Bentalha, Oued allel et Rais: “Mansoutich”, comme mot d’ordre

Bentalha, Oued allel et Rais

“Mansoutich”, comme mot d’ordre

Liberté, 6 mai 2017

À Bentalha, il n’y avait pas foule dans les cinq centres de vote de la localité. Sur 5 202 inscrits sur le fichier électoral communal de Baraki, seulement 250 personnes ont voté à 11h, à l’école Ben-Badis, là où ont été entassés les corps des 400 victimes du massacre de 1997.
À ce stade de l’opération, le directeur du centre n’avait pas encore réceptionné le sceau pour cacheter les cartes d’électeurs. La veille, il avait dormi sur les lieux à même le sol sur quelques couvertures prêtées par les riverains, veillant sur les 13 urnes scellées. “Je n’ai même pas reçu un colis repas au dîner” regrette-t-il.
Un représentant du parti MPA entre, à ce moment-là, dans le bureau pour se plaindre d’une tentative d’orientation de vote. Il refuse de nous dire en faveur de qui et aussi de divulguer les noms et fonctions des auteurs de cet acte.
En face du centre de vote, quatre habitants de Bentalha sirotent un thé, assis sur des chaises en plastique. L’un d’eux scande le célèbre slogan d’un postcast “Mansoutich”. Fayçal, 41 ans, est manager en marketing de réseau. Ce jeudi, il a adopté une tenue vestimentaire qui dénote : une chemise et un saroual ottoman de couleur bordeaux, accessoirisé avec des baskets. “Abdelmalek Sellal a appelé les femmes à matraquer leurs époux pour les inciter à aller voter. Il veut nous enlever notre radjla. Eh bien, nous n’irons pas voter. On a vécu le temps de zadma (terrorisme) et puis on nous a abandonnés. Avec l’argent consacré à la réalisation de la Grande-Mosquée d’Alger, l’État aurait pu loger et marier tous les jeunes du pays. On ne manque pas de mosquées dans ce pays, mais de logements décents. On n’espère plus rien de ce pays. L’État a effacé les dettes des pays africains sans se soucier de l’Algérie qui s’enfonce dans un trou noir”, nous dit-il chauffé à blanc par ce qu’il considère comme des injustices sociales. Le groupe se moque de l’un de leurs copains qui s’est dirigé vers un bureau de vote, sans pour autant oser franchir le seuil. “J’ai fait demi- tour, j’avais honte de moi. J’ai eu peur aussi d’être la risée de mon quartier.” Les rares électeurs de Bentalha sont des personnes âgées. L’imam de la mosquée, un vieil homme habillé de la tête au pied de blanc, qui venait justement de voter, exhibe son pouce taché d’encre.
Fayçal, attendri par cette scène, ne renonce pas pour autant à sa position. Il ne croit pas à l’influence des parlementaires, y compris les plus intègres d’entre eux. “Le député appelé Spécifique a perdu son usine de lait parce qu’il était très critique envers le gouvernement”, assène-t-il.
Un peu plus loin, à l’école Émir-Abdelkader de haï Oued-Djellal, quartier qui a enregistré le plus grand nombre de victimes du massacre de Bentalha, le constat est identique. Sur 2 635 inscrits sur les listes de vote, seulement 148 ont glissé une enveloppe dans les urnes vers 13 heures. Les représentants du FLN et de l’Alliance El Adala-Ennahda-El Bina ont déclaré n’avoir noté aucun incident. Les encadreurs de l’opération de vote étaient tellement désœuvrés que l’un d’eux s’est trouvé une drôle d’activité : cueillir, à l’aide un bâton de fortune, les mûres noires garnissant l’arbre de la cour de l’école.
À quelques mètres, des propriétaires de camions de transports de marchandises s’insurgent contre une mesure prise récemment par la wilaya d’Alger. “On ne peut plus stationner nos camions dans le parking que la wilaya a réservé uniquement aux véhicules légers. Ce qui nous oblige à garer nos engins à Smar et Khemis. Ce problème va contraindre certains d’entre nous à arrêter cette activité et se retrouver au chômage”, dénoncent-ils. Le vote ne les intéresse pas.
“Pourquoi faire ? Regardez autour de vous. Les commerces sont ouverts, les gens font leurs courses, d’autres emplissent les cafés. Les gens ne se bousculent pas devant les bureaux de vote. La plupart ne savent même pas que des élections législatives se déroulent aujourd’hui. D’ailleurs, c’est en voyant la presse que je me suis rappelé que c’est un jour d’élection”, nous avoue l’un d’eux.
Dans la commune de Sidi-Moussa, le taux d’abstention a atteint les 80,59%. Les 19,41% des votants se sont exprimés dans leur majorité en faveur du RND, le parti de l’actuel président d’APC. Le FLN est arrivé en deuxième position. Le discours électoral des partis islamistes n’a pas beaucoup séduit. Sur un nombre global de 28 909 inscrits sur le fichier électoral de la commune de Sidi-Moussa, seulement 2 576 avaient voté à 13h, soit un taux de 8,01%. À la même heure, le bureau de vote d’Oued-Allel a enregistré un taux de 8,28% et la localité de Raïs 8,6%.
En cette matinée du jour de vote, les quartiers d’Oued-Allel étaient déserts. Nous avons pu néanmoins croiser quelques personnes portant des baguettes de pain, sur le pont reliant cette localité à quelques commerces.
Seul le stade flambant neuf construit récemment par l’APC de Sidi-Moussa, où se déroulait un match, a attiré des dizaines de jeunes. C’était l’attraction du jour. Le scrutin législatif semble ne pas concerner les habitants de cette région. Le constat de visu s’est reflété dans le décompte final de cette élection.

Nissa Hammadi