ressortissants à la négociation.

Toutefois, le pogrom contre les membres des communautés arabo-targuies, les commentaires haineux et les écrits de certains journaux de la presse malienne qui les stigmatisent et les assimilent aux groupes djihadistes et à la rébellion et considérés comme les responsables des malheurs du pays, montrent l’ampleur du travail à accomplir pour ressouder les liens sociaux et favoriser l’émergence d’un vouloir vivre ensemble au sein de la société malienne.
Le docteur Dida Badi Ag Khammadine