Les Maliens et les Touareg face à leurs responsabilités

L’accord de Ouagadougou salué unanimement au Mali et à l’étranger

Les Maliens et les Touareg face à leurs responsabilités

El Watan, 20 juin 2013

A l’exception du Forum des organisations de la société civile du Mali (FOSCM, coalition d’ONG), dont le président Mamoutou Diabaté a critiqué avec véhémence l’accord intérimaire de cessez-le-feu conclu, mardi à Ouagadougou, entre le gouvernement malien de transition et les rebelles touareg du MNLA, la majorité de la classe politique à Bamako a globalement soutenu hier l’initiative du président Dioncounda Traoré d’enterrer la hache de guerre et de chercher à trouver une solution politique négociée avec les représentants des populations de l’Azawad.

Ouagadougou (Burkina Faso)
De notre envoyé spécial

Celles-ci s’étaient, rappelle-t-on, rebellées en 2012 contre le pouvoir central pour dénoncer leur «abandon total» par Bamako. Le constat est de bon augure pour le dialogue intermalien qui doit s’ouvrir en automne prochain à Bamako et qui aura la lourde charge de plancher sur une solution durable à la crise du Nord-Mali. Le futur président malien, dont le nom sortira des urnes les 28 juillet prochain, disposera, en tout cas, du consensus requis pour mener les réformes qui s’imposent afin de réconcilier les Maliens. Si Mamoutou Diabaté du FOSCM estime que l’accord fait la part belle aux groupes armés touareg dans la mesure où ceux-ci ne déposeront pas immédiatement les armes et que c’est finalement «sous conditions que l’armée malienne entrera à Kidal».

Pour M. Koïta, l’accord de Ouagadougou signifie au contraire «la libération totale du Mali, la libération des populations maliennes et l’amorce d’un important processus de paix». Dans le fond, le leader du PS malien n’a pas tort, car les rebelles touareg ont, en bout de course, fini par abandonner leur revendication d’indépendance. Ils se sont engagés en effet à respecter l’intégrité territoriale du Mali et la nature républicaine et laïque de l’Etat malien.

A ce propos, Tiebilé Dramé, l’émissaire principal du pouvoir malien aux négociations de Ouagadougou, a expliqué, mardi après la signature de l’accord au Palais présidentiel du Burkina Faso, que le document final qui a reçu le quitus des trois parties est le résultat d’un consensus qui montre qu’«elles sont d’accord sur l’essentiel». Et pour M. Dramé, l’essentiel c’est : «(…) l’intégrité nationale, l’unité nationale, la forme laïque et républicaine de l’Etat, l’exercice de la souveraineté du Mali sur chaque centimètre carré de son territoire. Par conséquent, le déploiement de l’administration et de l’armée du Mali dans toutes les régions du Mali, y compris à Kidal».

Optimisme

L’événement a été aussi fortement salué par Boubacar Touré, un des responsables de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), une des principales formations politiques au Mali. «C’est un véritable espoir de paix. Nous allons dans le bon sens. Il est important que les différentes parties respectent cet accord. Nous attendons avec émotion le jour où le drapeau malien flottera sur Kidal. Nous attendons avec émotion le jour où l’armée malienne mettra les pieds à Kidal», a-t-il déclaré à la presse. Au sein des populations du Nord-Mali, on veut bien croire aussi que cet accord représente «le début d’une réconciliation».

Tout le monde semble toutefois conscient que «le plus difficile viendra après l’élection présidentielle si toutefois celle-ci aura bien lieu à la date prévue». Une source proche du MNLA – dont les chefs étaient en conclave durant toute la journée d’hier à Ouagadougou – soutient par ailleurs que «l’Azawad jouera le jeu à fond pour arrêter la crise et parvenir à une paix durable». Se basant sur l’expérience amère du passé, la même source s’est néanmoins dit persuadée que Bamako ne respectera pas le protocole du cessez-le-feu. Situation, a-t-elle expliqué, qui pourrait encore compliquer la problématique.

Alger et Paris applaudissent

Au plan international, la France, dont les troupes ont réussi en janvier dernier à libérer le septentrion malien des griffes des terroristes d’Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) et du Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), n’a pas manqué de saluer l’accord obtenu au bout de dix jours d’âpres négociations. Le gouvernement français – qui suit de près le processus de transition politique au Mali – y a vu une «avancée majeure dans la sortie de crise». «C’est un texte qui permet de concilier le respect de l’intégrité territoriale du pays et en même temps la reconnaissance des problèmes spécifiques au nord du pays dans la perspective de l’élection présidentielle prévue a priori le 28 juillet prochain», a souligné le gouvernement français.

Au plan régional, la première réaction est venue d’Alger, capitale pour qui cet accord «devra permettre au peuple malien de se ressouder et de préserver l’intégrité territoriale». Le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, qui a appelé à un «dialogue inclusif» a soutenu hier que l’accord signé entre le pouvoir malien et les rebelles touareg occupant Kidal est une «grande satisfaction» pour l’Algérie. «Au nom du gouvernement algérien, j’exprime notre grande satisfaction à la signature de cet accord et formule l’espoir que cet accord soit un point de départ dans un processus ouvert pour un dialogue», a déclaré le MAE algérien lors d’une conférence conjointe avec son homologue espagnol, José Manuel Garcia-Margallo.

Concrètement, le processus engagé mardi dans la capitale burkinabè prévoit un cessez-le-feu immédiat, un cantonnement des rebelles du nord du pays et le redéploiement des forces maliennes à Kidal.
Un redéploiement progressif qui aura lieu sous le contrôle des troupes de la Minusma. En revanche, le désarmement des groupes touareg ne doit intervenir qu’une fois signé un accord «global et définitif de paix» entre les nouvelles autorités installées après la présidentielle, d’une part, et les communautés et groupes armés du Nord, d’autre part. Quoiqu’il en soit, avec cet accord, le Mali dispose maintenant d’atouts importants pour sortir de la plus grave crise de son histoire.
Zine Cherfaoui


Makan Koné. Membre de la Commission pour le dialogue et la réconciliation au Mali

«Les Maliens en ont assez de la guerre et du sang»

El Watan, 20 juin 2013

Makan Koné, président de la Maison de la presse du Mali et membre de la Commission dialogue et réconciliation – qui aura la charge de mener, après l’élection présidentielle malienne du 28 juillet prochain, le dialogue inclusif devant permettre de régler définitivement la crise du Nord malien – se montre optimiste concernant l’avenir du Mali après la signature, mardi à Ouagadougou, d’un accord préliminaire entre Bamako et les rebelles touareg. Il livre ici des éléments qui indiquent le sens que pourrait prendre ce dialogue inclusif et les solutions sur lesquelles il pourrait éventuellement déboucher. Entretien.

-Comment avez-vous accueilli l’accord signé mardi à Ouagadougou entre le gouvernement malien de transition et les Touareg ?

Personnellement je crois que c’est une bonne chose. Grâce à cet accord, l’élection présidentielle va pouvoir se tenir, le 28 juillet prochain, sur toute l’étendue du territoire. Nous aurons par la suite des institutions légitimes. C’est très important. En fait, c’est un accord préliminaire qui va permettre aussi l’instauration d’un dialogue inclusif après l’élection d’un Président légitime. Car je vous rappelle que l’accord n’est pas une fin en soi ; il crée juste les conditions pour l’installation d’institutions légitimes qui pourront enclencher le dialogue définitif que nous appelons de nos vœux.

-Et qu’en pense la population à Bamako ?

Contrairement à ce qu’on essaye de faire croire, la majorité des Maliens sont favorables à cet accord. Les Maliens en ont assez de la guerre. Ils soutiennent cet accord intérimaire pour deux raisons : d’abord ils en ont effectivement assez de la guerre, du sang, de l’instabilité et des rebellions. Ils espèrent, ensuite, qu’avec l’élection, ce pré-accord va permettre aux nouvelles institutions d’instaurer un dialogue inclusif. Un dialogue qui va permettre d’en finir définitivement avec ces rebellions récurrentes…. Maintenant ils restent tout de même vigilants. Cela est normal à cause de tous les accords précédents qui n’ont été respecté ni par l’une ni par l’autre des deux parties.

-Quel serait, pour vous, le règlement idéal au conflit qui oppose Bamako aux populations du nord du Mali, en particulier avec les Touareg qui se soulèvent régulièrement ?

Je crois qu’il faut sérieusement s’occuper de cette partie du Mali, la développer et en faire une zone d’intégration malienne par excellence, en y envoyant des populations du Sud pour vivre auprès de celles du Nord. Il importe aussi de développer cette zone et de faire en sorte que les signes du développement soient visibles. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Il importe, à l’avenir, que ce soient les populations qui bénéficient réellement de ce développement et non pas les quelques leaders qui se trouvent sur place et ne sont même pas légitimes. En réalité, il faut que l’Etat cesse d’abandonner cette zone… Il y a des parties de notre territoire que nous ne maîtrisons pas depuis plusieurs années, ceci n’a pas commencé avec cette rébellion. Tout cela est une question de gouvernance, finalement.

-Comment pourrait se traduire, politiquement et juridiquement, le dialogue inclusif que tout le monde attend avec impatience ? Est-ce que l’on parle à Bamako d’une solution qui, par exemple, passerait par le fédéralisme ?

Non, cela n’ira pas dans le sens que vous évoquez. Il faut juste faire en sorte que ceux qui tiennent le discours d’abandon des populations du Nord n’aient plus d’arguments à faire valoir. Là, c’est une question de volonté politique. Il y a des gens, dans cette zone, qui vivent de cette crise. Il faut mettre fin à cela. Il ne faut pas se voiler la face : il faut une forte présence militaire dans cette zone afin de dissuader d’éventuels trafiquants – qui sont en fait les véritables meneurs de ces conflits – de continuer à sévir. De l’argent est investi dans cette zone par les partenaires.Comme je viens de le dire, il convient maintenant de veiller à ce que cet argent soit bien utilisé. Il faut aussi la mise en place d’un partenariat très fort entre le Mali, le Niger, la Mauritanie et l’Algérie pour stabiliser la région, car les puissances qui sont là aujourd’hui seront obligées de partir un jour…

-Où en est actuellement la Commission dialogue et de réconciliation dans ses travaux ?

Honnêtement, la commission n’est pas très opérationnelle pour le moment. Nous planchons actuellement sur les textes…la paperasse. Je crois que ce n’est qu’après l’élection d’un nouveau président de la République que nous allons attaquer les véritables problèmes.

Zine Cherfaoui