Célébration du «printemps noir»: Que reste-t-il de la plate-forme d’El Kseur?

Célébration du «printemps noir»: Que reste-t-il de la plate-forme d’El Kseur?

par Zahir Mehdaoui, Le Quotidien d’Oran, 19 avril 2016

La Kabylie va célébrer demain le quinzième anniversaire des événements tragiques que la région a connus en 2001. 126 morts et plus de 5.000 blessés. Tel était le bilan des émeutes qui avaient éclaté en Kabylie en avril 2001. Les Arouchs (représentants du mouvement citoyen en ce temps-là) avaient dénommé ces événements de « printemps noir ». C’était la première fois depuis l’indépendance de l’Algérie qu’un nombre aussi élevé de citoyens sont morts en un laps de temps court pour avoir revendiqué plus de liberté, plus de démocratie, du travail, de la dignité.

Le mouvement était au départ pacifique. Des jeunes lycéens ont voulu simplement manifesté leur colère quand leurs camarades avaient été, l’un tué à Beni Douala (Tizi Ouzou) et l’autre «intercepté» par des gendarmes en plein centre-ville d’Amizour (Bejaia). Ce qui devait être une manifestation pacifique (la Kabylie est le théâtre de milliers de manifestations chaque année) tourna vite à l’affrontement, à l’émeute puis à l’insurrection. Les autorités centrales, à leur tête le chef de l’Etat, n’ont pris conscience de la gravité de la situation que très tardivement. Pendant des mois, il y a eu une sorte de « flottement » au plus haut sommet de l’Etat. A telle enseigne que le président de la République avait déclaré en ce temps-là : « Qui croire, les comptes rendus des journaux ? ». Alors que l’ex- ministre de l’Intérieur, Nourdine Yazid Zerhouni, qui était très mal informé par ses services, multipliait les bourdes et soufflait sans le savoir sur le brasier, les partis politiques au pouvoir criaient au complot et à la main étrangère. Certaines organisations satellites criaient à cor et à cris que ce qui se passait en Kabylie visait à torpiller le premier plan de relance économique du président Bouteflika, qui était doté de 5 milliards de dollars. Des semaines passèrent, des dizaines de jeunes furent tués par balle en s’attaquant notamment aux brigades de gendarmerie à travers toute la Kabylie. La violence a eu des conséquences graves. La Kabylie a vécu une vraie insurrection et, avec du recul, a même frôlé une guerre insurrectionnelle qui aurait eu aujourd’hui des répercussions gravissimes sur toute l’Algérie. Une commission d’enquête sur les événements de Kabylie a été mise en place le 2 mai 2001. Présidée par le défunt professeur Mohand Issad, cette commission a enquêté pendant plus de 2 mois. Le 7 juillet, elle rend public son rapport préliminaire après l’avoir officiellement remis à la Présidence. Six mois plus tard, elle élabore un second rapport, définitif celui-là, également remis à la Présidence. Connu pour sa probité et son intégrité morale, le professeur Mohand Issad décédé en 2011, avait affirmé que son rapport remis au chef de l’Etat était toujours dans un tiroir. Le président Bouteflika devait faire face à des choix difficiles, lui qui avait martelé en 1999 que tamazight ne serait jamais officielle. Mais le problème était beaucoup plus grave. Toute une région risquait la scission. Il fallait faire des concessions et vite. Le 14 juin 2001, alors que des millions de citoyens venus de toute la Kabylie s’apprêtaient à déposer à la Présidence de la république la fameuse «plate-forme d’El Kseur» qui contient une quinzaine de revendications, les forces anti-émeute chargèrent les manifestants. Plusieurs personnes seront tuées. Ce jour-là, le pouvoir, par peur, semble-t-il, de débordement a réprimé dans le sang des manifestants et a raté encore une fois l’occasion de régler définitivement le problème en Kabylie. Le climat insurrectionnel reprenait en Kabylie après une accalmie de plusieurs semaines. Mais cela ne dérangeait pas trop le pouvoir tant que les émeutes se déroulaient en dehors de la capitale. Le pouvoir misait et travaillait par ailleurs beaucoup sur l’essoufflement du mouvement. En octobre 2003 les arouchs, de conclave en conclave, infiltrés de toute part, sont divisés en deux tendances. Les «dialoguistes» favorables au dialogue avec le gouvernement pour la satisfaction de la plate-forme d’El Kseur et les « non-dialoguistes » guidés par certains partis de la région qui ne voulaient pas de pourparlers avec le pouvoir, en particulier avec Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement ce temps-là. Les « pourparlers » seront pourtant organisés avec les « dialoguistes » en janvier 2004. Le dialogue sera interrompu plusieurs fois mais reprendra à chaque fois. Plusieurs points contenus dans la plate-forme d’El Kseur seront satisfaits. Un accord est signé le 15 janvier 2005. Mais certaines clauses ne sont seront jamais respectées. En effet, certains blessés, survenus notamment lors de la marche du 14 juin 2001 n’ont à ce jour jamais été pris en charge ni indemnisés alors que ce point figure en premier sur la plate-forme d’El Kseur. Plusieurs dossiers transmis aux comités populaires mis en place par les arouchs sont bloqués pour des raisons inavouées alors que les victimes vivent encore des traumatismes indélébiles. La tempête passée, le pouvoir, tel un automate, reprend ses anciens réflexes et semble ne tirer aucune leçon de ce qui venait de se passer.