Paris, Musée de l’Homme…
Par Brahim Senouci, Libre Algérie, 11 septembre 2016
A Paris, au Musée de l’Homme, il y a des milliers de crânes, 18.000 pour être précis. Ils sont presque tous accessibles au public. Trente-six (ou trente-sept?) sont plus difficiles d’accès. Ils sont entreposés dans les caves du Musée, dans des cartons enfermés dans des armoires métalliques. Ces crânes ont une histoire…
En 1849, deux ans après la défaite de l’Emir Abdelkader, l’Algérie “pacifiée” est le siège d’un terrible massacre dans la ville-oasis des Zaatcha. Une colonne lourdement armée, commandée par le Général Herbillon, est opposée à une armée de résistants algériens, conduits par d’anciens compagnons de l’Emir Abdelkader, notamment le Chérif Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, dit Boubaghla, Mohamed Benallal Ben Embarek, le Cheïkh Bouziane, Moussa El-Derkaoui et Mokhtar Ben Kouider El Titraoui. La bataille, du 17 juillet au 26 novembre 1849, est terrible. Au prix de très lourdes pertes, plus de 1.500 hommes, l’armée française réussit à investir l’oasis. Le massacre peut commencer. Personne ne trouve grâce aux yeux d’une soldatesque ivre de violence. Les femmes sont torturées et meurent dans d’atroces souffrances. Des bébés ont la tête fracassée contre les murs. Tout ce qui vit et respire est détruit, méthodiquement. Il ne reste aucun survivant hormis, selon le Général Herbillon, “un aveugle et quelques femmes”. Les leaders de la rébellion font l’objet d’un traitement particulier. Ils sont décapités et leurs têtes exposées en public pour décourager d’éventuelles velléités de sédition. Ces têtes se retrouvent dans les cabinets des médecins militaires, grands amateurs de restes humains, et finissent au Musée de l’Homme, d’abord comme trophées de guerre, puis comme “objets d’études scientifiques”.
Et depuis? Depuis, elles y sont encore!
Bref rappel: au nombre des curiosités macabres présentes au Musée de l’Homme, il y avait (à l’imparfait) des têtes maories (peuples premiers de Nouvelle-Zélande), des têtes de guerriers kanaks (peuples premiers de Nouvelle-Calédonie), la fameuse Vénus Hottentote (esclave sud-africaine née au 18ème siècle et exposée comme un phénomène de foire en Europe avant de finir au Musée de l’Homme). Ces restes ont été rendus à leurs patries respectives. La France ne l’a pas fait de bonne grâce. Elle a cédé face aux exigences des peuples et des gouvernements de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Sud et de la société kanak.
Les dirigeants algériens ont-ils engagé des démarches auprès de leurs homologues français? Ils auraient pu le faire dès 2011, quand l’anthropologue Farid Belkadi les a alertés sur l’existence de ces crânes. Il n’en a rien été. La pétition qu’il a lancée à ce moment n’a pas eu d’impact. J’ai, pour ma part, initié une nouvelle pétition qui a eu une audience plus large, puisqu’elle a recueilli près de 29.000 signatures. Les autorités ont alors été contraintes de réagir. Elles l’ont fait sur leur mode habituel qui combine le mystère et la rodomontade. Les déclarations enflammées du début du mois de juillet ont cédé le pas au silence. On apprend tout de même par des brèves dans la presse, incidemment, que le ministre des anciens moudjahidine aurait adressé une demande de restitution de ces restes. Personne ne connaît la teneur de ce courrier, la qualité de son destinataire, la réponse qu’il aurait suscitée. Cette question engage bien plus que le sort des crânes de nos résistants et leur inhumation dans la patrie pour laquelle ils ont accepté de mourir, de voir mourir leurs femmes et leurs enfants: il s’agit de réparer l’insulte faite à la dignité de notre peuple.
A quoi bon?, nous susurre notre vieille compagne d’infamie, la haine de nous-mêmes. Quelle dignité pouvons-nous défendre quand notre pays se déchire, se corrompt, voit ses jeunes lui préférer le risque de finir dans le ventre poissonneux de la Méditerranée?
Plutôt que de se complaire dans le lamento sans fin sur les illusions perdues, de choisir la facilité du fatalisme, honorons l’immense dette que nous avons contractée vis-à-vis de nos martyrs. Il n’y a pas d’autre moyen de la régler en faible partie que de manifester notre reconnaissance envers eux en exigeant que les restes de nos résistants soient rendus à leur terre. Commençons par ce geste simple, qui consiste à signer la pétition sur le site : change.org
En leur manifestant ainsi notre considération, peut-être retrouverons-nous un début de considération pour nous-mêmes, une once de fierté qui soit autre chose que le slogan ridicule du “nif”…