“En Égypte, les changements ont été décidés d’un commun accord avec l’armée”
Chérif Dris, maître de conférences à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information
“En Égypte, les changements ont été décidés d’un commun accord avec l’armée”
Par : Hafida Ameyar, Liberté, 14 août 2012
Liberté: Le nouveau président égyptien, Mohamed Morsi, a décidé d’annuler une déclaration constitutionnelle accordant de larges pouvoirs à l’armée et d’envoyer à la retraite le ministre de la Défense, Hussein Tantaoui, ainsi que son chef d’état-major. Quelle est votre lecture sur ce qui vient de se passer ?
Sans aucun doute, les décisions prises par Morsi constituent un tournant, tout en sachant que ce dernier a été élu de façon démocratique, mais avec un score qui n’est pas confortable et donc qui le fragilise. Avec cette décision, on pourrait penser que le nouveau président égyptien dispose d’une marge de manœuvre très appréciable, en dépit du faible score qu’il a obtenu. De plus, il joue sur sa popularité, sur la détermination d’une partie importante de la population qui le soutient et qui exige surtout une rupture. Mais, cette hypothèse doit être relativisée, en ce sens que ce qui s’est passé avec la mise en retraite de Tantaoui et de son chef d’état-major laisse penser que nous sommes en face d’une transition pactée. Selon moi, cette autre hypothèse est la plus plausible et montre que ces changements ont été décidés d’un commun accord avec l’institution militaire. Preuve en est que le nouveau ministre de la Défense est un militaire. En tout cas, nous sommes loin de ce que nous appelons la “civilianisation” de l’armée. Celle-ci reste un acteur politique. Plus important, l’institution militaire est aussi un acteur économique. Ce qui vient de se passer démontre que le nouveau président égyptien et l’armée veulent aboutir, d’un commun accord, à une transition en douceur, qui ne remettrait pas en cause les intérêts de l’institution militaire.
Ces événements auront-ils un impact ou des conséquences sur le monde arabe ?
Il est clair que ces décisions ne passeront pas inaperçues dans la région. On pourrait s’attendre à un phénomène de boule de neige: d’autres pays pourraient vouloir suivre l’exemple égyptien. Sur un autre plan, il ne faut pas perdre de vue le facteur géopolitique, qui pèse de tout son poids. Ces décisions internes auront des répercussions à l’échelle régionale. Je veux dire qu’il faut s’attendre à un changement de cap dans la politique régionale de l’égypte, notamment pour ce qui est du dossier palestinien. Il n’est pas exclu — c’est une hypothèse — que l’Égypte sous la présidence de Morsi, prenne ses distances par rapport aux positions défendues jusque-là par l’ancien régime. Il faut s’attendre, peut-être, à l’allègement du blocus imposé à Gaza. Par ailleurs, il faut s’attendre, aussi, à ce que l’Égypte essaie de reconquérir la place de médiateur incontournable qu’elle occupait juste avant la chute de Moubarak.
Une place qu’elle avait perdue au profit du Qatar et de la Turquie notamment.