Les souliers de l’homme révolté

Les souliers de l’homme révolté

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 16 décembre 2008

La visite d’adieu de George W. Bush a donc culminé dans le geste inattendu d’un journaliste irakien, Mountadhar Al-Zaïdi, qui a lancé ses deux chaussures au visage du président américain en le traitant de « chien, responsable de la mort de milliers d’Irakiens ».

Entre ironie et condescendance, certains médias occidentaux relèvent que Mountadhar Al-Zaïdi est devenu un héros dans son pays et dans le monde arabe. Il est vrai que le respect devant ce geste de mépris rageur ne peut provenir de ceux qui ont été dressés à courber l’échine devant les puissants. De ceux-là mêmes qui exprimaient leur admiration devant le « shock and awe » des stratèges américains…

Condescendance ou pas, venant de plumes de révérence et d’élégante désinformation, ceci est en effet plutôt secondaire, Mountadhar est bien un héros. Non pas à la manière d’un Rambo de cinéma, cela est plutôt du genre de Bush et de ses cow-boys de guerres asymétriques, celles que l’on mène contre bien plus faible que soi. Non, Mountadhar est un héros parce qu’il a réagi tout simplement en tant que citoyen lucide, qui n’ignore rien de la tragédie irakienne et qui l’a exprimé dans un geste où le mépris se mêle à l’indignation. On peut comprendre sans peine que le journaliste ait été saisi par une impulsion irrésistible en entendant un personnage, dont les décisions ont causé tant de morts et de destructions, justifier contre la morale et contre l’honneur la guerre du mensonge absolu. Comme cela aurait été insupportable pour des millions de personnes à travers le monde, y compris nombre de citoyens américains.

Prétendre que l’extinction de centaines de milliers de vies d’Irakiens était nécessaire « pour la sécurité américaine, l’espoir des Irakiens et la paix dans le monde » est bel bien le summum de l’indécence, en l’occurrence une forme d’outrecuidance arrogante qui est bien l’une des indéniables caractéristiques du bushisme.

L’héroïsme de Mountadhar Al-Zaïdi est celui d’un homme normal qui n’admet pas la justification de crimes de masse commis contre son peuple. Qui se refuse à observer les règles d’une soi-disant bienséance à l’écoute de l’inadmissible. Comment conserver la maîtrise de soi et une réserve bâillonnée quand on entend dire que les Etats-Unis ont apporté la démocratie sur les rives de l’Euphrate, alors qu’ils sont les fourriers sanguinaires du malheur et du carnage ? Comment n’être pas saisi d’un sentiment de révolte ? Cette ultime visite de George W. Bush est une insulte supplémentaire à tous les Irakiens tués, à toutes les existences détruites, aux veuves et aux orphelins, à tous ceux contraints à l’exil.

Cette visite aurait pu se dérouler sans anicroche. Le journaliste indigné en a décidé autrement. Mountadhar n’a pas tué Bush, il a fait bien mieux : par ce jet de chaussures, il a renvoyé le président des Etats-Unis à un statut d’animalité qui correspond finalement à ceux qui ne connaissent ni remords ni compassion devant l’ordalie du peuple d’Irak. Au fond, il est heureux que ces chaussures n’aient point atteint leur cible, car il n’est pas sûr que ce soit le visage présidentiel qui aurait été souillé.

Le geste de Mountadhar Al-Zaïdi, qui scelle définitivement la piteuse sortie de ce sinistre président des Etats-Unis, vaut bien toutes les condamnations du monde. Que restera-t-il des oeuvres de George W. Bush et des hommes qui l’ont porté au pouvoir ? Une tache indélébile dans l’histoire des Etats-Unis. Ces chaussures vengeresses resteront accrochées au cou d’un homme qui a su incarner, au-delà de toute caricature, les perversions de la puissance au service de l’injustice.