Libye: Le CNT accuse des pays arabes d’encourager la «sédition»
par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 8 mars 2012
Des mains étrangères arabes derrière l’apparition publique d’un mouvement autonomiste dans l’est de la Libye ? Le président du Conseil national de transition libyen, Moustapha Abdeljalil, a choisi l’explication traditionnelle la plus commode pour réagir à l’annonce mardi, par des notables et des miliciens, d’une Cyrénaïque autonome.
Il est inutile de relever que le CNT lui-même est le produit d’une intervention étrangère fondée sur une interprétation abusivement extensive d’une résolution du Conseil de sécurité, qui bloque aujourd’hui tout rôle utile de l’ONU dans la crise syrienne. Moustapha Abdeljalil n’a pas tort de s’inquiéter sur le sort de l’unité de la Libye. Sa partition – comme celle d’autres pays – constitue une des «options» possibles pour ceux qui estiment avoir la capacité et le pouvoir de reconfigurer le monde arabe en fonction de leurs intérêts.
Mais curieusement, Moustapha Abdeljalil, qui n’avance aucun élément de preuve pour étayer ses accusations, ne désigne pas ces puissances «coupables». Il centre ses graves mais vagues accusations sur «les pays arabes qui craindraient une contamination» et encourageraient la «sédition». Le risque de «contamination» de la «grande démocratie libyenne», qui subroge dans l’anarchie la Grande Jamahirya Socialiste Libyenne de Kadhafi, est un argument qu’il serait vain de discuter.
L’état du pays, ses milices qui régentent chacune une portion de territoire et qui font le coup de feu de temps à autre pour d’obscures raisons, n’a rien de particulièrement séduisant pour les opinions arabes. On ne voit donc pas, mis à part un risque sécuritaire évident avec la dispersion des armes et l’institutionnalisation des milices, de raisons qui feraient craindre aux pays arabes voisins une contagion «démocratique» sur le modèle libyen. Il ne se passe rien de bien vertueux en Libye – contrairement à la Tunisie, où une transition se fait dans un contexte difficile mais sérieux – qui pourrait susciter l’émulation.
L’hypothèse d’un «complot arabe» contre la Libye, évoquée, sans preuve, par le président du CNT libyen, relève du répertoire classique des régimes arabes. On invoque le complot extérieur pour occulter tant bien que mal ses propres failles, travers et errements. S’agissant du CNT, il est patent que cet organe plutôt opaque éprouve de réelles difficultés à se transformer en un gouvernement qui contrôle et gère effectivement le pays. Il n’est pas facile de passer d’une guerre civile, doublée d’une intervention militaire extérieure, à une stabilisation interne rapide. Les batailles pour le pouvoir sont une réalité et les milices, qui conservent leurs armes «au nom de la préservation de la révolution», se donnent surtout les moyens de négocier leur «place» au banquet de la rente. C’est une réalité connue et compliquée et elle est suffisante pour expliquer les évolutions aussi indésirables que l’apparition de mouvements autonomistes remettant en cause l’unité du pays.
Ces mouvements ont-ils des accointances étrangères ? La Libye est aujourd’hui un champ de manœuvre largement ouvert aux officines étrangères et aucune hypothèse ne peut être exclue. Mais il est difficile de croire qu’un des pays arabes frontaliers de la Libye – l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie, voire le Soudan – a un quelconque intérêt à encourager des mouvements séparatistes qui pourraient avoir un effet plus dangereusement contagieux que le modèle «révolutionnaire» libyen. Si M. Abdeljalil ne veut pas chercher une explication dans l’échec manifeste du CNT, il devra donc identifier des «comploteurs» ayant de vraies motivations et une authentique capacité à encourager des mouvements séditieux.
Sans poids face aux milices: Le CNT accuse des pays arabes d’encourager la «sédition»
par Salem Ferdi, Le Quotidien d’Oran, 8 mars 2012
Des tribus de l’Est de la Libye qui proclament leur autonomie, cela ne constitue pas vraiment une surprise. Le nouveau pouvoir «central», dirigé par Moustapha Abdeljalil, ne surprend pas non plus en accusant des pays arabes de soutenir la sédition, voire de la créer. Le président du CNT s’est abstenu de citer le nom de ces pays. A qui profite la partition de la Libye ?
Le spectre d’un retour en arrière vers la période coloniale, avec une partition de la Libye en trois entités, existait virtuellement avec le processus qui a conduit à la chute, par la violence et l’intervention militaire étrangère, du régime de Mouammar Kadhafi. L’incapacité du Conseil national de transition (CNT) à prendre la relève tant au plan de la sécurité – les milices n’ont pas désarmé et tiennent de fait le pays sous leur coupe – que de celui de la gestion l’a encouragé. Du coup, l’ex-Cyrénaïque (Est du pays) tente de renaître à travers l’annonce par des chefs de tribus et des milices que leur région a choisi le «système fédéral». Et pour donner de la consistance à cette «autonomie», un «conseil intérimaire de Cyrénaïque a été établi sous la direction de Cheikh Ahmed Zoubaïr al-Senoussi pour gérer les affaires de la région et défendre les droits de ses habitants».
L’annonce a été faite au cours d’une cérémonie à Benghazi en présence de milliers de personnes. Et même si ledit conseil disait reconnaître le CNT comme «symbole de l’unité du pays» et comme «représentant légitime aux sommets internationaux», son annonce relançait le spectre d’un retour d’une partition du pays.
L’autonomie de la Cyrénaïque, qui peut évoluer vers l’indépendance, est inacceptable pour les autres régions du pays qui seraient ainsi privées de l’essentiel des richesses pétrolières qui s’y trouvent. Après avoir minimisé l’importance de l’évènement en affirmant que les «Libyens se sont battus pour une Libye unie, si bien que ces demandes n’auront aucune conséquence», Moustapha Abdeljalil a changé de registre en accusant des pays arabes de soutenir la sédition.
QUI A INTERET A L’ECLATEMENT DE LA LIBYE ?
«Des pays arabes frères, malheureusement, financent et parrainent la sédition qui s’est produite dans l’Est pour ne pas être contaminés par la révolution», a affirmé Moustapha Abdeljalil lors d’une conférence de presse à Tripoli. C’est leur crainte de la révolte qui a poussé ces pays frères à accorder leur appui à la sédition», a-t-il poursuivi. Sans, bien entendu, citer nommément les pays arabes qui soutiendraient cette sédition. «Ce qui arrive aujourd’hui est le début d’une conspiration contre le pays. C’est une question très dangereuse qui menace l’unité nationale». Et, bien entendu, aux pays arabes s’ajoutent des «infiltrés» et des «résidus» de l’ancien régime de Kadhafi qui tentent d’utiliser ces autonomistes. «Nous sommes prêts à les en dissuader, même par la force», a déclaré Moustapha Abdeljalil à Misrata, où il a annoncé la fin de la rédaction de la Charte nationale qui servira de modèle à la future Constitution de la Libye.
Le chef du CNT a choisi de rester dans le vague au sujet des accusations à l’encontre de «certains pays arabes». Mais son assertion que le soutien à la sédition viendrait de pays qui craignent la «contamination» élimine, en théorie, les deux pays voisins immédiats, la Tunisie et l’Egypte.
CONTAMINATION ?
Il n’élimine pas l’Algérie bien entendu, puisqu’on présente souvent le gouvernement algérien comme soucieux d’éviter la «contamination» du printemps arabe. Sauf qu’objectivement, le gouvernement algérien n’a aucun intérêt à susciter en Libye des mouvements centrifuges qui remettraient en cause sa configuration géographique. La «contamination» serait, dans ces conditions, autrement plus sérieuse que celle d’une «révolution libyenne» dont l’évolution a cassé l’élan de sympathie pour le mouvement des sociétés arabes qui s’est fortement exprimé pour la Tunisie et l’Egypte. Tous les pays voisins de la Libye n’ont, a priori, aucune raison de susciter des mouvements de sédition. Il est douteux que la Syrie puisse avoir les moyens de jouer à ce jeu
S’il faut à tout prix chercher une explication «extérieure», il serait plus logique de regarder du côté des pays qui ont acquis une influence démesurée en Libye, comme les pays du Golfe Et surtout, il est difficile d’occulter les pays occidentaux, ces «libérateurs» qui pourraient favoriser les reconfigurations permettant l’émergence d’un émirat pétrolier dans «l’ex-Libye» Ce ne sont que des hypothèses, bien entendu. Mais les «libérateurs» extérieurs finissent, d’une manière ou d’une autre, à présenter la facture dans le cas où ils s’estiment insuffisamment payés en retour