La fabrication du nouveau Moyen-Orient a commencé

La fabrication du nouveau Moyen-Orient a commencé

Le Quotidien d’Oran, 6 août 2006

Si le plan Siniora de sortie de crise est mis en oeuvre, Israël risque d’accaparer davantage de pouvoirs militaires et de territoires dans la région et affaiblira de plus en plus la Syrie.

Le secrétaire d’Etat américain adjoint pour le Moyen-Orient, David Welch, a été reçu hier par le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, et par le président du Parlement, Nabih Berri. Jusqu’à l’heure actuelle, aucune information n’a filtré sur la teneur de ces entretiens. Il est cependant fort possible que le responsable américain et le Premier ministre libanais ont remis sur la table «le plan global» que ce dernier avait proposé à la fin du mois de juillet dernier comme une sortie de crise soutenue par la fin des hostilités entre le Liban et Israël.

Le plan Siniora prévoit un cessez-le-feu, l’échange des prisonniers entre Hezbollah et Israël et l’envoi de l’armée libanaise dans le sud du Liban avec comme conséquence première de ce dernier point, le désarmement de Hezbollah. Pour éviter le déploiement d’une force multinationale ou de l’OTAN – c’est selon le voeu de Washington -, le Premier ministre libanais a préféré proposer l’envoi de l’armée libanaise au sud de son pays. Ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose. Sauf qu’elle implique le désarmement du parti de Hassan Nasrallah, donc l’exécution de la résolution 1559 adoptée par le Conseil de sécurité après l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais, Rafic Hariri, obligeant en prime les troupes syriennes à quitter le Liban.

Fomenté pour permettre aux Américains et aux Israéliens de mettre au point leurs projets d’annexion de plus de territoires dans le Moyen-Orient, l’assassinat de Hariri a non seulement amputé la classe politique libanaise de l’un de ses meilleurs animateurs qui en plus était un bâtisseur d’un nouveau Liban, mais a obligé Damas à retirer ses troupes facilitant ainsi l’entreprise d’actions destructrices et expansionnistes comme celles menées depuis le 12 juillet dernier par Israël contre le pays du Cèdre. C’est ce qui explique l’entêtement de Washington à ne pas accepter un cessez-le-feu immédiat et qui laisse Condoleezza Rice rêver d’un nouveau Moyen-Orient que David Ben Gourion et Moshe Dayan projetaient de conquérir. Le tout traduit le refus d’Israël à ce jour d’un tracé clair et net de ses frontières. Ben Gourion disait à l’époque que les limites de l’Etat hébreu étaient là où se trouvait un soldat israélien. L’idée d’un nouveau Moyen-Orient ou d’un Grand Moyen-Orient n’est pas aussi nouvelle qu’on ne le pense. A se référer aux propos et déclarations des gouvernements israéliens qui se sont succédé à ce jour, elle semble être l’un des fondements du sionisme et de la création de l’Etat d’Israël.

Aujourd’hui, ses troupes font des incursions régulières dans Bint Jbeil, Tyr, Marjayoun, Borj El Barajna, Nabatyié. Dans pratiquement tout le sud du Liban. Plus de 250 raids aériens et 4.000 obus ont été enregistrés, selon l’AFP, dans la matinée du samedi dans la seule région de Tyr. Le départ des troupes militaires syriennes a largement facilité la tâche à Israël. Si en plus Siniora plaide en faveur d’un déploiement de l’armée libanaise au sud pour éviter l’intervention d’une force multinationale, il aura contribué ainsi à appuyer l’idée du désarmement de Hezbollah, un parti qui seul résiste face aux tentatives d’occupation du Liban.

En se retrouvant seuls face à une armée équipée de matériels ultramodernes et puissants soutenue par un veto américain exhibé sans retenue pour bloquer toute initiative de retour au calme dans la région, les politiques libanais semblent vouloir parer au plus urgent, l’acceptation d’un cessez-le-feu au risque de l’échanger contre une reconfiguration du front libanais. Mais ceci sera fait sans en mesurer les conséquences à moyen et long termes.

Dans son plan global de sortie de crise, Siniora demande aussi le renforcement de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), la mise du secteur frontalier des fermes de Chebaa, occupé par Israël, sous juridiction onusienne et la réactivation de l’accord d’armistice libano-israélien de 1949 dont la teneur est jugée obsolète tant les pressions américaines et israéliennes pour «fabriquer» le nouveau Moyen-Orient sont devenues féroces.

Le manque de fermeté de l’ONU dans la prise de décision et son incapacité à peser sur les questions internationales tout autant que l’Union européenne ou la Ligue arabe laissent planer un grand scepticisme quant à l’utilité de Siniora de revendiquer le renforcement de la FINUL pour protéger son pays encore moins celle d’une juridiction onusienne pour tenter de régler le sort des fermes de Chebaa.

La venue du secrétaire d’Etat américain adjoint n’est certainement pas pour remettre de l’ordre dans la région comme le souhaitent les Libanais ou les Palestiniens. Comme son nom l’indique, David Welch n’ira pas à contresens de la volonté de ceux de qui il se sent le plus proche. Il ne fera rien qui puisse dissuader Israël de reculer.

En attendant, le Conseil de sécurité peine à trouver un consensus autour de «la cessation des hostilités», un texte sur lequel les Américains trouvent encore à redire. Les dirigeants arabes, eux, se complaisent dans leur mutisme, leur hésitation et leur compromission, c’est selon.

Ils ont juste fait un effort, celui d’envoyer leurs ministres respectifs des Affaires étrangères pour soutenir le plan global de Siniora. Un plan qui n’implique aucun d’entre eux et les laisse de surcroît avoir le choix de soutenir le désarmement de Hezbollah sans aucun engagement de leur part.

Ghania Oukazi