Egypte : contre-révolution triomphante

Egypte : contre-révolution triomphante

par Kharroubi Habib, Le Quotidien d’Oran, 1er décembre 2014

La foule de manifestants ayant convergé samedi place Tahrir au Caire à l’annonce du verdict rendu par le tribunal devant lequel le président déchu Hosni Moubarak comparaissait sous l’accusation de complicité de meurtres lors des manifestations contre son régime ainsi que de corruption ne s’est pas trompée sur la signification de la décision d’acquittement rendue en l’occurrence par les magistrats.

Elle a aux yeux des manifestants descendus place Tahrir signification de l’intention déclarée de Abdelfattah El Sissi et de l’armée de solder leur compte avec une révolution dont ils ont mesuré qu’elle a failli mettre à bas le système instituant la primauté du pouvoir de l’institution militaire dans la conduite des affaires de la nation égyptienne. Et quoi de plus signifiant de cette intention que l’acquittement de l’ancien dictateur qu’elle a renversé. Un acquittement qui ouvre la voie à la réhabilitation de ce dernier et par conséquent au désaveu officiel du mouvement populaire qui a provoqué sa chute. L’indépendance de la justice égyptienne étant ce qu’elle est, c’est-à-dire inexistante, le verdict d’acquittement lui a été à l’évidence « téléphoné ».

Il n’est toutefois pas à attendre que l’acquittement de Moubarak rameute place Tahrir l’immense foule qui l’a occupée sans désemparer en 2011 jusqu’à faire tomber l’ex-dictateur et son régime. La confiscation de la révolution de la place Tahrir d’abord par les islamistes Frères musulmans et leurs alliés ensuite par l’armée qui à l’occasion a campé en protectrice de l’esprit révolutionnaire, a singulièrement refroidi et éclairci ses rangs. Il semble que même s’ils sont choqués et révoltés par le verdict du tribunal, les Egyptiens ne seraient pas prêts à une nouvelle révolte qui compte tenu de la situation explosive que vit le pays, secoué par une contestation violente engagée par les Frères musulmans et autres djihadistes islamistes, le précipiterait dans un chaos mortifère. C’est ce que apparemment El Sissi a conclu et l’a conduit à téléguider l’acquittement, premier pas vers la réhabilitation de Hosni Moubarak dont la déchéance a humilié l’armée dont il en a été l’un des officiers supérieurs et le chef suprême.

L’on peut penser que ce faisant El Sissi dont le régime est engagé dans une bataille à mort avec les islamistes a pris le risque de renforcer les rangs de ses ennemis en jetant dans la contestation les nostalgiques de l’esprit de la révolution de la place Tahrir. Il a dû probablement se convaincre que le risque aurait peu de chance de se matérialiser en ayant pris en compte que dans sa majorité le peuple égyptien aspire avant tout à une « normalisation » pour peu qu’elle rompe avec les abus et dérives autoritaristes dont ils ont eu à pâtir durant le règne de Moubarak. Et surtout que pour eux l’aspiration à une démocratie et à un Etat de droit a laissé la place chez beaucoup d’entre eux à celle d’un redressement économique et social dont leurs conditions de vie dépendent.

Il reste que sous ses dehors de « national révolutionnaire » El Sissi est bien le protagoniste avec l’armée d’une contre-révolution qui après avoir évacué du pouvoir les islamistes vient de signifier que l’esprit de la place Tahrir n’a plu aucune résonance auprès d’eux.