Marches et meetings en Kabylie

37e anniversaire du printemps berbère : Marches et meetings en Kabylie

El Watan, 20 avril 2017

La célébration du 20 Avril intervient cette année en pleine campagne électorale pour les législatives et sera marquée par des marches, des meetings et des activités culturelles à travers les wilayas de Béjaïa, Tizi Ouzou et Bouira. Pour Djamel Zenati, une des figures de proue d’Avril 1980, le combat identitaire a certes réalisé de grands acquis, mais l’officialisation de tamazight s’est faite en des termes qui accentuent la suspicion. «Il y a comme un jeu de style malsain qui cache une reconnaissance forcée», dit-il.

Le temps avance et la célébration des dates symboliques en relation avec l’identité amazighe en Algérie se fait paradoxalement de plus en plus retentissante. En 2016, dans le sillage de l’«officialisation» de tamazight, les autorités sont allées trop vite en besogne en décrétant la fin d’une période, celle de la revendication identitaire.

Il semble qu’elles se sont lourdement trompées. Le dossier semble loin d’avoir été classé, dès lors que la mobilisation autour des questions identitaires est toujours là. Le cas du 20 Avril, dont la Kabylie fête aujourd’hui le 37e anniversaire, en est la preuve la plus significative. On annonce pompeusement plusieurs marches à Béjaïa, Tizi Ouzou et Bouira, et d’autres activités commémoratives dans les villages, les quartiers, à l’université et autres endroits.

«Jeu de style malsain du pouvoir»

Le 20 Avril continue à mobiliser, et ni le temps ni les manœuvres du pouvoir pour folkloriser ce symbole ne semblent en mesure d’estomper l’effervescence qui s’empare des masses kabyles à cette occasion. Mais que signifie aujourd’hui de marcher le 20 avril ? Pour Djamel Zenati, militant de la démocratie et ancien acteur du MCB, la mobilisation pour le 20 avril, c’est la poursuite du combat identitaire en Algérie, car, dit-il, rien de concret n’a été fait sur ce plan par les autorités. «D’abord, ce n’est que récemment que tamazight a été officialisé.

Cette consécration s’est, cependant, faite dans une formulation très suspecte, étant donné qu’elle a introduit une hiérarchie entre les langues en Algérie. Il y a comme un jeu de style malsain qui cache une reconnaissance forcée. Cela me rappelle la Constitution de 1989 où, dans le sillage de la reconnaissance du pluralisme partisan, on a utilisé la mention ‘‘associations à caractère politique’’ au lieu de ‘‘partis politiques’’. D’autre part, l’absence d’une traduction sur le terrain de cette consécration accentue davantage la suspicion.

Donc, on peut dire que chacune des actions citoyennes entreprises est une réponse aux manœuvres du pouvoir.» Saïd Boukhari, également ancien militant du MCB, abonde dans le même sens : «A ce jour, on ne peut s’exprimer en tamazight au tribunal ni devant un gendarme, etc. Tamazight est toujours laissé-pour-compte dans ce qu’ils appellent ‘‘constantes nationales’’ à la faveur de la dernière mascarade constitutionnelle. On considère qu’il n’y a aucune sincérité du pouvoir qui ne cherche qu’à se maintenir, et que le problème de l’identité reste toujours posé.»

Tamazight et démocratie, même combat

Sur un autre plan, la revendication amazighe est indissociable du combat pour la démocratie en Algérie. «En avril 1980, le MCB a formulé, entre autres, trois points : la liberté d’expression, les libertés démocratiques et tamazight. Ils sont indissociables. Aujourd’hui, nous constatons que le pouvoir a repris d’une main ce qu’il donné de l’autre», déplore Saïd Boukhari. «Tamazight tout comme la démocratie sont inscrits dans la Constitution.

Mais quand on sait que nous sommes toujours en face d’un système autoritaire qui empêche les citoyens d’exercer leurs libertés, cela revient au même», estime, pour sa part, Djamel Zenati. «Officialiser tamazight, c’est officialiser certaines libertés démocratiques. Mais puisque chaque victoire des citoyens est une victoire de la démocratie, le pouvoir fait dans la manipulation», ajoute-t-il.

Et d’expliquer, plus loin que si les populations restent très attachées au 20 avril, c’est qu’il s’agit d’une date «riche et lourde de sens» qui renferme «une symbolique très forte, car c’était un jour de grande répression. Et grande répression signifie grande indignation». Djamel Ikhloufi, un autre militant du MCB, trouve que «le Printemps berbère a incontestablement signé l’acte de naissance de la démocratie en Algérie et en Afrique du Nord, et celui de la reconnaissance de l’identité et de la langue amazighes.

Aujourd’hui, 37 ans après, le combat pose le véritable problème de l’Algérie indépendante. La question de l’identité des peuples amazighs dépasse celui de la langue. L’identité s’attaque frontalement à la définition de la nation telle qu’elle est imposée par les tenants du pouvoir. L’identité d’un peuple n’est pas ethnique, mais politique».

Nouveau paradigme dans la revendication

Cela dit, les mots d’ordre exprimés lors des manifestations du 20 avril ont connu une évolution. Alors que chez le RCD, par exemple, on reste toujours dans la même trajectoire, en revendiquant désormais l’officialisation «effective» de tamazight, depuis 2001, le MAK profite de cette date pour revendiquer l’«autonomie» de la Kabylie puis, plus récemment, son «indépendance».

Djamel Zenati résume ce nouveau paradigme et l’impute au pouvoir : «Ceux qui soutiennent l’idée que le problème de tamazight ne peut se régler que dans le cadre régional, c’est pour moi un repli que je désapprouve mais que je comprends.

Ce repli sur la région est suggéré par effet miroir par le repli sur le pouvoir d’une caste au nom du nationalisme. Ces replis ont pour origine l’impasse politique dans le pays.» L’ancien cadre du FFS conclut en mettant en garde : «Quand on bouscule les gens dans leur culture, leurs langues, leurs convictions, même les esprits les plus raisonnables peuvent basculer vers d’autres voies.»

Mohand Hamed-Khodja