Les historiens veulent peser sur les pourparlers en cours

L’abrogation, une exigence non négociable

Les historiens veulent peser sur les pourparlers en cours

De Notre Correspondant A Paris: S. Raouf, Le Quotidien d’Oran, 7 janvier 2006

L’abrogation et rien que l’abrogation. Les historiens engagés depuis bientôt un an contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005 n’ont pas tardé à redonner de la voix. Deux des leurs, Claude Liauzu et Gilles Manceron, ont mis en garde contre le maintien, même sous une forme édulcorée, de la disposition controversée.

Au soir de l’appel de Jacques Chirac pour une réécriture du dudit article, les deux historiens ont signé un nouvel appel d’une quinzaine de lignes qui se passe d’exégèse. Au nom des leurs, Liauzu et Manceron affirment qu’ils n’ont guère l’intention de sacrifier l’exigence d’abrogation sur l’autel des pourparlers en cours. Réagissant au plaidoyer chiraquien pour un énoncé consensuel et apaisant de l’article 4, Liauzu et Manceron y voient une démarche de la majorité gouvernementale à «se tirer d’un mauvais pas». Et les deux signataires de l’appel de s’interroger si la France se dirige, sur cette question, «vers une solution qui cherche à ménager la chèvre et le chou».

La célérité de la réaction et surtout sa tonalité ne sont pas dénuées d’observations aux yeux des milieux politiques et médiatiques. Tout se passe comme si la communauté historienne cherche, ce faisant, à peser sur les discussions en cours via la «Mission Debré». Selon les informations en possession du Quotidien d’Oran, Liauzu et Manceron seraient au rang des historiens retenus par le Président de l’Assemblée nationale sur sa liste des personnalités à auditionner. Jean-Louis Debré a commencé la nouvelle année avec, entre autres urgences, la préparation du rapport commandé par l’Elysée sur «l’action des députés dans le domaine de l’Histoire et de la mémoire».

Avant d’aller au Palais-Bourbon à la rencontre du premier législateur de France, Liauzu et Manceron ont tenu, via leur appel, à clarifier sans ambages la position de leur corporation. «Ce que demandent les historiens et enseignants qui ont protesté contre cet article, c’est son abrogation». Manifestement soucieux d’un surcroît de pression sur les pouvoirs exécutif et parlementaire, les deux historiens ont accompagné leur appel par des interventions répétées dans la presse. Jeudi, Gilles Manceron, vice-président de la Ligue des droits de l’homme et coauteur avec Hassan Remaoun d’un essai sur l’enseignement de la guerre d’Algérie en France et en Algérie (1), a rejeté d’avance une option autre que l’abrogation.

Depuis une semaine, les rédactions parisiennes bruissent d’infos selon lesquelles la majorité UMP s’acheminerait vers un énoncé moins affirmatif de l’article 4. Conditionnel de rigueur, on parle d’une nouvelle mouture où il serait question d’«aspects positifs du rôle de la France outre-mer» et non «du rôle positif de la France outre-mer» comme c’est le cas dans la version adoptée le 23 février 2005. «Est-ce que la «réécriture» de Chirac laisse entendre qu’il se range au côté de Klarsfeld pour qui il faut envisager bienfaits et aspects négatifs de la colonisation», se demande Gilles Manceron. Pour les historiens, tranche-t-il, réécriture version Chirac et non-abrogation version Klarsfeld sont des «sous-solutions», des options «pas satisfaisantes».

A l’ombre des prises de position croisées, Jean-Louis Debré rentre de plain-pied dans sa mission sans que personne n’en décortique les tendances. Aux rares journalistes qui s’efforcent, au détour d’une discussion en off, de lui arracher quelques bribes, il se garde d’y répondre. Tout au plus, dit-il, volontairement confus, que toutes les pistes sont ouvertes.

«J’écoute à charge et à décharge», a-t-il précisé, histoire de montrer qu’il s’en tenait à la «mission pluraliste» exigée par Jacques Chirac. Cité par un quotidien parisien, Jean-Louis Debré a indiqué qu’il oeuvrait pour que «la correction ne soit ni l’expression d’une repentance, ni l’expression d’un reniement mais l’expression d’une bonne et juste conception de la loi». Une formule très diplomatique qui ne permet pas, pour l’heure, de se faire la moindre idée sur la «réécriture» voulue par l’Elysée.

(1) «D’une Rive A L’autre, La Guerre d’Algérie

De La Mémoire A L’histoire». Syros 1993.