Le Maghreb en rangs dispersés face à la crise malienne, la France mobilise ses « amis » africains

Le Maghreb en rangs dispersés face à la crise malienne, la France mobilise ses « amis » africains

Aïssa Bouziane, Maghreb Emergent, 03 Octobre 2012

La décantation s’est faire sur le dossier malien. La ligne de démarcation entre partisans et adversaires d’une intervention militaire a fini par s’imposer. Deux autres certitudes se sont également imposées : les pays maghrébins font face à la crise de manière dispersée, et il n’y a toujours pas de consensus interne au Mali pour appuyer l’intervention militaire.

Les Etats-Unis ont donné le signal de l’intervention militaire qui se prépare au Mali. En acceptant de cautionner cette démarche, malgré quelques réserves formelles, Washington a validé l’initiative de la France, véritable parrain de l’intervention militaire. L’évolution de la position américaine isole davantage l’Algérie, qui ne trouve plus guère de partenaire pour continuer à plaider pour une solution politique négociée.

A l’inverse, le changement d’attitude des Etats-Unis apparait comme une victoire de la France. Celle-ci va financer et apporter l’appui logistique à l’intervention, qui se prépare avec des troupes venant des pays de la CEDEAO, une organisation qui regroupe la clientèle traditionnelle de la France en Afrique.

Le président François Hollande est lui-même monté au créneau pour mobiliser les « amis » de la France, en défendant une intervention militaire. L’action de la France s’est longtemps heurtée à une certaine hostilité africaine, mais la diplomatie française a fini par trouver les bons leviers pour convaincre ses « amis » africains. La France a notamment franchi un obstacle essentiel en contournant l’Union Africaine, hostile à une intervention étrangère, pour s’adresser à la CEDEAO, favorable aux thèses françaises.

Au fil des mois, les pays africains concernés par la crise malienne se sont divisés en trois groupes. Le plus médiatique est celui qui voulait aller rapidement à une intervention militaire. Constitué de clients traditionnels de la France, comme la Côte d’Ivoire, ce groupe a fait preuve d’un certain zèle pour accélérer le cours des choses.

Le second groupe, sceptique, a été contraint de suivre, à la suite de fortes pressions françaises et occidentales. C’est le cas de la Mauritanie qui, par la voix de son le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération Hamadi Ould Baba Ould Hamadi, a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de « rétablir rapidement l’intégrité territoriale du Mali ». Pourtant, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz a affiché, pendant longtemps, une certaine hostilité à l’idée d’une intervention étrangère, avant de changer d’attitude à l’issue de rencontres remarquées avec les ambassadeurs de France et de l’Union européenne.

Niger, Sénégal, Tchad, Burkina-Faso partagent largement cette attitude. Hostiles aux groupes islamistes qui dérangent l’ordre établi, ils sont tout de même inquiets des possibles retombées d’une intervention étrangère au Mali. Si elle échoue, ils seront les premiers à en subir les conséquences. Après tout, ce qui se passe au Mali est la conséquence d’une intervention étrangère en Libye. Mais si l’intervention réussit, elle peut constituer une menace pour leurs propres régimes, des systèmes autoritaires souvent peu recommandables. Ils pourraient être à leur tour victimes d’une opération pilotée de l’étranger.

Les pays maghrébins en rangs dispersés

Le troisième groupe est celui des pays hostiles à une intervention étrangère. Paradoxalement, il regroupe deux pays que tout, apriori, oppose : l’Algérie et le Maroc. L’Algérie ne veut pas que des troupes parrainées par la France s’installent à sa frontière sud, après les dégâts provoqués par l’intervention de l’OTAN à sa frontière est, en Libye. Elle ne veut pas non plus une guerre impliquant les Touaregs, qui constituent une des composantes de la population algérienne.

Le Maroc, de son côté, craint qu’une intervention au Mali, même menée sous la bannière des nations-Unies, puisse constituer un précédent, alors que le front Polisario demande précisément un plus grand engagement des Nations-Unies au Sahara Occidental.

La Libye et la Tunisie sont relativement restées discrets, car ils sont partagés sur la question. Le pouvoir en place en Libye est lui-même le produit d’une intervention étrangère, alors que la Tunisie reste trop fragile pour risquer de déplaire à des partenaires dont l’appui économique est déterminant.

Ces divisions parmi les pays entourant le Sahel paraissent cependant dérisoires face aux hésitations américaines, d’une part, et aux divisions au sein même du pouvoir malien, d’autre part. Les Etats-Unis, peut-être échaudés par leurs précédentes interventions en territoires musulmans (Somalie, Irak, Afghanistan), ainsi que par les récents dérapages en Libye, paraissaient sceptiques. Leurs doutes ont été exprimés par la secrétaire d’Etat Hillary Cliton, pour qui « seul un gouvernement démocratiquement élu aurait la légitimité de négocier un accord politique au nord du Mali, de mettre fin à la rébellion et de restaurer l’Etat de droit ». De son côté, le patron de l’Africom, le Général Carter Ham, a affirmé que la crise au nord du Mali « ne peut être résolue que de manière diplomatique ou politique ».

Ces propos étaient à peine formulés que les Etats-Unis décidaient de changer de fusil d’épaule, et donner leur aval à une intervention étrangère. Johnny Carson, le Monsieur Afrique du département d’Etat, a en effet affirmé qu’un telle intervention lui araissait inéluctable. Il a tenté d’encadrer l’opération, en affirmant qu’elle devra être « bien préparée, bien organisée, bien pourvue, bien pensée et agréée par les pays qui seront directement concernés ». Washington a également exclu toute participation de l’OTAN et toute présence militaire américaine au Mali.

Pas de consensus au Mali

Les Etats-Unis ont aussi insisté pour qu’une intervention étrangère couronne éventuellement un processus politique interne au Mali, ce qui n’est guère le cas. Il n’y a en effet pas de consensus au sein du pouvoir malien pour faire appel à une aide étrangère. Le président Diocounda Traoré lui-même a montré une certaine réserve, en continuant à faire des offres de dialogue y compris lorsqu’il a officiellement sollicité l’aide de la CEDEAO.

Visiblement situé dans un camp opposé, le premier ministre, Cheikh Modiba Diarra, fait preuve d’un zèle évident pour pousser à une intervention rapide. Considéré comme l’homme de paris, le premier ministre a publiquement souhaité une plus grande implication de la France, tout en montrant une hostilité évidente aux thèses algériennes.

L’armée malienne est, elle aussi, divisée. Certes, c’est une armée en lambeaux, et qui porte, en plus, une lourde responsabilité dans la situation actuelle, après son coup de force du 22 mars qui a mis fin au processus démocratique en destituant le président Amadou Toumani Touré. Mais en raison de la faiblesse des institutions, et de la présence de groupes armés en territoire malien, elle reste incontournable. Comme toutes les armées, celle du Mali est hostile à la présence de troupes étrangères, et veut surfer sur une vague populiste entretenue par des partis et associations activistes hostiles à l’intervention de troupes étrangères.