Abdelaziz Rahabi : « Il faudrait refuser que l’Algérie se transforme en gendarme de la région »

Abdelaziz Rahabi : « Il faudrait refuser que l’Algérie se transforme en gendarme de la région »

Propos recueillis par Selma Kasmi, Maghreb Emergent, 10 mars 2015

Pour Abdelaziz Rahabi, les réunions inter-libyennes d’Alger et Skhirate sont différentes par leur nature, mais complémentaires

Dans cet entretien, le diplomate et ancien ministre de la Culture et de la Communication, Abdelaziz Rahabi, revient sur les deux réunions des parties en conflit en Libye ; l’une au Maroc, l’autre en Algérie. Pour lui, ces deux réunions sont complémentaires tant les deux pays prônent un règlement politique de la crise . « Tout le monde adhère à cette approche politique de résolution de ce conflit qui dure depuis 2011, car ils savent tous que seule la solution politique pourrait mettre fin au chaos libyen », explique-t-il.

Aujourd’hui, l’Algérie accueille le dialogue inter-libyen et demain mercredi, les parties libyennes en conflit se réuniront dans la ville de Skhirate au nord du Maroc. Pourquoi ces deux réunions concomitantes et quelles sont les parties qui viennent à Alger celles qui partent au Maroc ?

Les deux réunions sont de nature différente. Alger a initié dès le début de sa médiation un dialogue avec des personnalités politiques libyennes, des militants connus, des dirigeants, des chefs de partis politiques, des personnalités de la société civile. Au Maroc, ce sont les deux parlements en conflit, à savoir, le Conseil Général National (Parlement de Tripoli), et le Conseil des Représentants du Peuple (Parlement de Tobrouk), qui se sont réunis jeudi et vendredi derniers au Maroc. Notons qu’aucun des deux parlements ne reconnait la légitimité de l’autre. La réunion de la semaine dernière et qui se poursuivra mercredi au Maroc, est en quelques sortes la suite des rencontres de Genève 1 et Genève 2, où il était question de trouver une solution à cette crise institutionnelle.

Les deux réunions de Genève 1 et Genève 2 ont échoué car les deux parlements refusaient de se trouver dans un même endroit. Mais ils se sont déplacés tous les deux à Skhirate au Maroc, ils se sont réunis face-à-face pour la première fois. Et ils se sont même mis d’accord sur la création d’un parlement d’Union Nationale. Qu’est ce qui a changé entre temps ?

Une évolution de la situation tout simplement. Car permettez-moi de vous dire qu’un processus de paix consiste en la mise en place et la réalisation de plusieurs étapes. Une situation de conflit aussi complexe est dépendante des évolutions sur terrain. Etant donné que c’est le terrain qui détermine le changement des rapports de force, qui comme chacun le sait, conduisent aux changements de la teneur des négociations, cela nécessite le passage par plusieurs étapes. Il faudrait ajouter à cela, les très grandes influences des pays étrangers sur ce pays, notamment, à travers les différents belligérants internes. Le fait que les deux parlements se réunissent en tête-à-tête signifie tout simplement que les différents efforts de médiation ont menée à cette « avancée » dans ce dossier de la crise institutionnelle. Si les différents pourparlers ont débuché sur la création d’un gouvernement d’Union Nationale, on aura donc, franchi un énorme pas.

Les deux réunions du 10 à Alger et du 11 au Maroc, sont-elles par ce fait, complémentaires ?

Absolument, étant donné qu’un processus de paix consiste à réunir le maximum d’acteurs à fin que le dialogue soit le plus inclusif possible. L’idéal, serait que toutes les parties libyennes en conflit se réunissent à l’intérieur de la Libye, et trouvent entre elles des solutions. Mais dans cette situation qui représente d’énormes enjeux internationaux, régionaux, sécuritaires et économiques, le recouvrement de la paix dans ce pays revêt une complexité et une difficulté qui ne pourront être résolues sans le traitement global de toutes les dimensions de la crise. Il ya eu certes, une démultiplication des intervenants étrangers sur le terrain libyen, mais les libyens sont conscients et savent très bien que tous ces intervenants étrangers finiront par rentrer chez eux, et qu’ils ne resteront que leurs voisins. Et ceux sont nous, pays voisins, qui allons subir les conséquences de tout accord signé quelque soit sa nature. Il conviendrait de rappeler ici, qu’après avoir signé les accords de paix que nous escomptons, il faudrait assurer la garantie et l’applicabilité de ces accords, et aussi consolider cette paix par la suite. Et les atouts de l’Algérie dans cette médiation inter-libyenne, sont tout d’abord sa proximité, sa connaissance du dossier, et sa recherche de la solution politique, préalable à toute autre solution. Tandis que la difficulté devant laquelle bute l’initiative algérienne, est de convaincre tous les libyens, tous les pays étrangers intervenant dans ce conflit que les rapports de forces sur le terrain sont changeants, et qu’au bout d’un moment, ils seront obligés de retourner vers une solution politique. Si la question libyenne est un Test pour la communauté internationale et les intervenants étrangers, pour nous, elle c’est une question décisive.

L’Algérie et l’Egypte ont parlé mardi d’une « convergence de vues » relatives à la question libyenne. Cela supposerait-il que l’Algérie adhèrera au choix militaire de l’Egypte ou c’est l’Egypte qui abandonnera l’intervention armée au profit de la solution politique prônée par l’Algérie ?

L’initiative algérienne consiste à faire valoir la solution politique et non militaire. Tout le monde adhère à cette approche politique de résolution de ce conflit qui dure depuis 2011, car ils savent tous que seule la solution politique pourrait mettre fin au chaos libyen. L’intervention militaire armée égyptienne est un fait momentané. Les pays voisins de la Libye sont obligés de coordonner leurs efforts pour aider ce pays à sortir de sa crise. Une crise qui ne menace pas uniquement les pays voisins, qui sont les premiers à payer les dégâts collatéraux, mais aussi les autres pays de la région, et d’Europe, dont le sud est à la portée des missiles que possèdent les milices et les groupes terroristes activant en Libye. Là aussi, je voudrais que la diplomatie algérienne mette la communauté internationale devant ses responsabilités vis-à-vis de la lutte anti-terroriste, car ces menaces terroristes sont mondiales, et tout le monde doit-être impliqué dans cette guerre. Il faudrait refuser que l’Algérie se transforme en gendarme de la région.

Le général à la retraite Khalifa Haftar vient de prêter serment comme Commandant en chef de l’armée libyenne. Son rôle serait derrière la tergiversation de la nomination d’un gouvernement d’Union Nationale par les deux parlements réunis au Maroc. Quelle lecture faites-vous sur cela ?

Vous savez, dans une dynamique de recherche de la paix, et en présence d’un tel nombre d’intervenants étrangers, de telles richesses énergétiques qui rendent la situation complexe, on ne peut que privilégier ce qui est positif. Les deux parlements se sont réunis en tête à tête, ils discutent et voient ensemble la création d’un gouvernent d’Union Nationale, c’est déjà une réussite. Les efforts, notamment ceux déployés par Alger, sont grandement orientés vers un accord politique tout d’abord. Tous les arrangements sécuritaires seront ensuite possibles.