La dynastie wahhabite menacée par les révoltes
Le vent de la contestation souffle sur l’Arabie Saoudite
La dynastie wahhabite menacée par les révoltes
El Watan, 27 novembre 2011
La découverte du pétrole dans les années 1930 assure des revenus considérables au royaume saoudien.
En février 1945, le président américain Franklin Roosevelt rencontre le roi Abdelaziz ils signent l’accord de Quincy, du nom du navire de guerre américain où ils se sont rencontrés.Conformément à cet accord, Washington obtient le monopole de l’exploitation du pétrole en Arabie Saoudite. En échange, Washington garantit la sécurité du royaume. En d’autres termes, l’or noir contre la pérennité de la dynastie wahhabite et auto-proclamée gardienne des Lieux Saints de l’islam. Ainsi, le pétrole, le dollar et l’islam dans sa version wahhabite cimentent désormais les irréfutables, les soubassements du royaume. En 1987, le roi Fahd s’octroie le titre de «serviteur des Lieux Saints, La Mecque et Medine».
Invité lors du colloque organisé fin septembre sur le Printemps arabe à Alger par le quotidien El Watan et l’université Paris VIII, le professeur Pascal Ménoret, professeur assistant à la New York University d’Abu Dhabi, a observé dans son intervention que le royaume saoudien a pris toutes ses précautions à l’effet de ne pas être surpris par toute velléité de contestation à même de remettre en cause le système de la dynastie wahhabite. «Le retour du roi Abdellah après un traitement médical qui a duré trois mois a été marqué par l’annonce de 13 ordres royaux où figure en tête la distribution de 35 milliards de dollars au profit de tous les secteurs économiques et sociaux.»
Pauvreté, chômage et despotisme
La pauvreté en Arabie Saoudite a toujours sévi dans de larges couches sociales, malgré les milliards de dollars générés par la rente pétrolière. Laquelle ne profite qu’aux princes et leurs courtisans. Cependant, a constaté le même intervenant, «la pauvreté n’est pas visible à cause de l’urbanisation. Il faut pourtant savoir que 20% des Saoudiens vivent avec moins de 3 dollars par jour et 5% vivent avec moins de 1 dollar par jour. Dans le classement de la Banque mondiale, vivre avec 1,5 dollar par jour relève de l’extrême pauvreté».
Selon le même conférencier, le chômage touche 27% des jeunes de moins de 30 ans et 47% de la tranche d’âge entre 20 et 24 ans. Et dès le début de la contestation en février, le royaume a usé de la répression tout en contribuant à l’étouffement de la révolte populaire au Bahrein. Ainsi, outre les milliards de dollars, le roi utilise tous les moyens répressifs pour anéantir tout germe de contestation dans son pays. «Le régime saoudien bénéficie de l’absence de l’effet surprise. Un ordre de bataille a été donné pour lutter contre toute forme de contestation. Il y a eu aussi une première réaction qui est d’ouvrir la machine à sous. Sont dépensés 35 milliards de dollars en février puis 100 milliards de dollars au profit de tous : deux mois de salaire payés aux employés de la Fonction publique, une allocation chômage et une commission de lutte contre la corruption créée. Il y a eu aussi en face le recrutement de 60 000 policiers, le paiement des arriérés de salaire des agents des appareils de sécurité», a indiqué l’universitaire.
Entre-temps, a signalé ce dernier, des contre-manifestations sont organisées avec l’appui des courtisans et thuriféraires du système pour faire croire que les rassemblements constituent une forme de déviance.
Le même universitaire a évoqué des cas de peine d’emprisonnement de 2 à 5 ans contre les manifestants. Dans sa logique despotique, le ministère de l’Intérieur use des réseaux sociaux pour mener sa propagande contre les manifestants. Pour Pascal Ménoret, «la rente ne mène pas à l’apathie ni à la dépolitisation, elle facilite la répression massive. Depuis 1973, pas moins d’un tiers du budget saoudien a été utilisé en dépenses sécuritaires et militaires. Si la rente facilite la répression, la répression entraîne à son tour des mobilisations».
Ainsi, tous ces milliards de dollars dépensés pour soudoyer les consciences n’ont pas empêché des voix de s’élever contre le royaume. En effet, il existe des mouvements politiques et d’opposition en cette monarchie.
Le même locuteur les classe en trois «grands pôles ou catégories analytiques». Cependant, «ce ne sont pas des mouvements politiques au sens propre du terme, car dans ce pays, les partis politiques, les syndicats et toutes les formes modernes de regroupement sont interdits». Sur le plan géographique, il a évoqué en premier lieu ce qu’il appelle les «périphériques». Ce sont des groupes concentrés dans la province orientale connue pour son sous-sol riche en pétrole. Suit la «famille occidentale» ou la majorité sunnite qui vit dans le Hidjaz caractérisée par la «large étendue de la corruption. C’est dans cette région qu’un mouvement anti-corruption est né».
Enfin, le mouvement de l’extrême nord, appelé Al Djaouf, où la violence politique se manifeste le plus. «De nombreux attentats ciblés contre des alliés du régime ont été enregistrés dans cette région. Et il s’agit d’ailleurs d’une province extrêmement pauvre». Dans cet ensemble, il est relevé entre autres des militants en faveur d’une monarchie constitutionnelle. Nombreux parmi eux «sont mis en prison».
Aussi, est signalé le mouvement des parents des prisonniers politiques. Néanmoins, a précisé le professeur Ménoret, ce sont les révoltes des populations tunisienne et égyptienne qui ont insufflé de la reviviscence aux mouvements d’opposition saoudiens. «Des manifestations se sont déroulées devant le ministère du Travail, des chômeurs ont contesté l’emploi anti-saoudien et pro-immigration, des actes d’immolation ont été recensés, à La Mecque, des manifestations d’ouvriers ont eu lieu. Sur facebook, les appels de l’opposition islamique ont été relayés par des cheikhs qui ont aussi signé de nombreuses pétitions. Et trois appels se sont fait jour, à savoir un Etat de droit, la réforme et la monarchie constitutionnelle et la lutte contre le chômage et la corruption», a constaté le conférencier.
Amnay idir
Une monarchie sous haute tension
El Watan, 27 novembre 2011
Les mouvements de révolte qui secouent depuis le début de l’année les régimes arabes sont loin de passer inaperçus dans le royaume wahhabite.
Ainsi,quatre personnes ont été tuées par balle lors de troubles impliquant les forces de sécurité dans une région chiite de l’Arabie Saoudite, a rapporté jeudi l’AFP, citant des sources officielles et médicales.Deux hommes ont été tués lors d’échanges de tirs mercredi soir lors des funérailles de deux chiites décédés dimanche et lundi dans la région de Qatif, à l’est du royaume. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al Fayçal, a accusé mercredi l’Iran de continuer à «s’ingérer dans les affaires internes des pays de la région».
Eu égard à cette situation, des analystes relèvent la nécessité pour l’Arabie Saoudite d’entamer le dialogue avec ses chiites si elle veut empêcher l’Iran d’instrumentaliser cette minorité. «Il convient de contenir la contestation» chiite «pour qu’elle ne soit pas utilisée comme un moyen de pression politique aux mains de l’étranger», a estimé Khaled Dekhil, universitaire et professeur de sociologie politique cité par l’AFP. Ce spécialiste voit la main de l’Iran dans les troubles récurrents qui secouent l’Est saoudien, riche en pétrole et où se concentre la minorité des deux millions de chiites. «Il faut traiter les chiites comme des citoyens à part entière (…) et on doit commencer à renforcer chez les chiites comme chez les sunnites le principe de la citoyenneté», a ajouté Khaled Dekhil.
«C’est la première fois que les manifestants recourent aux armes à feu. On ne doit pas distinguer entre terrorisme sunnite et terrorisme chiite», a affirmé Abdel Azia Saqr, chef du centre de recherches du Golfe. Au niveau politique, il convient de dialoguer, a-t-il estimé, avec «les leaders chiites qui refusent l’ingérence étrangère».
Pour Anwar Eshki du Centre des études stratégiques du Moyen-Orient, il n’y a aucun doute sur une volonté iranienne de déstabiliser le royaume. «L’Iran cherche à susciter des troubles en Arabie Saoudite et cela date de vingt ans lorsqu’on a cherché à le faire en utilisant les pèlerins iraniens à La Mecque.» Certes, la minorité chiite est marginalisée en Arabie Saoudite, cependant se pose la question des réformes dans cette monarchie absolue basée sur la doctrine wahhabite, la gérontocratie et le tribalisme. Problèmes qui ne se réduisent pas à la rivalité des communautés sunnite et chiite. D’autant qu’ils entravent la création d’un Etat-nation.
Amnay idir