Emotion et espoir à Mazafran
La conférence de l’opposition
Un grand complet inédit
El Watan, 11 juin 2014
La conférence de l’opposition, organisée hier après-midi à l’hôtel Mazafran de Zéralda, à l’ouest d’Alger, a réussi à faire asseoir côte à côte Saïd Sadi, l’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), et maître Mokrane Aït Larbi, qui ont d’ailleurs longuement devisé avant le début des travaux. Il faut dire que la crème de la classe politique algérienne était là. C’est l’ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, qui a présidé la conférence, aux côtés de Laloui Belmokhi d’Ennahda, de Fatiha Benabou (constitutionnaliste) et de Salah Dabouz (militant politique).
Ont répondu aussi à l’appel de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique l’ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, l’ancien candidat à l’élection présidentielle du 17 avril Ali Benflis, qui a prononcé un discours au nom du Pôle pour le changement qu’il préside, ainsi que Ali Yahia Abdennour, l’infatigable militant des droits de l’homme qui, du haut de ses 90 ans, veut apporter sa contribution à la construction d’une alternative démocratique. Aux côtés, évidemment, des initiateurs de la conférence, en l’occurrence les présidents du RCD Mohcine Belabbas, du Mouvement de la société pour la paix (MSP) Abderrazak Makri, Abdallah Djaballah du Parti pour la justice et le développement et Soufiane Djilali président de Jil Jadid. Parmi les invités à cette conférence, d’anciens dirigeants du Front islamique du salut (FIS) : Abdelkader Boukhamkham, Kamel Guemazi et Ali Djeddi. C’est ce dernier qui a parlé au nom du parti dissous. Et c’est la première fois depuis la dissolution du FIS qu’un de ses responsables est invité à discourir à une tribune.
Le Front des forces socialistes (FFS), qui a décidé à la dernière minute de prendre part à cette conférence, était représenté par son premier secrétaire, Ahmed Betatache. D’autres personnalités politiques ont pris part à ce congrès de l’opposition, entre autres Djamel Zenati, Saïd Khellil, Mustapha Bouhadef et Ahmed Hamadache (anciens responsables du FFS). L’on comptait aussi la présence d’anciens cadres du RCD, à l’instar de Hocine Nia ou encore de Madjid Yousfi. Abdelaziz Ben M’hidi, ancien militant du RND, n’a pas non plus manqué à l’appel.
Sans oublier Karim Tabbou en dissidence avec l’ancien parti de Hocine Aït Ahmed dont il a été pendant longtemps le premier secrétaire avant de projeter de créer sa propre formation politique. A noter aussi la présence d’universitaires, dont Rachid Tlemçani. Le seul à avoir manqué ce rendez-vous est l’ancien chef de gouvernement Sid Ahmed Ghozali, qui se trouverait à l’étranger. Autrement dit, toute la classe politique s’identifiant aux idéaux et au projet de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique était présente, hier, à la conférence de Mazafran que l’ancien président du RCD, Saïd Sadi, a quitté précipitamment. Il serait, selon des indiscrétions, mécontent du déroulement des travaux.
Said Rabia
Succès de la conférence de l’opposition sur la transition
Emotion et espoir à Mazafran
«Maturité», «entente», «consensus» et «diagnostic de l’impasse politique nationale». L’opposition algérienne réussit son début d’union et se dit prête à dépasser ses clivages afin de concevoir «un avenir meilleur pour tous».
Réunis au niveau du chapiteau de l’hôtel Mazafran à Alger à l’initiative de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD), les acteurs politiques s’inscrivant dans l’opposition se réjouissent et qualifient, d’emblée, cette rencontre «d’historique». Et cela pour plusieurs facteurs. Il y a d’abord ce regroupement, pour la première fois depuis l’avènement du multipartisme en Algérie, de l’élite politique nationale. Secundo, le dépassement, comme l’affirment tous les intervenants, des considérations idéologiques et de l’égoïsme qui ont nourri, pendant longtemps, la division de la classe politique nationale.
En troisième lieu, la prise de conscience montrée par ces leaders quant à la nécessité de proposer une alternative à «un système politique défaillant». «J’ai toujours rêvé de ce moment où des partis avec des idéologies différentes se rencontrent. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons parler de pluralisme politique en Algérie», lance l’ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, lors de son intervention, en saluant ainsi ce premier pas vers «une entente nationale». Autour de cette idée, les avis convergent.
Les intervenants soulignent tous l’importance de cette rencontre et cette détermination à consacrer «l’union» en vue de «sauver l’Algérie». «Nous sommes réunis aujourd’hui pour partager et discuter de la peur que nous avons pour l’avenir du pays. C’est une réponse à ceux qui prédisaient un échec de notre démarche. Nous sommes aujourd’hui convaincus que la base de la transition démocratique est l’entente», affirme Mohcine Belabbas, président du RCD.
«Une crise institutionnelle»
Le président du MSP, Abderrazak Makri abonde dans le même sens : «C’est un jour historique et important de par la symbolique de la présence (…) Cette rencontre va participer à changer l’image de l’opposition construite par le système.» Dans son intervention, le président du FJD, Abdallah Djaballah, compare cette conférence à celle de Sant’Egidio en 1995 et s’interroge, par la suite, sur la nature de la réponse que lui réservera le pouvoir. «Le régime va-t-il encore minimiser ce rassemblement et faire la sourde oreille ? Le pays a besoin d’un débat large et constructif», insiste-t-il.
Les félicitations viennent aussi de tous les intervenants. Ces derniers ont saisi cette opportunité pour faire le diagnostic de la crise politique actuelle. Une crise engendrée, selon le président d’honneur de la LADDH, Ali Yahia Abdennour, «par le système qui se maintient depuis 1962». «Il doit partir !», déclare-t-il. Mouloud Hamrouche fait une analyse plus approfondie, en évoquant «une crise institutionnelle», «un échec du gouvernement et des partis», ainsi «qu’un mauvais rôle de l’armée». «L’armée a un grand rôle à jouer car elle est un pilier de l’Etat. Il ne peut pas y avoir de consensus sans une entente nationale», martèle-t-il.
Une vision que partage Mokrane Aït Larbi. «C’est l’armée qui a construit le système. C’est elle qui fait les présidents et les gouvernements depuis 1962. L’armée ne peut pas se retirer dans les circonstances actuelles. Elle doit intervenir pour opérer un changement pacifique», soutient-il. Intervenant au nom du FFS, Ahmed Betatache, premier secrétaire du parti, appelle «au dialogue comme seul moyen permettant la résolution de tous les problèmes». «Notre démarche pour la reconstruction d’un consensus national est basée sur le dialogue avec tous les acteurs politiques, y compris le pouvoir», dit-il. Les consultations autour de la révision constitutionnelle ont été également évoquées par les présents qui dénoncent «une manœuvre du régime».
C’est le cas de Ali Benflis qui s’est exprimé au nom du Pôle du changement. «L’initiative du système actuel est connue. Les objectifs derrière cette initiative : gagner du temps au moment où la problématique autour de la nature du système est posée», dénonce-t-il. Ce conclave qui se poursuivait encore, au moment où nous mettons sous presse, devra s’achever par l’adoption d’une plateforme et des recommandations.
Ils ont déclarés :
-Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement :
«Je suis très content de nous retrouver parmi nous. Je suis d’autant plus content que cela fait 25 ans que je porte ce rêve (…). Il ne sert à rien de verser dans le passé ou même de dresser des bilans. La réalité est que le gouvernement actuel est incapable de gérer (…). Ce gouvernement n’a pas de bases politique et sociale. Sa seule base est, malheureusement, l’armée. Or, cette dernière doit être au service de l’Etat et non du pouvoir (…). Nous sommes dans une impasse totale. Pour en sortir, il faut une entente nationale qui nous mènera vers un consensus global (…). Je persiste : l’armée a un rôle à jouer dans cette opération de transition.»
-Abderrezak Makri, président du MSP :
«Cette rencontre est une occasion pour l’opposition de se réunir (…). Nous avons décidé de garder nos programmes, nos convictions tant qu’il n’y a pas de condition d’un exercice politique (…). Nous devons mettre les bases d’un vrai pays de libertés et montrer que le pouvoir ne peut pas faire l’impasse sur l’opposition.»
-Mohcine Belabbas, président du RCD :
«Nous nous sommes réunis, aujourd’hui, pour un objectif simple mais déterminant : sauver l’Algérie. On aurait pu organiser cette rencontre au lendemain de l’indépendance. Mais le système, qui a squatté la volonté populaire depuis l’indépendance, n’a pas permis aux Algériens de se rencontrer (…). Notre présence ici est le premier résultat de la prise de conscience populaire de la nécessité de changement (…). Cette rencontre est la preuve que lorsque les ambitions de la classe politique convergent avec la volonté du peuple, tout est possible.»
-Ahmed Betatache, premier secrétaire national du FFS :
«Le consensus est un vrai défi. Dans ce cadre, il faut éviter les pratiques et les démarches qui ne suscitent pas de consensus et ne permettent pas de rapprochement entre nous (…). La responsabilité des politiques est de créer de nouvelles conditions de consensus (…). La responsabilité des politiques est de créer les conditions d’une renaissance et la préservation du pays de tout recours à la force.»
-Karim Tabbou, secrétaire général de l’UDS :
«Je pense que le fait de réunir autant de monde autour d’une même table est une bonne chose. Il y a beaucoup de convergences. Mais il ne faut pas oublier que le jeu est piégé et que les autorités refusent, malheureusement, d’ouvrir le jeu démocratique. Et lorsque le jeu est fermé, cela mène généralement vers la confrontation. Il y aura, j’espère, d’autres rencontres qui détermineront les mécanismes de la mise en œuvre des idées exprimées aujourd’hui.»
-Ali Benflis, au nom du Pôle des forces de changement :
«Nous partageons le constat de la CNLTD que le système doit changer (…). Nous partageons également le principe de la souveraineté populaire. Mais je dois rappeler que le dialogue ne doit pas se limiter à un duel entre le pouvoir et l’opposition, mais doit intégrer un troisième élément qui est le peuple.»
(Ali Boukhlef)
Madjid Makedhi