Le Mali en voie d’éclatement
Hocine Belalloufi, La Nation, 27 Mars 2012
Le sort du Mali se joue ces jours-ci, à Bamako, où un coup d’Etat a renversé le président Amadou Toumani Touré et, dans le Nord du pays, où une rébellion emmenée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) tente de s’emparer de toute la région pour y proclamer l’indépendance. Mais il se joue également, à Abidjan, où se réunit la CEDEAO, ainsi qu’à Paris, capitale de la Françafrique.
Le Mali en voie d’éclatement
L’accumulation de contradictions non résolues a fini par créer une situation explosive dans un Mali, désormais, menacé dans son intégrité territoriale et son unité. Le pays se retrouve divisé en deux : le Nord, en voie de conquête par les insurgés touaregs de l’Azawed. Le Sud, qui s’est révélé incapable d’intégrer les régions frondeuses en les développant et en répondant aux aspirations de leurs populations.
Mais les deux aspects de cette contradiction principale, rebelles du Nord/Pouvoir au Sud, sont eux-mêmes constitués de contradictions explosives qui peuvent déboucher, à tout moment, sur des guerres intestines : Entre le laïc MNLA et le mouvement islamiste Ansar Dine qui combattent tous deux le pouvoir de Bamako, mais qui ne partagent pas la même conception de l’avenir du Nord du pays. Entre les soldats, sous-officiers et officiers subalternes en révolte et le pouvoir politique (présidence de la République et haute hiérarchie militaire) qui se déchirent dans le Sud. Cette dernière contradiction a d’ailleurs débouché sur le renversement du président Amadou Toumani Touré, le 22 mars dernier, et la prise du pouvoir par un « Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) ». Les partisans du président déchu qui ont condamné le coup d’Etat et exigé le retour à l’ordre constitutionnel, iront-ils jusqu’à déclencher une contre-offensive armée pour rétablir Amadou Toumani Touré qui devait formellement quitter son poste à l’occasion de la prochaine présidentielle du 29 avril 2012 ?
L’ensemble de ces contradictions sont, bien évidemment et comme toujours, alimentées et attisées par les grandes puissances étrangères au Continent qui entendent conserver et accroître leur emprise politique et militaire sur une région (Afrique centrale) qui regorge de richesses. Si la France a consenti à accorder une indépendance formelle à ses anciennes colonies africaines dans l’espoir vain de conserver l’Algérie, elle a pris soin de garder la haute-main sur les richesses de ces pays et de conserver son emprise politique sur les Etats « indépendants ». Alléchés quant à eux par les immenses ressources de la région et réagissant à la percée africaine de la Chine, les Etats-Unis profitent de l’insécurité dans le Sahel pour tenter d’imposer enfin l’installation d’une base militaire pour abriter l’Africom.
Quelles sont les causes de cette implosion qui menace notre voisin du Sud ?
Causes immédiates de la révolte targuie…
Nombre d’observateurs ont relevé, à juste titre, que l’agression de la Libye, par l’OTAN, a permis à toute une série de mouvements politiques, de mouvements terroristes et de groupes de narcotrafiquants et autres contrebandiers de se procurer, à bon compte, un armement lourd et moderne dans l’ancienne Djamahiriya. De nombreux touaregs ont d’ailleurs combattu aux côtés des partisans de Mouammar Kadhafi avant de repartir dans leurs pays respectifs à l’issue de la défaite du « Guide ».
Mais ce renforcement militaire des rebelles touaregs n’est pas la cause directe du lancement de l’offensive du MNLA. Elle en constitue plutôt une condition. La cause première de l’offensive du MNLA est à rechercher dans l’incapacité du pouvoir malien à développer le Nord du pays, à répondre aux problèmes sociaux de sa population – le chômage des jeunes en premier lieu – à satisfaire les aspirations légitimes des populations touaregs à ne plus être considérées comme des citoyens de deuxième ou troisième catégorie (accès difficile aux emplois administratifs centraux, non-respect de leur culture…), à en finir avec les exactions des militaires à l’encontre de la population et, à rétablir la sécurité menacée par des mouvements terroristes ainsi que des groupes de contrebandiers et autres narcotrafiquants. La cause de la nouvelle rébellion doit être recherchée dans cette incapacité du pouvoir central à résoudre les problèmes économiques, sociaux et politiques du Nord. L’armement n’a fait que donner aux Touaregs les moyens de faire entendre leur voix.
L’aspect nouveau réside dans l’évolution de la revendication targuie. A force de laisser pourrir la situation, de refuser d’affronter la situation et de prendre les problèmes à bras le corps, le pouvoir de Bamako se retrouve face à un mouvement qui ne revendique plus le développement et l’égalité dans la république malienne, mais le droit à l’autodétermination et la constitution de son Etat, indépendant du Mali, l’Azawad.
Le mouvement Ansar Dine, d’Iyad Ag Ghali, y ajoute la revendication d’instauration de la charia, c’est-à-dire de la mise en place d’un régime islamiste dans tout le Nord du pays.
… et du coup d’Etat militaire
Pour certains observateurs, Amadou Toumani Touré est un ami de la France dont il fait le jeu en laissant depuis des années la situation pourrir dans le Nord du pays, en discutant et négociant avec les groupes terroristes qui prennent des otages… Pour d’autres, en revanche, le président et les forces qui le soutiennent représentaient un danger pour Paris car, même si Amadou Toumani Touré ne pouvait se représenter à l’élection du mois d’avril prochain, l’un de ses partisans aurait pu le remplacer. Or, l’Elysée n’aurait pas digéré que le président renversé refuse l’installation d’une base militaire française sur son territoire.
Il n’est pas facile, pour l’instant, de tirer les choses au clair. Il apparaît toutefois que la passivité politique et militaire de Bamako face aux avancées des troupes du MNLA dans le Nord n’était pas tenable. Les militaires maliens faisant face aux rebelles manquaient d’armes, de munitions, de soutien et de nourriture. Nombre d’entre eux sont passés du côté des rebelles, ont été faits prisonniers ou se sont évanouis dans la nature. Les hommes du capitaine Sanogo ont dénoncé l’absence de volonté du président et de la haute hiérarchie militaire de se donner les moyens de se battre contre la rébellion du Nord, les djihadistes et les narcotrafiquants. Ils ont dénoncé le manque de moyens militaires et de nourriture permettant aux soldats de résister à l’avancée des rebelles.
Il convient de rester prudent, mais la façon, dont le coup d’Etat a été opéré, milite en faveur de la thèse de la non-préméditation. Comme l’explique Aminata Traoré au quotidien français L’Humanité, le 23 mars dernier : « Cette rébellion lourdement armée fait face à une armée nationale sous-équipée, peu familiarisée avec le terrain, sur un territoire immense. Des soldats sont massacrés. D’où l’indignation, en premier lieu, des mères et des épouses des jeunes qui partent dans ces conditions, sans véritables moyens de se battre. Ce sont elles qui ont mis la pression, en descendant dans la rue avec leurs enfants, en allant voir le président, en s’adressant à l’armée. Ce fut un déclic. » Les hauts gradés qui se sont déplacés dans la caserne de Kati, au nord de Bamako, ont été pris à partie par les soldats en colère. Des affrontements s’en sont suivis qui ont poussé ces derniers à se transformer en mutins, à s’emparer des armes et à marcher sur les sièges de la télévision, puis sur celui de la présidence.
A l’heure qu’il est, la situation politique à Bamako reste incertaine. La junte est isolée diplomatiquement, l’UA, l’ONU, la CEDEAO, la France, les Etats-Unis, le Canada et l’Algérie ayant condamné le renversement du président Amadou Toumami Touré. Paris et Ottawa ont suspendu leur « aide » alors que Washington menace de le faire. Sur un plan politique interne, les putschistes ne semblent pas disposer d’un soutien de masse. Seul le parti Sadi (Solidarité africaine pour le développement et l’indépendance) qui dispose de quelques députés a soutenu le CNRDRE en créant le Mouvement populaire du 22 mars (MP22). Le Haut Conseil islamique au Mali a également apporté son soutien à la junte. Mais leurs opposants n’ont pas, jusqu’à présent, fait de démonstration de force, même si 38 partis et des associations réunies ont élaboré une plate-forme et proclamé un Front-Uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la république (FUDR).
Le président déchu est-il aux mains de la junte ? Est-il libre au contraire et prépare-t-il une contre-offensive ? Une intervention militaire directe des grandes puissances occidentales aura-t-elle lieu ? S’opèrera-t-elle par le biais des pays membres de la CEDEAO ? On en saura certainement davantage dans les jours qui viennent.
Peuple pauvre dans pays riche
L’implosion actuelle du Mali découle d’une mauvaise gestion politique d’un pays que le colonialisme français s’est évertué à diviser en ethnies et autres tribus et sur lequel il n’a jamais renoncé à maintenir sa mainmise, cinquante ans après l’indépendance.
Mais le pays est victime, comme la majorité des pays du Sud, de la politique économique des grands pays du Nord (le G7), de leurs grands groupes économiques et des banques qui les contrôlent. On constate ainsi que le Mali est l’un des pays les plus pauvres de la planète. Plus de la moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Entre 50% et 75% des hommes y sont analphabètes. Ce fléau s’avère encore plus important chez les femmes. En 2010, soit cinquante années après son indépendance, le pays ne possédait que 439 unités industrielles dont 299 entreprises manufacturières. On peut, à titre de comparaison, citer le cas de ses voisins ivoiriens et sénégalais qui possèdent respectivement 6 000 et 4 000 unités industrielles.
Or, et contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, le Mali dispose d’importantes ressources et potentialités qui auraient pu en faire un pays prospère à même de satisfaire les besoins élémentaires de sa population.
Le Mali est le premier producteur de coton africain du sud du Sahara et le 12e producteur mondial (2004). Il exporte une grande partie de ce coton, mais le problème réside dans le fait que le prix du coton ne se décide pas en Afrique mais à New-York. Le prix de cette matière première s’est effondré sur le marché mondial en 2005. Cela a entrainé la ruine de nombreux paysans qui produisaient à perte et qui se sont endettés. Mais le Mali produit également des céréales (Mil, sorgho, riz, maïs, blé…), des pommes de terre et du manioc, de l’igname ainsi que des légumes et des fruits (mangues, bananes, oranges…) dont il exporte une partie. Le pays dispose par ailleurs d’un élevage bovin et caprin considérable avec respectivement 7,8 et 22 millions de têtes de bétail pour une population d’un peu plus de 15 millions d’habitants. La pêche constitue une activité importante grâce aux fleuves Niger et Sénégal. Le Mali aurait ainsi la possibilité de devenir un grand pays agricole, à l’échelle de la région. C’est d’ailleurs pourquoi plus de 80% de ses habitants sont des paysans.
A cela s’ajoute la découverte d’or, par des multinationales. Le pays se classe troisième exportateur du continent, derrière l’Afrique du Sud et le Ghana. Le métal jaune représente d’ailleurs 75% des recettes d’exportation du pays. On trouve également du fer et d’autres métaux qui ne sont pas encore exploités.
L’émigration malienne représente également une importante source de revenus pour le pays et sa population.
L’offensive néolibérale
Les potentialités et ressources agricoles et minières du pays ne lui ont pas permis de décoller. La dévaluation du Franc CFA imposée en 1994 a réduit de moitié la valeur des capitaux dont le pays disposait, handicapant fortement ses capacités d’investissement. Trois années plus tard, le FMI imposait l’application d’un Plan d’ajustement structurel (PAS) qui allait se traduire par l’accroissement de la soumission de l’économie malienne aux intérêts des grands groupes des pays du Nord et par une explosion des inégalités sociales.
Un militant du Mouvement des sans-voix qui soutient la junte, dénonçait, il y a quelques jours, l’apparition de « vingt milliardaires en dix ans » alors que la population subissait la « cherté de la vie », que l’école était sinistrée et les entreprises publiques « liquidées ». Et Aminata Traoré d’aller dans le même sens en déclarant, dans la même interview citée plus haut :« Nos pays sont surendettés, placés sous la tutelle du FMI et de son ajustement structurel, avec des centaines de milliers de jeunes diplômés sans emploi, qui ont le choix entre l’émigration et la rébellion. On ne peut pas considérer la crise que traverse aujourd’hui le Mali comme une crise africaine de plus, sans établir de lien avec l’intervention de l’Otan en Libye, avec la crise systémique qui sévit chez vous, qui sévit chez nous depuis longtemps déjà. Nous vivons sous le régime de guerres locales découlant de la guerre globale que le système capitaliste a déclarée aux peuples du Sud. Nous sommes censés gérer les conséquences de cette situation gravissime en restant collés aux questions d’élections, de transparence des urnes. Alors que nos chefs d’État, dictateurs ou démocrates, sont tous inféodés à la France. »
Partout où le modèle néolibéral est appliqué, il se traduit par une mainmise sur l’économie locale, par une polarisation entre une minorité de nouveaux riches et une majorité, classes moyennes comprises, qui s’enfoncent dans la misère et la précarité. Le Mali ne fait pas exception.