Du rififi entre les monarchies

DU RIFIFI ENTRE LES MONARCHIES

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 6 mars 2014

L’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis ont décidé de rappeler leurs ambassadeurs du Qatar pour protester contre «l’ingérence» de Doha dans les affaires de ses voisins. Les trois pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) «ont été obligés de prendre des mesures en vue de garantir leur sécurité et leur stabilité». Le Qatar a décidé de ne pas rappeler ses ambassadeurs. Mais la crise diplomatique ne surprend pas. Elle était attendue depuis que l’imam Qaradhaoui, malade, est remonté, le 22 février dernier, sur le minbar de la mosquée Omar Ibn Al-Khattab, à Doha.

Al-Qaradhaoui était silencieux depuis quelques semaines et beaucoup ont interprété son retrait comme le résultat des pressions et des menaces exercées par les monarchies du Golfe sur le Qatar. Les divergences portent sur la situation égyptienne où le Qatar et Al-Jazira se sont clairement positionnés contre le coup d’Etat et sont devenus le principal et unique support politique des Frères musulmans. A l’opposé, l’Arabie Saoudite et les Emirats ont apporté un fort soutien financier à l’Egypte après la destitution du président Morsi. L’engagement du Qatar sur la question égyptienne l’a d’ailleurs amené à être moins actif sur le dossier syrien. Un modus vivendi semblait avoir été trouvé entre ces monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe. Al-Qaradhaoui avait même fait l’objet, le 2 février dernier, d’un désaveu public du ministre qatari des Affaires étrangères qui avait souligné que les propos critiques d’Al-Qaradhaoui ne reflétaient pas la position de Doha.

Vingt jours plus tard, malgré des signes évidents de fatigue, Al-Qaradhaoui avait mis fin à son silence en vitupérant, dans son prêche, des monarchies du Golfe en guerre contre les Frères musulmans : «Pour deux phrases, ils se sont mis en colère. Que serait-ce si je me mettais à dénoncer leurs scandales et leurs injustices…». L’imam cathodique a fustigé ces monarchies en les accusant d’avoir dépensé des milliards de dollars pour faire tomber Mohamed Morsi et ramener des «militaires qui ont accumulé des fortunes sur le dos du peuple, le privant de la justice et de la liberté». L’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Emirats qui connaissent bien le fonctionnement du Qatar ont compris qu’Al-Qaradhaoui n’aurait jamais parlé ainsi sans l’aval de Hamad Ben Khalifa Al-Thani, l’ancien émir qui a cédé les apparences du pouvoir à son fils, Tamim, tout en restant le vrai patron du pays.

Le rappel des ambassadeurs était une option annoncée, elle vient d’être confirmée et mise en œuvre. Mais l’escalade est possible, un journal saoudien de Londres ayant évoqué d’autres mesures de rétorsion comme la fermeture de l’espace aérien saoudien aux avions du Qatar et la fermeture des frontières. L’idée d’exclure le Qatar du CCG était même évoquée. Il est clair que l’Arabie Saoudite tente de rappeler au Qatar que le leadership lui appartient dans la région du Golfe malgré la puissance de frappe du «porte-avions» Al-Jazira. Pour les monarchies du Golfe qui contrôlent parfaitement – et manipulent aussi – les mouvements salafistes, les Frères musulmans constituent l’ennemi «existentiel» principal. Le courant «alternatif» qui fait peur.

CETTE GUERRE DES MONARCHIES RECOUVRE, AU FOND, UNE DES VARIANTES DE LA COMPETITION ENTRE LES SALAFISTES ET LES FRERES MUSULMANS. EN EGYPTE, LES SALAFISTES SE SONT ALIGNES DERRIERE LES MILITAIRES ET ONT APPROUVE LE COUP D’ETAT. LE GOUVERNEMENT EGYPTIEN VIENT D’INTERDIRE TOUTE ACTIVITE AU HAMAS, VERSION PALESTINIENNE DES FRERES MUSULMANS. AU QATAR, LES FRERES MUSULMANS CONTINUENT D’AVOIR DROIT DE CITE SUR LE PORTE-AVIONS MEDIATIQUE QU’EST AL-JAZIRA. DE QUOI FACHER LES VOISINS…