29e anniversaire des événements du printemps berbère

29e anniversaire des événements du printemps berbère

Les acteurs du mouvement entre hier et aujourd’hui

Lorsqu’on évalue le mouvement berbère à l’aune des parcours respectifs de ses principaux animateurs, la première remarque qui s’impose est que 29 ans après, personne n’a vraiment déposé les armes ou tourné casaque. D’une manière ou d’une autre, chacun a continué le combat seul ou avec les autres, avec des itinéraires et des trajectoires qui s’éloignent ou se rejoignent. A l’origine de ce mouvement, qui a créé la première brèche dans l’unanimisme imposé par le parti unique, se trouve une poignée de militants idéalistes qui ont un jour décidé de combattre une injustice historique.

De notre bureau, Béjaïa, El Watan, 20 avril 2009

Celle faite à la culture de leurs enfants et de leurs ancêtres. Le combat a été multiple. Il fallait sortir de l’oralité une langue et une culture millénaires et leur arracher une place au panthéon d’un Etat qui avait résolument décidé de leur exclusion. Pour cela, il fallait combattre aussi bien les mentalités gangrenées que la police zélée d’un pouvoir définitivement muré dans ses certitudes arabo-islamiques. Il fallait délier non seulement la langue berbère mais les langues en général, en prônant le droit à la liberté d’expression. Aujourd’hui, on occulte volontiers le fait que ce mouvement a été porteur de deux revendications essentielles, à savoir la reconnaissance de la culture amazighe dans toutes ses dimensions et les libertés démocratiques. On peut diviser les animateurs du MCB originel en deux groupes distincts. Il y a les militants qui ont fait de la défense de leur culture un combat politique et il y a ceux que la promotion de la langue et de la culture amazighes a amené au combat politique.

Entre ces deux groupes, la frontière n’est pas toujours clairement tracée, mais tout ce beau monde se retrouvera autour d’autres idéaux, comme le principe cardinal de la démocratie et celui des droits de l’homme. Avec des fortunes diverses, ceux qui ont fait le choix d’investir l’arène politique sont toujours là. D’échec politique en victoire symbolique ou relative, le tenace Saïd Sadi continue, vaille que vaille, de faire de son Rassemblement le trublion attitré d’une scène politique monophasée. Il est souvent l’homme par qui le débat arrive. L’autre Saïd, Khellil en l’occurrence, n’a quitté le cocon protecteur du FFS que pour s’envoler de ses propres ailes en créant son propre parti, le MDC, qui ne sera, bien entendu, jamais agréé. « Quand on vit cette passion de l’activité politique, on n’y renonce pas. On est là à guetter la moindre opportunité pour faire avancer la démocratie dans le pays, même si tout pousse vers la résignation et le renoncement », a-t-il un jour confié à un confrère.

Ce sentiment de lassitude, on croit également l’avoir décelé chez un autre acteur politique de poids, Djamel Zenati, en l’occurrence, qui s’est imposé un silence assourdissant et une retraite monacale ces dernières années. En fait, l’ancien cadre du FFS n’a pris ses distances que pour mieux observer et réfléchir. Ecœuré par les luttes intestines qui ont fait l’essentiel des faits d’armes des partis de la mouvance démocratique, il évitera soigneusement d’ajouter une couche à « la confusion » générale. C’est du moins ce qu’il nous a confié, en n’excluant pas d’intervenir bientôt dans le débat public. Faisant figure d’ancêtre de la revendication berbère, Ferhat Mhenni, l’ancien maquisard de la chanson kabyle, n’a quitté ni l’arène politique ni la scène artistique. De tous les acteurs qui ont marqué de leur empreinte le double combat de la culture et de la démocratie, il est celui dont les positions ont évolué de la façon la plus radicale.

Toutefois, son absence physique et la non-structuration de son mouvement ont empêché l’idée d’autonomie qu’il revendique pour la Kabylie de prendre racine hors des cercles étroits de l’université. Viscéralement attaché à ses principes d’une gauche proche des milieux populaires, Saddek Akrour, autre figure du MCB, a fait le choix de confronter ses idées directement à la dure réalité du quotidien du peuple en se faisant élire à la tête de sa commune. Autre figure historique, Ali Brahimi est aux côtés de Saïd Sadi après un passage au FFS. Après avoir quitté le RCD, le journaliste free-lance, Arezki Aït Larbi, a continué à militer en évitant d’apparaître sous une quelconque chapelle politique. Certains, comme Mustapha Bacha ou Salah Boukrif, ne sont, hélas, plus de ce monde alors que d’autres, comme Arezki About, Rachid Hallet ou Moh Stiet, interviennent régulièrement dans la vie politique.

Si la plupart des politiciens ont connu des périodes de flottement et des révisions de position quelquefois déchirantes, les animateurs du MCB versés dans la production culturelle ont continué leur petit bonhomme de chemin très souvent loin des feux de la rampe. Installé depuis de longues années à Paris, Salem Chaker poursuit son travail de recherche sur la langue amazighe. Directeur de l’Encyclopédie berbère, il est l’auteur d’une multitude d’ouvrages et d’études de linguistique et de sociolinguistique berbères. Tout en poursuivant ses travaux de recherche, Ramdane Achab est récemment rentré du Canada où il s’était installé pour lancer une maison d’édition. Auteur de plusieurs romans en langue amazighe, Brahim Tazaghart s’est également lancé dans l’édition tout en intervenant régulièrement dans la sphère médiatique et culturelle. Ziani Lhacène, émigré au Canada, a continué à produire des recueils de poésie et Mokrane Chemim se signale de temps à autre par un travail culturel. Des générations d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs ont pris la relève des militants pionniers qui défrichaient péniblement le terrain.

Les fringants étudiants et militants qui avaient été à l’origine du printemps berbère sont aujourd’hui des quinquagénaires aux tempes grisonnantes. Parfois même de jeunes grand-pères. Devant les auditoires qui les invitent à témoigner à chaque anniversaire, devant ces générations de berbères décomplexés d’avoir retrouvé une petite place dans l’histoire, personne n’a fait valoir ses droits à la retraite. Doucement mais sûrement, le combat continue.

Par Djamel Alilat

 


Sadek Akrour. Militant du MCB, ancien animateur du comité populaire de Béjaïa

« La revendication amazighe est indissociable du combat pour la liberté et la démocratie »

Le parcours militant de Sadek Akrour a fait la jonction entre le printemps berbère de 1980 et les événements du printemps noir en 2001. Pour lui, l’un est le prolongement de l’autre. Il revient dans cet entretien sur l’évolution de la revendication amazighe et du combat pour la démocratie.

-La commémoration du double anniversaire du printemps berbère et du printemps noir ne connaît pas de mobilisation significative cette année. Selon vous, qu’est-ce qui fait défaut ?

– Il y a un cumul de raisons qui ne datent pas d’aujourd’hui. Le pouvoir n’a jamais cessé ses manœuvres pour disperser les forces populaires, sociales et démocratiques qui militent pour la remise en cause du fondement du système. La question de tamazight n’a jamais été neutre, c’est un combat politique et toute question politique évolue au gré des forces politiques autant dans l’opposition qu’au sein du pouvoir. Pendant les années 1980, il y a toujours eu des divergences à l’intérieur du mouvement entre les forces de gauche et celles de droite. Les premières considèrent qu’on ne peut dissocier le combat pour tamazight du combat global pour l’émancipation du peuple algérien en particulier et de l’Afrique du Nord en général, dans ses composantes arabophone et amazighophone.

L’arabe populaire était d’ailleurs opprimé au même titre que tamazight. Les deuxièmes, les forces de droite, étudiaient la question amazighe dans un vase clos. De ce fait, on nous disait militer pour tamazight et point. Or, la mouvance de gauche a fédéré les forces démocratiques et sociales au niveau national. Il y a bien eu parmi les détenus de 1980 des arabophones comme Ahmed Dahmani, Abderrezak Hamouda, fils de Si L’haouès, et plus tard M’hamed Rachedi en 1981. La troupe Debza, qui chantait en arabe, était née dans ce sillage, la troupe Dersa de Sétif également. Cette situation de divergences s’est répétée avec la naissance du RCD et avec l’ouverture politique en 1989. Il y a eu dispersion des rangs des porteurs de la revendication. Après la crise politique dans le pays au début des années 1990, il y a eu l’éclatement du MCB, puis sont apparues des divergences autour du boycott scolaire (1994-1995). La même logique a présidé aux divergences de 2001. On ne peut aller vers une citoyenneté sans un projet démocratique, laïque, social. Aujourd’hui, j’appelle à se référer au document final du séminaire de Yakouren afin d’y voir la façon avec laquelle a été posée la question amazighe. C’était tamazight qui posait le problème des libertés, de la démocratie… Le mouvement était aux côtés des actions d’Oran (1982), de La Casbah (1984), l’Est algérien (1986), mais aussi en 1988 où nous sommes sortis au nom du mouvement. Tout cela a amené les acquis démocratiques qui ont suivi.

– A qui profitent justement les acquis de tamazight aujourd’hui ?

– C’est vrai qu’avec l’ouverture, la création du HCA, etc., la question de la promotion de la langue est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Prenons l’exemple de la radio locale, il est vrai qu’elle participe au développement de la région, mais remarquez que les heures d’écoute profitent au mouvement islamiste. A la télévision nationale, avant on nous parlait de dictature en arabe ; aujourd’hui, on la sert en tamazight. Voilà ce qui a changé. Au nom de tamazight, le pouvoir a pu normaliser la Kabylie. Le discours officiel a changé dans la forme mais pas dans le fond. Ce sont ceux qui ne veulent pas le règlement définitif de la question amazighe qui se nourrissent aujourd’hui de sa revendication. Y compris les islamistes. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui disent que ‘‘nous sommes des Amazighs que l’Islam a arabisés’’. Ces gens-là sèment l’amalgame. Ceci dit, il y a eu des acquis malgré tout, mais est-ce que ces espaces travaillent pour tamazight ? Je dis que les véritables porteurs de la revendication ont été marginalisés, opprimés par le pouvoir. S’il y a une avancée sur le plan linguistique, sur les plans culturel et identitaire, la revendication demeure entière.

– Vous avez été l’un des animateurs du Comité populaire né dans la douleur des événements d’avril 2001 à Béjaïa. Avec du recul, comment jugez-vous l’expérience de ce comité ?

– S’il y a une mémoire de ce qui s’est passé en 2001, je pense que les chômeurs et les couches opprimées vont reprendre le flambeau de la dynamique du Comité populaire, du mouvement populaire. Je ne regrette rien, sauf peut-être les divisions. C’était en tout cas dans la logique des choses. Le pouvoir a activé tous ses services et sa clientèle en Kabylie pour réduire le mouvement à la simple revendication de tamazight, langue nationale et officielle, et à l’espace kabylo-kabyle. Or, les premières heures du mouvement ont constitué un immense espoir pour tous les opprimés à l’échelle nationale. Le mouvement a atteint Chlef, El Tarf, Béchar, Djanet, les Aurès, Khenchela où une femme a été tuée mais qui n’a pas été comptabilisée parmi les victimes. Le caractère fondamentalement social imprimé au mouvement par le Comité populaire a ébranlé toutes les forces conservatrices au sein et à l’extérieur du pouvoir. C’est dommage que cette énergie ait fini en gâchis, dont les auteurs qui se réclamaient porte-parole du peuple sont aujourd’hui connus, ils ont fait la campagne pour Bouteflika. Ceci dit, ce mouvement a ouvert des brèches et chassé la peur à l’échelle nationale.

– Le président Bouteflika avait proposé, lors de ses sorties électorales en Kabylie, une sorte de réconciliation en proposant de tourner la page…

– On tourne la page quand les auteurs des crimes et responsables des massacres se repentissent. Par contre, Bouteflika propose aux victimes de se repentir. On ne peut pas tourner la page, car les causes qui ont conduit aux événements de 2001 se sont encore multipliées : misère sociale, fermeture du champ politique, répression des mouvements sociaux, des syndicats…Tout cela continue. Le système éducatif n’a jamais été plus arabiste que maintenant, y compris tamazight qui est entrée dans ce cadre. Ils ont appauvri les gens qui ne pensent plus à la revendication identitaire. On veut domestiquer le petit bastion qui reste comme espoir pour l’Algérie. La Kabylie a eu la responsabilité historique de reconstruire le mouvement culturel dans le rassemblement et l’unité et dans le sens d’enfanter une dynamique qui permettra l’émancipation réelle des masses populaires algériennes.

Par Kamel Medjdoub