Gaza, Palestine ; Israël mène une guerre contre un peuple

Gaza, Palestine ; Israël mène une guerre contre un peuple

Isabelle Avran, 1er janvier 2009
http://www.france-palestine.org/article10713.html

L’Europe, aujourd’hui complice, doit au contraire agir pour mettre sans délai un terme aux bombardements israéliens, au siège de Gaza et imposer la paix et le droit international.

Israël a déclaré la guerre à la population palestinienne dans la bande de Gaza. Depuis le 27 décembre, ce petit territoire où s’entassent un million et demi de Palestiniens –dont deux tiers de réfugiés issus de l’expulsion de 1947-1949- s’est transformé en cortège funèbre quasi-permanent. Le bilan des bombardements israéliens ne cesse de s’alourdir. Il se chiffre en centaines de morts, parmi lesquels de nombreux enfants -dont cinq fillettes d’une même famille-, en milliers de blessés, en destructions massives. Les hôpitaux sont littéralement surchargés, débordés, et ne peuvent répondre à l’urgence, ce d’autant plus que des mois et des mois de blocus imposé par Israël avec un appui international dévastateur les ont privés de tout, médicaments et matériels. Pour la seule journée de samedi, 64 avions ont tiré plus de cent tonnes de bombes en plusieurs vols. Israël a déclaré le nord de la bande de Gaza « zone militaire fermée » et l’hypothèse d’une offensive terrestre est sérieuse, avec des chars massés à la frontière et l’appel aux réservistes. La population palestinienne est victime de crimes de guerre israéliens à grande échelle. L’affirmer n’est pas un slogan, c’est un fait au regard de la quatrième convention de Genève et les dirigeants israéliens devront pour cela être jugés. La violence imposée par la force militaire d’Israël est d’une ampleur inédite depuis l’occupation de Gaza en 1967, voici plus de quarante ans. Elle n’est pas sans rappeler cependant l’offensive israélienne de 1971-1972 sous l’égide d’Ariel Sharon contre la bande de Gaza et sa population, l’offensive « Remparts » qui a ravagé la Palestine occupée en 2002 et les bombardements qui ont dévasté le Liban à l’été 2006 : une guerre, perdue par Israël, et dont visiblement ses dirigeants n’ont tiré aucun enseignement.

Négligeant d’autres leçons de l’histoire, les dirigeants israéliens, en pleine campagne électorale alors que le Premier ministre Ehud Olmert a dû démissionner pour des affaires de corruption, se sont lancés dans une concurrence meurtrière de démonstration de force, au prix et au mépris des vies humaines comme de l’avenir. Une réédition de campagnes électorales précédentes menées sur la base de surenchères nationalistes et guerrières. Tzipi Livni, en perte de vitesse face à Benyamin Netanyahou, semble oublier que rarement les copies parviennent à gagner face à l’original. On se souvient, par exemple, de la victoire du Likoud qui a suivi l’intermède gouvernemental de Shimon Pérès après l’assassinat d’Yitzhak Rabin en novembre 1995, intermède marqué par l’assassinat de Yahia Ayyash (Hamas) à Gaza suscitant alors une vague d’attentats en Israël et par l’aventure guerrière elle aussi particulièrement meurtrière au Liban.

Mais la guerre contre le peuple palestinien, qui se poursuit grâce à l’impunité que permet la complicité des Etats notamment occidentaux, s’accompagne aussi d’une guerre idéologique et médiatique destinée notamment à l’opinion publique occidentale et que relaient avec complaisance dirigeants occidentaux et une partie des médias. Un discours qui, comme le démontrent les multiples manifestations citoyennes partout en Europe (outre celles dans le monde arabe et dans le reste du monde, mais également celle d’un millier de pacifistes et anticolonialistes israéliens à Tel-Aviv), ne fonctionne pas comme le souhaiteraient ses promoteurs, mais qu’il faut cependant continuer à dénoncer pour ce qu’il est et dont il importe de démasquer le contenu.

C’est Tzipi Livni elle-même, ministre israélienne des Affaires étrangères, qui en a tracé les grandes lignes dans un discours aux diplomates étrangers. Que dit-elle ? Que la bande de Gaza est libérée depuis plusieurs années ; que la bande de Gaza aurait pu devenir le berceau du futur Etat palestinien ; qu’Israël a respecté les six mois de trêve ; que c’est le Hamas qui a rompu la trêve ; que la guerre d’Israël n’est qu’une riposte et est dirigée contre le Hamas et non contre le peuple palestinien ; qu’il s’agit d’une guerre entre les extrémistes et les modérés et que le Hamas est l’ennemi non seulement d’Israël mais aussi de tout le « monde libre ». C’est là finalement l’objectif essentiel de cette guerre idéologique : non seulement les dirigeants israéliens, conscients de l’émotion et de la colère que suscitent leurs crimes de guerre dans le monde entier, veulent poursuivre leur guerre contre un peuple en toute impunité, mais en outre, en tentant d’inverser toutes les donnes du conflit, ils souhaitent inscrire leur guerre dans le contexte d’un conflit des civilisations où le Hamas serait un ennemi commun du « monde libre ».

Or, revenons sur chacun des ces thèmes.

La bande de Gaza libérée depuis plusieurs années ? Qui le croira ? La bande de Gaza a été transformée par Israël en prison, non pas à ciel ouvert, mais à ciel couvert par les raids meurtriers réguliers israéliens. L’armée la cerne par terre, mer et ciel, multipliant « incursions » et bombardements. Toutes les ONG palestiniennes, internationales, les associations israéliennes de défense des droits humains, les institutions compétentes des Nations unies dénoncent depuis des mois et des mois le siège et ses conséquences humanitaires, économiques, sanitaires catastrophiques. Est-ce le sens que Tzipi Livni donne au mot liberté ? Israël a décrété la bande de Gaza « entité hostile ». Une déclaration de guerre à un territoire et à son peuple. Et là encore, une violation de la quatrième convention de Genève qui impose des devoirs à la puissance occupante ; or maintenir une population sous blocus est bel et bien une forme –perverse et d’une incroyable violence- d’occupation. Israël, avec la complicité des Etats notamment occidentaux, croyait-il réellement, défiant le résultat élections palestiniennes, isoler le mouvement de la résistance islamique en affamant un peuple ? L’Histoire a déjà donné la réponse : elle est rigoureusement inverse.

La bande de Gaza aurait pu devenir le berceau du futur Etat palestinien ? Non seulement la Palestine ne se divise pas. Mais en outre, Dov Weisglass l’a déclaré au moment du redéploiement des colons et des forces armées israéliennes à l’extérieur de la bande de Gaza : cette opération devait permettre de « geler la négociation dans le formol ». Les colons de la bande de Gaza, pour la plupart, ont été « relogés » dans des colonies en Cisjordanie. Le nombre de celles-ci et de constructions dans les colonies a littéralement explosé depuis, et tout particulièrement depuis la rencontre d’Annapolis, conduisant à l’échec prévu de ce processus, une fois encore en toute impunité. De la même façon se sont poursuivis la construction du réseau de murs illégal profondément à l’intérieur du territoire palestinien occupé, la multiplication de nouveaux barrages militaires empêchant eux aussi tout mouvement de population et de marchandises, étouffant toute économie, la confiscation des terres et des ressources d’eau palestiniennes, la destruction de maisons, en particulier à Jérusalem et dans son arrière pays, les arrestations de masse que les libérations au compte-gouttes ne camouflent qu’aux yeux de ceux qui soutiennent inconditionnellement la politique israélienne, les assassinats, « ciblés » ou non… C’est aussi pour tenter de faire oublier ce sabordage programmé du « processus » dit d’Annapolis et leur refus de l’établissement d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, comme pour mettre un terme à toute perspective de négociation, que les dirigeants israéliens mènent aujourd’hui cette guerre contre la population palestinienne de la bande de Gaza.

Israël a respecté les six mois de trêve ? Mais, contrairement à ce que celle-ci prévoyait, le siège n’a cessé de se durcir. Qui plus est, dès le 4 novembre, un raid israélien a conduit à l’assassinat de six militants du Hamas, comme une provocation au pire. Qui aurait pu croire dès lors un instant que celui-ci serait resté impassible au lendemain de la fin de la trêve ? Nul ne peut dès lors prétendre que c’est le Hamas qui a rompu la trêve et que la guerre d’Israël n’est qu’une riposte.

La guerre israélienne est dirigée contre le Hamas et non contre le peuple palestinien ? Qui peut le croire au vu de la configuration de ce territoire surpeuplé et du bilan des bombardements israéliens ? Et qui croira qu’en semant la mort et la désolation les dirigeants israéliens récolteront autre chose que la haine et la colère de tout un peuple ? Ce choix israélien du pire et de la guerre est aussi, au contraire, une menace d’embrasement de toute la région.

Il s’agit d’une guerre entre les extrémistes et les modérés et le Hamas est l’ennemi non seulement d’Israël mais aussi de tout le « monde libre » ? Mais la liberté au contraire se fonde sur le respect du droit. Le monde s’est doté, avec les Nations unies, d’une charte et d’un droit international. L’expulsion des Palestiniens en 1947-1949 comme l’occupation israélienne des territoires palestiniens de Cisjordanie dont Jérusalem-Est et de la bande de Gaza sont le conflit qui ont produit le plus de résolutions internationales, en dépit des veto répétés des Etats qui, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies notamment, tels les Etats-Unis, soutiennent sa politique coloniale. Les dirigeants israéliens successifs n’en ont respecté aucune, bénéficiant d’une singulière impunité et de l’absence de toute sanction. Non, il ne s’agit pas d’un conflit de civilisations ou de religions. Il s’agit d’une occupation et d’une guerre coloniales qui n’ont que trop duré.

Cela suffit. Les bombardements israéliens doivent cesser sans délai. Le siège de la bande de Gaza doit cesser sans délai. Seule la paix mettra fin à ce cortège de la mort. Ses conditions sont connues : c’est le droit international. Seule manque la volonté politique des Etats pour l’imposer. Et cette complicité des Etats, à commencer par la France, doit elle aussi cesser pour donner enfin une chance à la paix et à la vie dans cette région.

Le Conseil de sécurité des Nations unies n’a adopté qu’un texte non contraignant et se contente de « demander » « l’arrêt immédiat de toutes les activités militaires » et la résolution de la « crise humanitaire ». Les Etats arabes, à l’origine de la proposition de paix de 2002, refusée à plusieurs reprises par Tel-Aviv et restée sans suite, n’ont décidé eux non plus d’aucune initiative. L’Egypte, qui annonce tenter de négocier un cessez-le-feu, continue à refuser l’ouverture de sa frontière avec la bande de Gaza, en dépit de manifestations populaires massives. Aux Etats-Unis, alors que George W. Bush aurait été averti à l’avance des frappes israéliennes la Maison Blanche, a comme il fallait s’y attendre, condamné le Hamas -le porte-parole de la Maison Blanche, Gordon Johndroe, déclarant au sujet du Hamas : « ces gens sont des voyous »- et n’entend pas intervenir pour mettre un terme aux bombardements israéliens. Le futur président Barack Obama, lui, n’a pas réagi officiellement depuis ses vacances hawaïennes.

L’Europe dont la France ont d’autant plus une énorme responsabilité. Présidant l’Union européenne jusqu’à la fin du mois de décembre, la France, passant outre les cris d’alarme des dirigeants palestiniens et des militants de la paix, palestiniens, israéliens, européens, passant outre les réserves du Parlement européen, a pourtant été jusqu’à prendre la responsabilité ce mois-ci de rendre possible un « rehaussement » des relations économiques, commerciales, stratégiques… entre l’Union européenne et Israël. Comme un signe d’encouragement à la poursuite de sa politique. Une telle orientation est une incitation à poursuivre en toute impunité. Réunis à Paris le 30 décembre, les ministres des affaires étrangères des Etats membres de l’Union européenne ou leurs représentants ainsi que le Haut représentant pour la PESC et la Commission européenne se sont contentés de le « proposer », sans l’exiger, un « cessez-le-feu immédiat et permanent » comme l’un des éléments de « sortie de crise ».

Nicolas Sarkozy, lui, a fait savoir qu’il recevra Tzipi Livni ce jeudi 1er janvier 2009 à 16H00 à l’Elysée. Trop, c’est trop.

Assez de morts, assez du siège, assez de destruction, assez de l’occupation. Il faut sanctionner les dirigeants israéliens jusqu’à ce qu’ils respectent enfin leurs propres engagements et le droit international. Un « rehaussement » des relations entre l’Union européenne et Israël n’est pas acceptable. Il faut au contraire suspendre immédiatement l’application de l’accord d’association entre l’UE et Israël. Et imposer une vraie conférence de paix dont seul le droit international peut être le fondement. C’est ce qu’exigent des milliers de citoyens qui manifestent dans toute la France. Des manifestations qui ont lieu aussi à Londres, à Madrid, à Rome, à Copenhague, à Ankara, à Stockholm…

C’est ce qu’exige la raison.

Isabelle Avran, le 31 décembre 2008.