L’Egypte au bord de la guerre civile

L’Egypte au bord de la guerre civile

El Watan, 5 janvier 2014

A la répression féroce des manifestations ayant fait plusieurs morts, dont 13 uniquement vendredi dernier, le pouvoir de fait d’Al Sissi et ses partisans fait face aussi à une vague d’attentats terroristes qui rendent la situation un peu plus confuse.

Treize personnes ont tuées vendredi lors des affrontements au Caire, en Alexandrie, dans le nord de l’Egypte, à Ismaïliya, sur le canal de Suez, et Fayyoum, au sud de la capitale. Il faut dire que les forces de sécurité ont plus que jamais la gâchette facile après que le nouveau régime ait décrété d’autorité les Frères musulmans «organisation terroriste». C’est précisément lors des manifestations des islamistes pour réclamer le retour au pouvoir de M. Morsi, déposé par les militaires, que le bain de sang a été commis vendredi. Et rien ne dit que la spirale infernale de manifestation-repression va cesser après ce massacre. Pour les Frères musulmans, les manifestations sont le meilleur moyen de maintenir la pression sur un régime qui s’apprête à faire adopter par référendum une nouvelle Constitution taillée selon les mesures des uniformes des généraux de l’armée.

Pour ces derniers, la permanence de ces actions de protestation des Frères musulmans constitue un frein à leur feuille de route pour légitimer un coup d’Etat qui se vend de moins en moins à l’international.
Le fait est que même ceux qui ont soutenu l’opération du 3 juillet dernier, qui avait provoqué l’arrestation du président élu Mohamed Morsi, prennent leurs distances d’avec Al Sissi et compagnie. Une vague d’arrestations a même ciblé des dizaines de militants laïcs pris dans des rafles musclées.

La gâchette trop facile

Beaucoup parmi les «révolutionnaires» ayant chassé Moubarak du pouvoir sont aujourd’hui déboussolés entre les militaires aux méthodes expéditives qui rappellent l’ancien régime, et les islamistes dont ils craignent le projet. Le régime militaire, qui s’est appuyé sur une large mobilisation populaire pour faire tomber Morsi, a montré lui aussi ses limites. En décidant de blacklister les Frères musulmans «organisation terroriste», et partant lui interdire toute manifestation publique, il a implicitement donné l’ordre, aux forces de sécurité, de tuer. Et c’est, hélas, le triste spectacle d’affrontements sanglants qu’offre quotidiennement l’Egypte divisée entre les partisans des islamistes et les soutiens des militaires.

Le bilan est très lourd depuis la (re) prise du pouvoir par les militaires : près d’un millier de personnes ont péri et autant fait prisonniers.
Même le président américain, Barack Obama, qui a pourtant soutenu du bout des lèvres le renversement de Morsi, a eu une réaction très dure suite au massacre de vendredi dernier. Il a en effet dénoncé «le chemin dangereux» pris par l’Egypte et déploré que cette dernière ait manqué «la chance de réconciliation» offerte par le renversement de Mohamed Morsi. «Nous appelons les autorités égyptiennes à respecter les droits universels de son peuple, et nous demandons aussi à ceux qui manifestent de le faire pacifiquement», a aussi déclaré le président des Etats-Unis.

Même Obama doute

Ce qui fait dire que la terrible répression des manifestations n’est objectivement pas la meilleure garantie à proposer aux Egyptiens pour les inciter à s’inscrire dans une perspective politique consensuelle et viable. Or, comme aveuglés par leurs pouvoirs sans limite, les militaires s’apprêtent à défier leurs contempteurs en prévoyant de juger l’ex-président Mohamed Morsi, pour s’être évadé de prison durant la révolte de 2011…
Comme s’il fallait rester en prison alors que le régime qui l’y avait mis était tombé…

Pendant ce temps, des attentats terroristes plus ou moins sanglants sont commis aux quatre coins du pays. Depuis l’attentat à la voiture piégée visant le siège de la police à Mansoura (delta du Nil), qui a causé 15 morts le 24 décembre, le terrorisme défraye la chronique en Egypte. Dimanche 29 décembre, un troisième attentat en moins d’une semaine a visé un bâtiment militaire dans la province de Charkiya, toujours dans le delta, blessant quatre soldats. Et jeudi dernier, une charge explosait au passage d’un bus au Caire, causant cinq blessés. Plusieurs engins explosifs ont été par ailleurs désamorcés ces derniers jours.Il est évident que dans la logique des militaires, le fait d’estampiller les Frères musulmans, «organisation terroriste», visait en creux à les désigner comme seuls responsables de tous les attentats pour les discréditer davantage et par là même légitimer leur pouvoir. Sauf que cette tactique risque plutôt de précipiter l’Egypte dans une guerre civile, si Al Sissi et consorts continuent de foncer tête baissée contre les manifestants en restant sourds aux appels à la raison.

Hassan Moali