Libye: Remise des terminaux pétroliers aux civils et reprise imminente de l’exportation
Haftar prend de court les occidentaux
Remise des terminaux pétroliers aux civils et reprise imminente de l’exportation
El Watan, 17 septembre 2016
Haftar a remis la gestion des terminaux pétroliers à l’entreprise nationale du pétrole. Une large frange de Libyens soutient l’éloignement des milices de Jadhrane des champs pétroliers. Tripoli et la communauté internationale sont obligés de composer avec la nouvelle donne.
En moins d’une semaine, le désormais maréchal Khalifa Haftar a changé la donne politique en Libye. L’armée libyenne a écarté les milices de Brahim Jadhrane de la gestion des ports du croissant pétrolier. Laquelle gestion est de nouveau du ressort de la Compagnie nationale libyenne du pétrole (CNLP) dont le président-directeur général, Mustapha Sanallah, a déclaré, mercredi dernier à partir du port de Zoueitina, que la reprise des exportations est imminente.
La rapidité de l’exécution montre que le scénario a été préparé à l’avance. «C’est la surprise dont a parlé Khalifa Haftar pour l’Aïd», indique le politologue Ezzeddine Aguil, rappelant que les observateurs croyaient que Haftar parlait, encore une fois, de la libération complète de Benghazi. «Pour une surprise, c’en est bien une et grande aussi», insiste le politologue.
Scénario préparé
Les événements se sont succédé de manière très rapide sur la scène libyenne, suivant un scénario préparé à l’avance. D’abord, entre le dimanche 11 et le mardi 13 septembre, Haftar a mis la main sur les quatre ports (Sidra, Ras Lanouf, Brega et Zoueitina) du croissant pétrolier. En réaction, six pays de la communauté internationale (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie et Espagne) ont publié un communiqué condamnant l’action et exigeant le retrait immédiat des troupes de Haftar.
Ce dernier a riposté en déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’y rester et qu’il allait remettre la gestion des ports à la Compagnie nationale libyenne du pétrole, ce qui a été fait à partir de mercredi. Entre-temps, Haftar a désigné une nouvelle hiérarchie aux unités de garde des ports, et ce, en tant que commandant en chef de l’armée.
Avant-hier, jeudi, tout est rentré dans l’ordre. La situation d’empêchement majeur a été levée par le PDG de la CNLP, Mustapha Sanallah. Deux pétroliers sont déjà là pour s’approvisionner à partir des terminaux de Briga et Ras Lanouf, pour la première fois depuis 2014. Durant les deux dernières années, c’étaient les milices de Brahim Jadhrane qui contrôlaient ces exportations et non la compagnie nationale.
Face à ces développements, l’envoyé spécial américain en Libye, Jonathan Winer, a fait marche arrière. Il a déclaré à l’AFP qu’il «soutient la reprise des exportations de pétrole, tant que l’acheminement des ventes se fait via les comptes de la Banque centrale libyenne». Winer a appelé à des négociations avec Haftar pour trouver une issue à la crise dans le cadre de l’accord de réconciliation générale libyenne. Par ailleurs, l’Egypte a ouvertement exprimé son soutien aux actions de Haftar.
D’abord, lundi dernier, la délégation égyptienne s’est fermement opposée (avec la Russie et la Chine) à une quelconque condamnation des actions de Haftar de la part du Conseil de sécurité. Ensuite, hier, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Chokri, a exprimé «le plein soutien de l’Egypte aux actions de l’armée libyenne pour maintenir la sécurité et la stabilité dans le pays et protéger sa richesse pétrolière».
Nouvel équilibre
La réaction de l’envoyé spécial de l’ONU, Martin Kobler, traduit le désarroi des capitales occidentales face à la nouvelle situation sur le terrain. Kobler a parlé de «coup féroce». Il a appelé, au début, à un cessez-le-feu, comme s’il y avait de véritables affrontements. L’envoyé onusien a été surpris par un tel scénario de reddition des groupes armés de Jadhrane à l’Armée nationale libyenne. Kobler ne s’est pas attendu, non plus, aux réactions des forces de Misrata qui n’ont pas voulu soutenir Jadhrane.
Le vice-président du gouvernement libyen, le Misrati Ahmed Myitigue, a même dit «comprendre les Libyens de l’Est, qui ont subi beaucoup d’injustices». Myitigue a insisté sur le fait que «le gouvernement de réconciliation nationale est là pour trouver des solutions et non créer des problèmes».
Ces développements ont poussé Kobler à aller «secouer» Misrata et l’inviter à s’attacher aux termes de l’accord de Sekhirat. «Myitigue, donc une fraction de Misrata, est dangereusement conciliant avec les agissements de Haftar, ce qui constitue une négation complète du processus de paix, tracé depuis plus de deux ans par l’ONU», remarque Jamel Bennour, l’ancien président du conseil local de Benghazi.
Ce dernier considère que la position nationale libyenne va s’imposer, si Misrata saisit cette perche tendue pour renouer avec le reste de la patrie, en renonçant définitivement à ses anciens alliés de Fajr Libya. «Misrata est en train de libérer Syrte des mains de Daech. Haftar a d’abord libéré Benghazi de Daech et ses alliés. Il a aujourd’hui libéré les ports pétroliers des milices de Jadhrane.
C’est le moment d’une véritable réconciliation et d’un programme de salut national, avec des élections parlementaires, etc.», explique-t-il. Par ailleurs, le président du gouvernement libyen de transition, Fayez El Sarraj, s’est envolé avant-hier pour Le Caire pour des discussions avec les autorités égyptiennes, Martin Kobler et, éventuellement, le président du Parlement, Salah Akila. L’Egypte est désormais un acteur incontournable de la scène libyenne.
Ces développements n’ont pas empêché le maréchal Haftar d’aller, pour une courte visite mercredi dernier, au Tchad afin d’examiner la situation sécuritaire sur les frontières entre les deux pays, surtout avec la présence annoncée de rebelles tchadiens au nord du Tchad. Selon des sources à N’Djamena, l’affaire est devenue sérieuse, à un tel point que le chef de l’Etat tchadien, Idriss Déby, a décidé de la suivre en personne. L’épilogue du scénario libyen n’est pas pour demain.
Sellami Mourad