Malgré de fortes pressions, l’Algérie refuse une aventure militaire au Mali
Abed Charef , Maghreb Emergent, 9 Juillet 2012
De fortes pressions sont exercées sur l’Algérie pour participer ou faciliter une intervention militaire au Mali. France, Etats-Unis, pays africains, soucieux d’en finir rapidement avec une situation intenable au nord du Mali, veulent une solution militaire rapide. L’Algérie reste, de son côté, sur une autre ligne pour de multiples raisons, qui vont de choix politiques figés à un pragmatisme qui colle mieux à la réalité et aux intérêts du pays.
La température a frôlé les cinquante degrés dans de vastes zones du Sahara, en ce lundi 9 juillet 2012, au moment où se tenait à Alger une réunion des ministres maghrébins des Affaires étrangères consacrée aux questions de sécurité. Ce n’est évidemment pas un temps favorable pour lancer, au nord du Mali, une guerre contre des groupes terroristes maitrisant parfaitement le terrain, et détenant, en plus, des otages dont la vie ne tient qu’à la pondération affichée jusque-là autorités algériennes.
Mais le temps n’est pas le seul facteur qui empêche les dirigeants algériens d’intervenir au Mali. Des raisons politiques et pratiques ont imposé une démarche érigée en dogme, malgré la pression de puissances extérieures, dont la France et les Etats-Unis, qui considèrent que le pourrissement au nord du Mali porte des risques graves pour toute la région.
Vue d’Alger, la position de la France est assez simple. Paris veut préserver ses intérêts au Sahel et dans l’Afrique de l’Ouest, et la restauration de l’intégrité du Mali est un élément central dans cette perspective. Quant aux Etats-Unis, ils veulent mettre sur pied un dispositif antiterroriste dans la région du Sahel et en Afrique. La forte présence de groupes terroristes au Sahel semble à-priori justifier leur démarche.
L’Algérie a, de son côté, a un autre regard sur la situation. Elle considère d’abord qu’un pays voisin a forcément une approche différente d’un pays lointain. Le Mali et l’Algérie ont 1.300 kilomètres de frontières difficile à surveiller. La crise malienne a d’ores et déjà provoqué un afflux de milliers de réfugiés en territoire algérien, dans une région où il est très difficile de les approvisionner.
D’autre part, l’Algérie considère que les rebelles maliens restent des Touareg, qu’il faut gérer comme des cousins des Touareg algériens. Ils peuvent, aujourd’hui, être islamistes, appartenir au MNLA ou à l’organisation jihadiste Ansar Eddine, mais ils restent les maitres de cette vaste zone qui va du sud libyen au Burkina Faso, en passant par le Mali, le Niger et l’Algérie. Les Ag Ghali, qui dirigent Ansar Eddine et le MNLA, ont longtemps vécu en Algérie, où une partie de leur famille s’était établie.
Leur faire la guerre aujourd’hui ne servira qu’à créer des ressentiments supplémentaires chez un peuple qui se sent déjà brimé par le pouvoir central au Mali et au Niger. De plus, toute initiative militaire ne servira qu’à créer un prétexte supplémentaire pour créer un nouveau foyer de tension, ce qui attire inévitablement les interventions étrangères.
Le précédent libyen
Par ailleurs, l’Algérie considère que la déstabilisation du Mali est une conséquence directe de l’intervention occidentale en Libye. La libyenne a d’ailleurs eu un effet domino qui menace désormais tout le Sahel et une partie de l’Afrique de l’est et de l’ouest, à la suite notamment du pillage des anciens stocks d’armes de l’armée libyenne. Pour l’Algérie, l’affaire libyenne a montré que les pays occidentaux ne tiennent aucun compte des intérêts des autres pays, notamment ceux qui subissent des difficultés. Il n’est donc pas question de se plier au calendrier des grandes puissances, qui ont fait preuve d’une politique va-t’en guerre destructrice pour les autres. Quitte à prendre des risques, l’Algérie veut éviter que ne se répète le précédent libyen.
Le mieux serait donc de poursuivre les tractations, en restant ferme sur le fond : respect de l’intégrité territoriale du Mali, réformes pour tenir compte des aspirations des populations du nord, établissement d’un système politique plus adapté aux réalités du maliennes. Pour l’heure, l’Algérie s’accroche à cette ligne de conduite, et ne veut pas passer du statut d’intermédiaire à celui de partie du conflit.
Mais cette position peut évoluer, car la situation est très instable, et incertaine. L’incertitude tient, notamment, au fait que c’est l’Algérie qui sait le mieux à quoi s’en tenir car c’est elle qui fait face, directement, aux groupes terroristes, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Cette dernière organisation a revendiqué des attentats à Tammanrasset et à Ouargla, et détient le consul d’Algérie à Gao, ainsi que six employés consulaires.