Maghreb virtuel

Maghreb virtuel

par S. Raouf , Le Quotidien d’Oran, 25 mars 2007

Doléance récurrente, le constat du «non-Maghreb» vient de resurgir, contre toute attente, dans le discours diplomatique méditerranéen. Sans que l’actualité régionale l’y invite, le patron du Quai d’Orsay a pointé l’absence d’une intégration maghrébine.

Sans prétendre donner des leçons, le patron du Quai d’Orsay ne voit pas comment les cinq pays du Maghreb «ne gagneraient pas à constituer un marché commun». Douste-Blazy n’est pas le premier – et certainement pas le dernier dans la classe politique hexagonale – à se plaindre du déficit institutionnel maghrébin. En off, libérés de l’obligation de réserve diplomatique, d’aucuns parmi ses prédécesseurs au Quai ont épinglé une UMA coquille vide, toujours aux abonnés absents.

En dépit d’une brûlante actualité proche-orientale qui cristallise l’essentiel du débat européen, la panne maghrébine se prête aux forums. Bon an mal an, une quinzaine de rendez-vous thématiques battent le rappel de tout ce que le sujet Maghreb compte comme «spécialistes» réels ou supposés. De la Commission européenne au Conseil de l’Europe, des instituts européens aux think-tanks US, des pans entiers de «l’expertise» rivalisent d’exercices. A qui prescrira l’ordonnance la plus indiquée pour un «plus de Maghreb». Une vaste étendue qui, de l’Atlantique à la Cyrénaïque, plantera le décor d’une entité géopolitique et d’un marché économique aux atouts insoupçonnés.

En mai dernier, un think-tank espagnol, encouragé par le ministère ibérique des Affaires étrangères, organisait à Madrid un séminaire sur le «coût du non-Maghreb». Un parterre de personnalités de tous horizons, dont l’ancien chef du gouvernement Mouloud Hamrouche, s’y étaient retrouvés pour croiser leurs opinions sur la question.

Les uns, conscients de l’acuité des divergences politiques, se sont gardés d’aller vite en besogne. Mesurés, ils ont suggéré de laisser le temps faire son oeuvre. D’autres, résolument volontaristes, ont recommandé de bâtir le Maghreb par le bas. Autrement dit en rassemblant, dans une convergence salutaire, les acteurs économiques et les artisans de la richesse. Les intervenants ont estimé, optimistes, qu’une intégration régionale reste du domaine du réalisable. Scénarios parmi d’autres imaginés pour la circonstance: la mise en place d’une «autoroute énergétique maghrébine», la création d’une compagnie aérienne nord-africaine et l’irruption d’un système financier et bancaire commun. Autant de chantiers annonciateurs à terme d’un «tigre nord-africain», selon le propre intitulé du séminaire.

Reste que de telles projections, pour rassurantes qu’elles soient, sont vite rattrapées par la réalité et ses indicateurs: la part des échanges intermaghrébins représente à peine 3% du commerce international des «cinq». A peine prennent-ils congé des amphithéâtres, les conférenciers appelés au chevet du «non-Maghreb» découvrent, sans surprise, que l’édification de la maison commune est loin d’être une sinécure.

Colossal, le chantier l’est sans le moindre doute. Réduire la panne maghrébine au seul problème du Sahara Occidental participe d’un raisonnement expéditif. A l’évidence, d’autres divergences, pas forcément politiques, jalonnent la marche qui, depuis la conférence de Tanger en 1958, s’efforce de conduire au Maghreb uni. L’aboutissement du processus d’intégration, l’avènement d’une zone de prospérité partagée sur fond de vision politique commune supposent une somme d’impératifs. Des différends réglés, des divergences aplanies, une confiance restaurée. Le tout dans un challenge de «gagnant-gagnant» débarrassé de calculs et d’égoïsme.

Le chef de la diplomatie française a raison de renvoyer ses «amis maghrébins» à l’expérience européenne. A la seule différence que le Vieux Continent, avant de se lancer dans la construction de la maison commune en mars 1957, avait commencé par le commencement. Les précurseurs de la maison avaient mis à plat les contentieux accumulés à l’épreuve du passé conflictuel européen. Au Maghreb, on n’en est pas encore là.

Pour l’heure, la photo des «cinq» souriant à pleines dents sur le perron de la résidence de Zéralda (Chadli, Hassan II, Ben Ali, Kadhafi et Ould Taya) et le traité de Marrakech restent les seuls «succès» inscrits au maigre palmarès maghrébin.