Quatre ministres de Ben Ali condamnés à six ans de prison ferme

Six ans après la révolution en Tunisie

Quatre ministres de Ben Ali condamnés à six ans de prison ferme

El Watan, 7 mars 2017

Les ministres de l’ère Ben Ali, Habib Ben Yahia, Samira Khayaech, Kamel Haj Sassi et Tijani Haddad, ont été condamnés à six ans de prison ferme chacun. Le timing de cette décision de la justice suscite l’ interrogation, surtout qu’il s’agit de ministres technocrates. Les responsables politiques ne sont pas poursuivis.

Alors que le processus de la justice transitionnelle commence à se mettre en place en Tunisie, avec des auditions publiques des victimes, les informations en provenance du palais de justice rapportent, ces derniers jours, des condamnations contre quatre anciens ministres de Ben Ali, pour la peine de six ans de prison, avec application immédiate de la sanction. L’ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères et ex-secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe, Habib Ben Yahia, a été condamné pour la cession d’un terrain, propriété du ministère de la Défense, à l’ancien Président.

Les trois autres ministres, Samira Khayaech, Kamel Hadj Sassi et Tijani Haddad, ont été condamnés pour avoir offert des services, lors des deux galas de la chanteuse américaine Marya Carey, les 22 et 24 juillet 2006. Ils sont accusés de préjudice à l’administration, d’abus de pouvoir et de bénéfice illégal en faveur d’autrui, le neveu de Leila Ben Ali, Imed Trabelsi en l’occurrence. En termes pratiques, la justice reproche à Kamel Hadj Sassi que les réunions de préparation pour les concerts de Marya Carey ont eu lieu dans son bureau.

Elle reproche à Tijani Haddad, ministre du Tourisme à l’époque, d’avoir fait héberger gratuitement Marya Carey et son équipe, alors que ce genre de pratique est courant dans le milieu. Il s’agit d’une star internationale, dont la présence fait de la publicité à la Tunisie et aide à promouvoir la destination. L’ancien Président et le neveu de son épouse ont été également condamnés à des peines d’emprisonnement. Imed Trabelsi, déjà en prison pour d’autres affaires, s’est vu ajouter 11 autres années de prison. L’ancien Président a été condamné par contumace à 12 ans de prison.

Foule de suspicions !

Les avocats des ex-ministres ont exprimé leurs suspicions, surtout en rapport avec la décision de l’application immédiate des peines prononcées contre leurs clients. «Nos clients n’ont pas quitté le pays, et ce, depuis 2011. A chaque fois qu’ils ont été convoqués au tribunal, ils se sont présentés.

Ils ne constituent aucunement un danger. Ils peuvent donc rester en liberté durant toutes les étapes du procès», a déclaré l’un des avocats, en précisant que, suite à ce jugement, les noms des anciens responsables seront inscrits sur la liste des personnes recherchées, dès le lundi 6 février 2017. Ils peuvent être incarcérés d’une minute à l’autre. «Il faut qu’on bouge !» a-t-il conclu. Et comme les ex-ministres concernés par ces affaires sont, aussi, d’anciens parlementaires, l’Amicale des parlementaires a décidé de créer une cellule de crise pour examiner la problématique, d’un point de vue juridique, et d’assurer le maximum de garanties pour parvenir à un jugement équitable au niveau de l’appel.

A partir de sa page facebook, l’avocat Adel Kaâniche, président de l’Amicale, a lancé un appel à ses confrères en vue de former un collectif d’avocats se déclarant volontaires pour défendre ces anciens ministres. «Nous sommes soucieux de l’indépendance de la justice et veillons à bâtir l’Etat de droit. Toutefois, le verdict prononcé dans cette affaire nous attriste et nous consterne, surtout qu’il est assorti de l’application immédiate», a dit Me Kaâniche, qui exprime sa sympathie aux trois ex-ministres. Le collectif d’avocats va se mobiliser pour faire appel de ce verdict et faire suspendre son exécution.

Des condamnations

Alors que les principaux partis de la coalition gouvernementale, Nidaa Tounes et Ennahdha, observent le silence face à ces jugements, Mohsen Marzouk, président du parti Projet pour la Tunisie (22 députés), a considéré que «ces condamnations constituent des jugements politiques», ce qui signifie que «la majorité parlementaire actuellement au pouvoir n’a pas intégré la réconciliation nationale comme l’un des points de son socle de gouvernance. C’est pourquoi elle n’a pas adopté de loi de réconciliation politique».

Mohsen Marzouk, président de la campagne électorale du président Béji Caïd Essebsi, a tiré la sonnette d’alarme en disant que «l’histoire ne nous pardonnera pas si nous transformons le pays en champ de vengeance et de règlement des comptes, en mode ‘‘deux poids, deux mesures’’, se basant sur des considérations politiques». Il a insisté sur la nécessité d’une réconciliation nationale immédiate pour aller de l’avant.

Même son de cloche chez le Parti destourien libre, qui a critiqué la condamnation avec effet immédiat prononcée à l’encontre des trois anciens ministres. «Nous compatissons avec tous ceux qui ont subi ce jugement cruel et nous lutterons contre toute forme de vengeance. Cette décision revêt clairement un aspect politique, et nous refusons de retourner dans le cercle des injustices de 2011. Il n’est nullement question d’adopter la politique du deux poids, deux mesures dans le traitement des dossiers», écrit le PDL dans un communiqué, signé par la présidente du parti, Abir Moussi. Un différend de plus qui plonge davantage la Tunisie dans le flou.
Sellami Mourad