Zoubir Benhamouche : »Tout le monde dit que les idées de Nabni sont bonnes, mais que sans changement politique… »

Zoubir Benhamouche : »Tout le monde dit que les idées de Nabni sont bonnes, mais que sans changement politique… »

El Kadi Ihsane, Maghreb Emergent, 26 Janvier 2013

Zoubir Benhamouche membre du comité de pilotage du réseau Nabni estime qu’il ne faut, justement, pas se laisser lier par cette idée selon laquelle rien n’est possible sans changement politique préalable. L’émergence d’une autre gouvernance capable de développer l’Algérie est l’affaire de tous les algériens. Le rapport de prospective de Nabni Algérie 2020 publié ce samedi matin à la salle Cosmos à Alger explique surtout pourquoi cette émergence est devenue urgente.

La première partie du rapport de Nabni traite l’économie et de l’emploi. Des voix se sont élevées durant les ateliers en 2012 pour vous reprocher d’être « pas contents que l’Algérie soit riche » ou de « cracher dans la soupe qui nourrit les algériens », la rente énergétique. Votre rapport est il vraiment si alarmiste ?

Depuis quand l’Algérie est riche ? Ca c’est juste une illusion par laquelle on se laisse bercer. Vous estimez qu’exploiter des gisements de gaz et de pétrole et les vendre contre d’autres biens dont on a besoin pour consommer (oui, le pétrole ne se mange pas) c’est être riche ? Projetons nous dans 20 ans, quand il n’y en aura plus ou parce que les pays qui ont des idées et pas de pétrole auront trouvé d’autres sources d’énergie, et demandons nous à ce moment là si l’Algérie est riche ! Ce pétrole, constitue une richesse potentielle, si on la transformait en capital humain, en technologie, en infrastructures modernes, en une administration efficace et digne de ce nom. La richesse ce sont les actifs qui permettent de produire aujourd’hui et demain, plus de richesse, pour faire simple. Ou sont nos actifs ? Aujourd’hui la rente est juste un objet de troc et une source de domination pour certain, «hadamakan » (c’est tout).

Quant à notre rapport, il fait exactement ce que je viens de vous dire de façon passionnée et simple : il dit qu’on doit couper le cordon avec la rente si on ne veut pas finir mal. Finir mal ça veut dire quoi ? Cela veut dire qu’on risque de se retrouver encore avec un ajustement de choc pour pouvoir continuer à subvenir à nos besoins. Cela ne vous rappelle rien ? Les années 1990 bien sûr. Ce n’est pas une fiction, c’est un scénario possible, probable, dans le statu quo actuel. On est alarmiste non pas au sujet de notre potentiel, il est là, tout le monde le voit sauf nos gouvernants. On est alarmiste sur le fait qu’il est urgent de faire le virage de diversification de notre économie, on a perdu beaucoup de temps, raté trop d’occasions déjà, c’est maintenant qu’il faut faire du pétrole le carburant de notre développement, avant que l’on se mette à chercher les dernière gouttes pour pouvoir les troquer contre de quoi manger.

En 2011 pour les 100 mesures pratiques proposées Nabni a beaucoup interagit avec les internautes. Cette fois le rapport de prospective a plus été une histoire d’experts semble t’il. Comment avez-vous travaillé, avec qui et qu’avez vous appris de plus de vos consultations ?

Les deux exercices sont différents, les 100 mesures se prêtaient bien mieux à une consultation citoyenne large. Le rapport Algérie 2020 est un travail de plus longue haleine, et il demandait un traitement de fond des sujets abordés. Mais on a quand même recueilli l’avis de nombreuses personnes, pas que des experts. On a organisé des tables rondes, on est allé voir des associations, on a discuté avec beaucoup de nos compatriotes pour mieux comprendre leurs attentes et les problèmes à résoudre. Ce qu’on a surtout appris c’est qu’on peut travailler ensemble, mettre de côté tout régionalisme, tout esprit clanique, toute opposition idéologique, pour seulement débattre d’idées, de façon objective, en se faisant confiance. C’est la première leçon du travail qu’on a mené. La seconde leçon c’est que ce ne sont pas les idées qui manquent, les solutions sont là, et c’est la société civile qui les présente.

Les chantiers de l’éducation, de la santé et du vivre ensemble suggèrent une description de la société algérienne dans une dizaine d’années. Est-ce que l’on peut en connaitre le portrait type et les attentes?

Un algérien ouvert sur le monde, bien formé, capable de s’insérer harmonieusement dans la société, de contribuer au développement de son pays, de se soigner, de voyager à l’étranger mais aussi en Algérie pour découvrir sa culture, son patrimoine, en toute sécurité, de fonder une famille, de se loger dans un cadre agréable qui respecte son environnement naturel et social, de vivre confortablement, d’accéder à des services publics de qualité, de ne pas être victime des institutions, de les voir lui rendre des comptes mêmes. Un algérien qui vit dans un Etat de droit, et pas de privilèges, un algérien qui devient maître de son environnement au lieu de le subir, qui devient acteur de sa vie, de l’avenir de son pays. Un algérien fier de sa culture, du savoir que son pays peut produire. C’est ça l’Algérie de demain, celle dont nous rêvons tous, même éveillés, et que nous voulons construire.

Lorsque Nabni est né, il y’ a presque deux ans, c’était dans la grande ferveur du printemps arabe. L’Algérie est, depuis,restée au bord du chemin de la réforme. De nombreuses personnes ressources ont soutenu pendant vos auditions que la gouvernance algérienne ne deviendra pas meilleure sans changement politique majeur. Comment fait Nabni pour contourner cette sorte d’évidence collective ?

Oui on est né suite au printemps arabe mais pas dans l’idée que la rue algérienne allait se soulever, on savait que ça n’arriverait pas, en tout cas pas à ce moment là. L’Algérie me fait penser à un prince transformé en grenouille par une méchante sorcière. Vous savez pourquoi ? Parce que si mettez une grenouille, que vous allumez un feu très doux et que vous la laissez comme cela, elle finira par mourir bouilli ! Pourquoi ? Parce que la grenouille est incapable de ressentir des variations de température très faible, elle ne sent pas la chaleur qui monte parce que la température varie faiblement de façon continue ! Les réserves de change actuelles, c’est l’illusion d’une eau à la bonne température.

Oui, la gouvernance est la clé. C’est « ThE truc » à changer chez nous, c’est là mère de toutes les réformes. Si on ne change pas la gouvernance, pas de développement possible, et on continuera à aller dans le mûr, ou vers l’iceberg plutôt. Tout le monde nous a effectivement dit que nos idées étaient bonnes, dans tous les domaines qu’on a abordés, économie, éducation, santé etc. Mais malheureusement, pour tous ces algériens qui nous on donné leur avis, on réfléchit pour rien parce que la gouvernance ne changera pas, le statu quo politique étant éternel chez nous. La gouvernance est le thème central de notre rapport, et on a un certain nombre de propositions pour changer radicalement le cadre. Nous, on veut rompre avec le fatalisme ambiant, avec la déresponsabilisation collective. Tout le monde regarde ce problème de gouvernance comme une fatalité, quelque chose qui ne peut changer que par miracle. On dit que non, que la clé du changement réside aussi en chacun de nous, qu’on peut tous à notre niveau changer nos comportements pour faire émerger de nouvelles règles dans notre société et on donne des exemples concrets dans notre rapport. Faut y croire, sinon autant se flinguer collectivement tout de suite »