Nabni ne fait pas de politique, il a juste un projet politique très élaboré

Nabni ne fait pas de politique, il a juste un projet politique très élaboré

Abed Charef, Maghreb Emergent, 28 Janvier 2013

Des idées novatrices, beaucoup de propositions concrètes, dans une démarche qui se veut globale et cohérente. Nabni navigue entre collectif militant, think-tank, groupe de citoyens désireux de contribuer au progrès de l’Algérie et boite à idées. Il se fixe ligne rouge : ne pas faire de politique. Mais il ne fait que ça, comme le montre son rapport « Algérie 2020 ».

Nabni a fait du chemin. Le collectif « Notre Algérie Bâtie sur de Nouvelles Idées », qui se voulait indépendant et apolitique, a pris de l’épaisseur, mais il s’est, surtout, laissé lentement dériver vers de nouveaux rivages, pour investir allègrement le champ politique, bien qu’il se défende toujours de vouloir empiéter sur ce terrain. Se situant visiblement dans un courant libéral très en vogue, il développe désormais un discours qui se veut plus global, avec une vision très moderne de l’organisation de la société.

Son « rapport Nabni 2020 », remis aux partis, à des personnalités politiques et à différentes institutions, déborde en effet le volet techniciste dont se prévalait initialement le collectif, pour aborder les questions politiques, intégrées dans un chapitre prudemment consacré à la gouvernance. Nabni précise que son rapport « ne couvre pas un certain nombre de questions parce qu’elles sont de nature purement politique, hors champ d’action de NABNI ». Parmi ces questions non évoquées, « la réforme de la constitution et du code électoral, le rôle du pouvoir militaire dans le champ institutionnel, l’organisation fine des institutions, etc. »

Cette précision apportée, Nabni plonge à pieds joints dans la politique, en soulignant une évidence : un projet économique et citoyen impose des préalables politiques. Il cite différents initiatives économiques directement tributaires de choix politiques, prône « une nouvelle manière de concevoir et de conduire les politiques publiques », soulignant que « celle-ci exige une refonte de la gouvernance de l’Etat et des institutions, et plus fondamentalement de leurs liens aux administrés ».

Nabni fait le constat, « largement partagée, qu’en l’état actuel de nos institutions et du «système» qui les régit, toutes les propositions pour engager l’Algérie sur la voie du développement, aussi innovantes soient-elles, demeureront un vœu pieux. Ce constat, amer, est juste », estime Nabni, qui finit par aborder frontalement la question politique majeure à laquelle est confrontée l’opposition algérienne : comment réaliser le changement ? Nabni réfute l’idée paralysante selon laquelle il faut attendre que le système s’effondre, sous prétexte qu’on ne peut rien faire contre lui, tout comme il réfute l’idée de l’homme providentiel. Pour Nabni, il n’y a pas « une clé », mais « des milliers de clés » offertes par les lacunes du système lui-même. « Chacun à une part de la solution pour changer le système ».

Renforcer le rôle du parlement sans faire de politique !

Il dénonce « la dérive dangereuse de nos institutions, qui sont coupées des citoyens », et critique « les règles informelles et non écrites », ainsi que « le contrôle politique ou sécuritaire sur les appareils de l’Etat (qui) sont bien plus difficiles à changer et ne relèvent pas uniquement de textes écrits ou de réformes administratives classiques». Il déplore que « les institutions de l’Etat, à tous les niveaux, ne rendent pas compte aux citoyens ».

Pour y remédier, il propose quatre grands remèdes. La « redevabilité » doit soustraire responsables et agents de l’Etat de la pression « informelle », celle exercée de manière informelle par les réseaux, la hiérarchie, le clientélisme ou toute autre de pouvoir illégale. En contrepartie de la levée de cette contrainte de l’informel, le responsable concerné doit être comptable devant le citoyen, dans le seul cadre de la loi ; pour y arriver, il faut de la transparence dans tous les domaines, aussi bien dans la gestion du budget de l’Etat que dans la répartition des aides sociales, le tout devant être soumis à des règles publiques et transparentes ; Nabni souligne également que tout ceci doit pouvoir être vérifié à tout moment par le citoyen et les contre-pouvoirs, qui doivent être renforcés.

Nabni assume également son choix pour un régime parlementaire, sans le dire ouvertement. Il veut « faire du Parlement un acteur clé de l’évaluation de l’action de l’Etat et de la responsabilisation de l’exécutif », et déplore que le parlement n’ait « aucun pouvoir réel aujourd’hui en Algérie ». « Il y a absence d’équilibre des pouvoirs », estime le collectif.

Nouveau discours consensuel

Au plan économique, Nabni veut se situer dans une politique consensuelle, parle de solidarité et de partage, mais endosse clairement une ligne libérale largement partagée aujourd’hui dans le monde de l’entreprise et des think-tanks. Il propose également que « la politique industrielle se fasse impérativement en partenariat avec des représentants du secteur privé. Pour y parvenir, il faut bâtir une nouvelle relation entre l’Etat et le secteur privé, faite d’écoute, de transparence, d’implication dans la décision et dans l’évaluation des politiques publiques ».

Il propose aussi de séparer le monde de l’entreprise du monde politique. « Une plus grande efficacité des entreprises publiques requiert de mettre en oeuvre des réformes qui permettent de réduire l’influence néfaste d’interférences politiques dans leur gestion », estime Nabni, qui demande aussi « une plus grande transparence dans les nominations aux postes de responsabilité » et l’intégration d’administrateurs privés les conseils des entreprises publiques.

Mais Nabni maintient certaines confusions, comme celle qui consiste à identifier le secteur privé aux citoyens, lorsqu’il demande que soit établie « une nouvelle relation entre l’Etat et le secteur privé (ou les citoyens) ». Il présente des décisions économiques d’essence libérale comme neutres. En ce sens, Nabni se situe dans un courant qui a le vent en poupe, celui qui considère que les questions idéologiques sont tranchées, et qu’il ne resterait que des questions techniques à régler. Une sorte de fin de l’histoire face à laquelle les luttes, la mobilisation et le combat politique relèvent d’une ère démodée, en droite ligne de ce que prônent le FMI et la Banque Mondiale, dont la grille d’analyse s’est largement imposée. Mais face à l’immobilisme destructeur du système bureaucratique algérien, le discours de Nabni est très novateur, tout comme le discours du FMI, qui paraissait en d’autres temps destructeur, ressemble aujourd’hui à une bouée de sauvetage.


Nabni – Des propositions pour changer la gouvernance en Algérie

Nejma Rondeleux, Maghreb Emergent, 28 Janvier 2013

« Apolitisme ». Le reproche récurrent fait au réseau Nabni n’est plus de mise. La question, éminemment politique, de la gouvernance est au cœur du rapport intitulé « Cinquantenaire de l’indépendance : enseignements et vision pour l’Algérie de 2020 », présenté samedi à Alger. « 50 chantiers de rupture » sont proposés pour faire changer le « système ».

« Changer les institutions et vous aurez un autre visage de l’Algérie ! ». Zoubir Benhamouche, du comité de pilotage de Nabni souligne ainsi le caractère central de la question de la gouvernance. La situation n’est, pour l’heure, guère reluisante, avec des positions médiocres dans les classements internationaux. A commencer par la transparence. Dans l’indice Open Bugdet Index 2010 évaluant la transparence budgétaire, l’Algérie se classe au dernier rang (score de 1 sur une échelle de 100). Idem concernant la transparence dans la gestion des fonds publics d’investissements où l’Algérie se situe à la dernière place dans le classement Linaburg-Maduell 2010. Or, sans transparence, pas de progrès possible dans la gouvernance publique.

Nabni propose donc d’instaurer « une transparence dans les missions de toutes les institutions administratives » grâce à la mise en place de sites internet sur lesquels seront publiés « la vision, les missions, les objectifs, les grands programmes, l’organigramme type de ces institutions ainsi que les critères de sélection, promotion et nomination au sein des institutions accompagnées d’un mini-CV des principaux cadres en poste qui servira à s’assurer de la transparence dans l’adéquation entre les responsabilités et les personnes occupant les postes » (chantier 41). Pour l’instant, ces informations indispensables manquent cruellement sur les sites de la plupart des ministères bien souvent de médiocre qualité et au contenu rarement actualisé.

L’accès aux données publiques (open data) s’avère ainsi un véritable parcours du combattant. Pour pallier à ce manque flagrant de transparence, Nabni préconise la publication régulière sur Internet d’informations indispensables aux citoyen(ne)s telles que « les projets de lois », « les règles formelles régissant les rapports des citoyens avec les institutions dans les principaux domaines affectant la vie des citoyens », « les critères de choix de politiques publiques, avec accès aux sources de données utilisées », « les patrimoines avant et après prise de poste ou de mandat des hauts fonctionnaires, notamment ceux qui ont un pouvoir de décision sur la dépense publique ».

Des libertés citoyennes à retrouver

Selon ce principe, tous les acteurs de l’Etat devraient répondre aux besoins et aux attentes des citoyens et travailler uniquement dans l’intérêt de celui-ci. Or, les performances de l’Algérie dans ce domaine sont des plus faibles selon l’indice «Libertés d’expression et redevabilité » de 2010 de la Banque Mondiale qui classe l’Algérie au 18ème rang sur une échelle de 1 à 100 (1 étant le rang le plus bas et 100 le plus haut). Face à cette situation préoccupante, Nabni identifie trois mécanismes de redevabilité à instaurer rapidement : « des mécanismes incitatifs (et punitifs) à l’intérieur des institutions pour responsabiliser et rendre redevables les représentants de l’Etat et les élus », « des mécanismes internes aux individus pour induire un comportement honnête et responsable de la part des représentants de l’Etat et des élus » et, « l’intégration du citoyen et de la société civile comme nouvel acteur chargé du contrôle direct de l’action de l’Etat ».

Remettre le citoyen au cœur des préoccupations et du fonctionnement des institutions constitue, pour Nabni, une condition sine qua non à l’évolution significative de la gouvernance publique. Pour cela, les citoyens doivent avant tout retrouver les libertés nécessaires pour s’exprimer. En premier lieu celle de l’information. Nabni recommande ainsi de « consacrer un droit d’accès à l’information publique qui ne relève pas du «Secret défense » », de « mettre fin au monopole de l’ANEP sur la publicité publique » et d’« ouvrir l’espace audiovisuel aux nouveaux projets et les medias publics à l’opposition ». Seconde liberté à recouvrir : celle de se réunir qui passe par une révision de la loi sur les associations et par une suppression de toute nécessité d’information ou d’autorisation des autorités pour les réunions publiques, notamment dans les espaces privés (chantier 44).

Autre impératif pour replacer le citoyen au centre du système, lui fournir les outils et moyens d’action pour peser sur les décisions. Nabni propose ainsi de « doter d’un statut d’association d’intérêt général, les associations indépendantes en charge de l’évaluation des politiques publiques et des services publics », telles que les associations d’usagers (chantier 45).

Transformer l’Etat en catalyseur du développement

Actuellement, les indices internationaux révèlent plutôt un Etat algérien peu enclin à jouer le rôle de moteur du développement. Selon l’indice efficacité de l’Etat de la Banque Mondiale, sur une échelle de 1 à 100 (1 étant le plus faible classement et 100 le plus élevé), l’Algérie se situe à la 34ème position. Pour un véritable essor, l’Etat doit devenir un outil d’excellence, selon Nabni qui appelle donc à une refonte complète de la fonction publique. « La structure administrative doit reposer sur les éléments clés que sont une fonction publique bien formée, un système de gestion des compétences efficient et la capacité de mobiliser rapidement des ressources pointues, en particulier par le biais de recrutements en dehors de la fonction publique » préconise le rapport (chantier 48).

La décentralisation aidera aussi l’Algérie à prendre son envol en permettant non seulement de mieux comprendre les attentes des citoyens, d’avoir une plus grande réactivité et efficacité de l’action publique, mais également de responsabiliser davantage les institutions, indique le rapport. Parmi les mesures proposées dans cette direction figurent notamment la création de régions économiques, la révision du découpage territorial administratif (division du nombre de wilayas par trois), la création d’une véritable fiscalité locale, etc. (chantier 49). Toutes ces recommandations et propositions concrètes seront prochainement transmises aux principaux concernés à savoir les décideurs politiques : ministères, partis, institutions publiques, etc.

Autant de clés – et de pistes – pour s’attaquer au chantier de la gouvernance publique. Ce qui répond au reproche récurrent fait à Nabni d’évacuer les aspects politiques. Zoubir Benhamouche membre du comité de pilotage, souligne dans une déclaration à Maghreb Emergent que la « gouvernance est la clé. C’est « The truc » à changer chez nous, c’est la mère de toutes les réformes. Si on ne change pas la gouvernance, pas de développement possible, et on continuera à aller dans le mur, ou vers l’iceberg plutôt … La gouvernance est le thème central de notre rapport, et on a un certain nombre de propositions pour en changer radicalement le cadre ».