Mali: Pressions faussement amicales

PRESSIONS FAUSSEMENT AMICALES

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 4 juillet 2012

La destruction des mausolées maraboutiques à Tombouctou par des éléments du groupe Ançar Eddine, allié au Mujao et à Aqmi, présent dans la région, suscite un émoi médiatique compréhensible sur la situation au Sahel. L’indignation générale suscitée par les destructions a remis sur le tapis, avec plus d’insistance, l’idée d’une intervention militaire pour éliminer la subversion islamiste au Nord-Mali. C’est, dans les conditions actuelles, une fausse bonne idée même si Ançar Eddine semble vouloir la provoquer en jouant sur les opinions publiques. Et, bien entendu, quand on ne tourne pas autour du sujet, c’est l’armée algérienne qui est sollicitée par des responsables africains et nombre de médias européens, français en premier, pour aller faire le ménage dans l’Azawad.

Les actions terroristes du Mujao, qui cible spécifiquement l’Algérie, ressemblent à s’y méprendre à des provocations en bonne et due forme pour un casus belli. A la différence de leur aventure en Libye et de leur apparente unité sur la Syrie, les Occidentaux ne sont pas sur la même longueur d’onde sur le Sahel. Les Français et les Anglais sont pour une intervention militaire de la CEDEAO à laquelle ils apporteraient leur appui matériel mais les Américains estiment que la priorité est à la stabilisation de l’Etat malien. Pour Washington, une force africaine devrait avant tout aider à remettre de l’ordre à Bamako et reconstruire des institutions effondrées. De manière factuelle, un responsable américain a indiqué que dans sa débandade, l’armée malienne y a laissé la moitié de son équipement. Il ne faut pas chercher où se trouve cet équipement aujourd’hui. Cela situe sur le fond du problème.

La « reconquête du Nord-Mali » ne peut être le fait que de l’armée et de l’administration du Mali, même si un soutien multiforme doit être apporté par les voisins et les amis de ce pays. Une force armée étrangère ne peut remplacer les institutions maliennes. Curieusement, dans des milieux pourtant informés, on semble confondre une intervention armée en territoire étranger avec une descente de police dans une arrière-cour mal famée. Tant de pressions et d’insistance pour que l’armée algérienne sorte de ses frontières et s’engage dans un conflit sans visibilité suscite une suspicion légitime. Comme s’il s’agissait de fourvoyer l’Algérie dans une inutile mais épuisante impasse politico-militaire dans les sables du Nord-Mali ! Quels seraient les coûts logistiques et la durée d’une opération militaire dans laquelle on souhaite impliquer avec insistance l’Algérie ?

Ceux qui regrettent leur implication en Afghanistan et qui n’ont de cesse d’en sortir en limitant les dégâts sont en tout cas mal placés pour jouer les va-t-en-guerre dans une région qu’ils connaissent bien. Certains experts font l’hypothèse que cette insistance relève d’une stratégie dont le but pourrait être d’étirer les lignes logistiques et de communication de l’armée algérienne et d’affaiblir sa capacité de supervision des frontières… On ne doit en tout cas pas exclure ces scénarios. La situation au Nord-Mali est particulièrement confuse, elle implique des acteurs non régionaux dont l’action – sous habillage caritatif ou humanitaire pour certains – et les objectifs sont loin d’être limpides.

Face à la confusion et aux écrans de fumée, il faut rappeler que le rétablissement de la souveraineté du Mali n’est pas une question secondaire. Les préalables sont avant tout politiques, complexes mais nécessaires. Ils consistent bien en la restauration d’un minimum d’Etat à Bamako et à la réunion des conditions pour débloquer les processus de reconstruction démocratique et de reformation d’une armée nationale digne de ce nom. La sauvegarde de l’intégrité et de l’unité du Mali est à ce prix.


Ballet diplomatique visant à impliquer militairement l’Algérie en Azawad

par Kharroubi Habib

Dans l’entretien qu’il a eu avec son homologue malien Sadio Lamine Sow venu en visite de travail à Alger, notre ministre des Affaires étrangères Mourad Medelci s’est limité à souligner la nécessité dans le conflit en Azawad de « privilégier une solution politique qui préserve l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Mali ». Ce qui semble clairement signifier que l’Algérie n’est pas désireuse de s’investir militairement dans ce conflit comme il serait venu à Alger pour le demander aux autorités du pays. Medelci ainsi que Abdelkader Messahel qui a également eu une séance de travail avec le chef de la diplomatie malienne n’ont nullement laissé transparaître la moindre indication que l’Algérie pourrait éventuellement s’impliquer militairement au Nord-Mali sous la forme d’une participation de l’ANP à une intervention armée telle que le voudraient apparemment les autorités de Bamako.

Malgré l’inquiétante situation créée en Azawad avec sa prise de contrôle par les groupes armés islamistes Aqmi, Ansar Eddine et MUJAO, les autorités algériennes s’en tiennent donc à leur position axiale sur le conflit malien, à savoir qu’il existe toujours pour le règlement de cette crise « un espace pour le dialogue et la négociation entre le gouvernement malien et les acteurs qui acceptent de s’inscrire dans une logique de solution politique qui préserve l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Mali et qui tienne compte des revendications qui peuvent être légitimes et qui inclut les populations locales ». Or le seul acteur en Azawad qui n’a pas catégoriquement rejeté le principe de la solution politique est le MNLA qui vient d’être supplanté par les groupes islamistes qui ambitionnent d’instaurer un «émirat» au Nord-Mali.

Il peut donc paraître que la position algérienne qui se justifiait incontestablement tant que le MNLA encadrait la rébellion touareg et contrôlait l’Azawad est désormais en décalage avec la réalité du terrain qui prouve que les groupes islamistes l’ayant imposée ne sont pas dans la logique du compromis politique et des revendications légitimes. Ils ne cherchent nullement à négocier avec les autorités maliennes et encore moins avec d’autres acteurs régionaux ou internationaux.

A se demander donc comment en excluant de s’investir militairement, l’Algérie est en mesure d’honorer à l’égard du Mali son devoir qui est, selon l’affirmation d’Abdelkader Messahel, « d’accompagner nos frères maliens vers une sortie de crise qui préserve les intérêts du Mali ». Des intérêts que ne peuvent se négocier avec les groupes armés islamistes qui ont pris le contrôle du Nord-Mali et ne sont pas disposés à écouter les véritables doléances des populations de ce territoire. Sadio Lamine Sow repart à Bamako apparemment sans avoir convaincu Alger de la gravité du changement de donne dans la crise malienne par la prépondérance que se sont acquise les groupes islamistes dans l’Azawad.

Ce n’est pas un simple hasard de calendrier qui fait qu’une haute délégation française conduite par la conseillère Afrique du nouveau président français François Hollande arrive à Alger peu après la visite du chef de la diplomatie malienne. Elle s’inscrit à n’en point douter dans la campagne des pressions régionales et internationales visant à convaincre l’Algérie à réviser sa position sur le conflit malien.