Le Qatar assiégé par ses «frères» : Trump et les «favorites » couronnées de l’empire
Saad Ziane, Libre Algérie, 9 juin 2017
Comment décrypter la tension extrême au Golfe où l’Arabie saoudite et ses alliés ont engagé un processus d’étranglement du Qatar juste après le passage de Donald Trump ? Dur de ne pas se contenter des formules hautement méprisantes d’un Moudhafar Annouab à l’égard de ces «favorites » arabes couronnées de l’Empire.
« Somoza may be a son of a bitch (SOB), but he’s our son of a bitch. » (Somoza est peut être un fils de p…, mais c’est notre fils de p…). Des historiens contestent que le président Franklin D. Roosevelt ait fait réellement cette déclaration choc mais elle traduit cependant parfaitement le rapport de l’empire à ses vassaux en général et à ses vassaux arabes plus particulièrement.
Cette déclaration présumée apocryphe de Roosevelt, Moudhafar Annouab, lui, l’a dite sur tous les tons du mépris et en mots arabes crus pour parler de l’incommensurable veulerie de ces «caïds » de pacotille assis sur des océans de pétrole et de gaz. Le poète considérait que parler de «réactionnaires », «conservateurs » ou toute autre catégorie politique leur faisait trop honneur et c’est bien dans le registre du ‘’son of b…’’ qu’il faut en parler. Car, au fond, pense-t-il, c’est le seul langage qu’ils comprennent.
Rien de ce qui se passe actuellement dans la région du Golfe ne vient détromper le haut mépris avec lequel le poète traite ces roitelets dont l’unique réalisation en un demi-siècle a été d’avoir réarmé un poison sectaire assoupi depuis des siècles et d’avoir plongé des générations entières dans une néo-djahiliya wahabite, matrice des grandes régressions dans le monde arabe et islamique.
Dans cette région du Golfe, l’Arabie saoudite, qui a déjà beaucoup dépensé – tout comme le Qatar – pour financer le «djihad » en Syrie, a, sous l’impulsion d’un fils de roi arrogant et irréfléchi envahi le Yémen. Elle y mène une guerre dévastatrice et cruelle pour la population alors qu’elle n’a jamais investi dans le développement de ce pays voisin sans grande ressources.
Elle vient de lancer une entreprise d’encerclement du Qatar, sous le prétexte particulièrement comique quand il est avancé par Ryad, de son soutien au terrorisme. Une accélération soudaine qui survient – cela ne relève pas d’un hasard- après le passage juteux de Donald Trump qui a fait son shopping à 460 milliards de dollars en Arabie saoudite.
Une concurrence de favorites
Le rapport de l’Empire avec les SOB a sensiblement changé depuis l’explosion du pétrole de schiste. Les Etats-Unis ne sont plus dépendants de l’approvisionnement des pays du Golfe. La dépendance politique de ces derniers à l’égard des Etats-Unis n’en est que plus grande et permet à Trump de jouer aux Cassandre et de susciter une compétition de «favorites » dans un harem sous surveillance impériale pour rester dans l’esprit de Moudhafer Annouab.
Trump, en situation délicate aux Etats-Unis à propos de l’affaire de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle, mène probablement son propre jeu, un peu fou – que les mécaniques des institutions américaines n’arrivent pas encore à encadrer – dans une région qui explose de partout.
De manière intuitive, beaucoup ont compris qu’avec les milliards engrangés par Trump, l’Arabie saoudite venait de s’acheter une guerre contre l’Iran auprès d’un homme qui s’est fait une spécialité de vendre avant de devenir président des Etats-Unis d’Amérique. Trump a saisi l’aubaine, les SOB sont prêts à payer des montagnes de dollars contre l’Iran, pays décrété – et ce n’est pas un hasard – «ennemi existentiel » par Israël.
Gagner du fric tout en cédant à sa manie compulsive de faire le contraire de Barack Obama, quoi de plus plaisant pour le président américain. Et au Proche-Orient, la seule chose positive léguée par Barack Obama est précisément le choix d’aller vers l’apaisement – malgré les blocages d’un Laurent Fabius très «militant » d’Israël- avec l’Iran. L’accord sur le nucléaire où l’Iran a fait des concessions majeures a été une chose positive. L’Arabie saoudite, toute comme Israël, en a été ulcérée.
Le business de Trump
Trump voue une haine personnelle à Obama. Il a déjà dit sa détestation de l’Iran alors qu’il n’était que candidat en promettant de remettre en cause l’accord conclut. C’est aussi un businessman qui monnaye au prix fort ses propres phobies et haines aux S.O.B enturbannés. Il entend en tirer le maximum. Il a eu ses faramineux contrats avec les saoudiens et il les rétribue par un petit «tweet » de soutien à Ryad et ses petits vassaux dans leur décision de mettre au ban le Qatar et de l’assiéger carrément.
Dans ce tweet – que le département d’Etat et le Pentagone ont tenté de rattraper du mieux qu’ils peuvent- le président américain a en effet bruyamment approuvé les mesures contre le Qatar en considérant qu’ils sont l’effet de son récent voyage au Proche-Orient.
« Au cours de mon récent voyage au Moyen-Orient, j’ai déclaré qu’il ne pouvait plus y avoir de financement pour l’Idéologie Radicale. Les dirigeants ont désigné le Qatar – Voyez ! » a écrit M. Trump. La twittomanie de Donald Trump, a rapidement donné un semblant de confirmation que les mesures destinées à étrangler le Qatar – et à faire taire sa voix incarnée par la chaîne Al Jazira – ont été, au moins, approuvées par le président américain.
Depuis, sans doute sous l’effet des institutions américaines (Pentagone, département d’Etat), Trump fait dans le rétropédalage. Un tweet pour les centaines de milliards, le président américain doit penser qu’il a suffisamment payé le SOB saoudien.
Pourquoi le Qatar, l’autre S.O.B, qui abrite la grande base américaine d’Aidid, est-il la cible d’une vindicte saoudienne trop rapidement approuvée par le représentant de commerce nommé Trump ? Il y a bien sur la haine viscérale des Frères musulmans des wahhabites, la jalousie des Emirats à l’égard du Qatar qui lui dispute – et avec succès – le statut d’ilot khaliji ouvert et mondialisé. Mais il y a surtout l’obsession anti-iranienne des Saoud qui depuis la révolution iranienne ont œuvré de manière systématique à favoriser l’expansion du wahhâbisme et surtout a poussé le clivage sectaire à l’incandescence.
Le poison sectaire
Des centaines de médias satellites et des armées de prêcheurs ont œuvré à diffuser des discours haineux et à attiser les flammes de la division. Les saoudiens peuvent se targuer d’avoir parfaitement réussi à imposer leur vision qui se décline sur les modes salafistes.
Mais le pire est qu’ils ont réussi à diffuser massivement le poison sectaire au point où même dans les pays où les chiites n’existent pas on parle de la « menace chiite ». C’est d’ailleurs un sujet récurrent dans une partie de la presse arabophone algérienne et même le très «moderne » ministre des affaires religieuses y apporte son obole.
La divergence politique avec l’Iran est transformée en un problème religieux et en menace existentielle. Il n’y a aucune nuance de différence d’appréciation sur l’Iran entre l’Arabie saoudite et Israël. Le ministre saoudien des affaires étrangères n’a pas hésité à faire plaisir à Israël en exigeant que Doha arrête de soutenir le Hamas.
Une exigence qui a écœurée le Hamas, lequel a rappelé qu’il était un « mouvement de résistance légitime ». Le Qatar finance en bonne partie la reconstruction dans la bande de Gaza et paye l’approvisionnement en fuel et en électricité des deux millions de Gazaouis.
Le Qatar – qui a un jeu trouble en Syrie tout comme l’Arabie saoudite – est sommé d’entrer dans une logique de souveraineté limitée où le suivisme à l’égard de Ryad est de mise. Sa mise au ban est essentiellement causée par son refus de s’aligner sur les incantations anti-chiites et « anti-perses » des dirigeants saoudiens et de son establishment religieux dont la rhétorique anti-safavide est stricto-sensu, celle de tous les groupes terroristes salafistes. Les terroristes de Daesh qui ont revendiqué les attaques contre le parlement et le mausolée de Khmoeiny à Téhéran puisent dans cette rhétorique.
La voix dissonante du Qatar au sujet des rapports avec l’Iran était « insupportable » pour Ryad qui se donne ainsi les moyens de les faire taire et qui pousse les Etats musulmans, même les plus lointains, comme la Mauritanie, à rompre les relations avec Doha. La situation n’est pas nouvelle, il y a eu déjà une crise en 2014 qui n’est pas allée très loin. Si les choses semblent aller plus loin cette fois-ci, c’est bien en raison de l’aval présumé de Trump, heureux de ses emplettes à milliards chez les saoudiens.
Trump joue avec les SOB – il n’est pas sûr que l’establishment américain apprécie vraiment – et les pousse à des limites dont il pense à tirer profit. Il doit probablement attendre que le Qatar surenchérisse sur les Saoudiens, business as-usual. Le jeu est dangereux, bien sûr. Mais Bush et ses Dark Vador en décidant d’envahir l’Irak ont d’emblée décidé que la mort de centaines de milliers d’irakiens n’était pas un problème. Trump pose probablement problème aux Etats-Unis. Mais pour les peuples de la région, ce sont bien les dirigeants SOB qui constituent le plus grand des risques.