Une loi «a minima» pour les irradiés d’Algérie
Reconnaissance symbolique et indemnisation limitée de la France
Une loi «a minima» pour les irradiés d’Algérie
par M. S., Le Quotidien d’Oran, 24 décembre 2009
Le Parlement français a définitivement adopté la loi sur la reconnaissance et l’indemnisation des essais nucléaires menés par la France entre 1960 et 1996. Selon le ministre français de la Défense, quelque 150.000 civils et militaires ont participé aux 210 essais menés de 1960 à 1996 par la France, dans le Sahara algérien puis en Polynésie française, deux régions dont les populations peuvent également prétendre à indemnisation. Contestée par les associations de victimes qui la jugent insuffisante, la loi a été validée par la majorité. Dans l’opposition, le Parti socialiste français critiquant une «loi a minima» s’est abstenu au niveau de l’Assemblée avant de voter contre au Sénat. Les verts et les communistes ont voté contre dans les deux chambres.
Elle est «purement symbolique», a estimé le communiste Maxime Gremetz. «Avec les associations, nous allons continuer à nous battre car nous sommes loin du compte», a-t-il souligné en relevant que le texte marque toutefois «la fin de décennies de cécité, de mutisme et d’ingratitude de la part de l’Etat». C’est toute la limite du texte, une reconnaissance morale et symbolique accompagnée d’un souci de limiter la portée des indemnisations.
Samedi dernier, des milliers de manifestants ont marché dans les rues de Papeete, en Polynésie, pour protester contre une loi très «restrictive» selon les responsables associatifs, dans la détermination des zones définies comme ayant subi des retombées radioactives. Les irradiés des essais français au Sahara algérien et Polynésie devront s’en contenter.
Les personnels militaires et civils et les populations qui ont été irradiés et ont développé un cancer pourront ainsi demander une indemnisation. Une liste de 18 maladies, établie par une agence spécialisée de l’ONU, a été retenue. L’indemnisation sera évaluée par un comité d’indemnisation qui soumettra un avis au ministre de la Défense, à qui il reviendra de prendre la décision finale.
«Solde de tout compte»
Pour les associations, la démarche n’est pas juste car «l’Etat, responsable des essais, ne peut être juge et partie».
Il a fallu des décennies de réclamations avant que le ministère français de la Défense n’admette, dans un rapport publié en 2006, que des contaminations s’étaient produites lors de quatre essais souterrains réalisés au Sahara, dont le tir «Béryl» du 1er mai 1962. En Polynésie, les responsables locaux voulaient que tous les archipels polynésiens soient considérés comme faisant partie de la zone géographique concernée et que toute personne qui y a vécu et a développé une pathologie retenue par la loi puisse bénéficier des indemnisations. «On veut nous faire passer cette loi comme solde de tout compte de la dette nucléaire, mais elle n’est pas satisfaisante», a estimé l’indépendantiste Unutea Hirshon.
Les associations de défense des irradiés voulaient avoir des représentants au sein du comité d’indemnisation, chose refusée par le ministère de la Défense français. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, a indiqué qu’un dispositif d’indemnisation des victimes «juste, rigoureux et équilibré» serait mis en place « dès le début de l’année prochaine». Selon lui, «grâce à ce texte, la France est grande dans la reconnaissance. Elle peut enfin clore sereinement un chapitre de son histoire».
Un député vert, François de Rugy, a critiqué le fait que «certaines des attentes des victimes ne soient pas satisfaites… car la réparation doit être de droit et ne peut être laissée à l’appréciation d’un ministre soumis aux contraintes budgétaires».
Et la décontamination ?
Il était clair depuis des mois que le gouvernement français cherchait à limiter le nombre de personnes pouvant prétendre à l’indemnisation. Comparativement à la situation de déni qui prévalait, la loi adoptée constitue un progrès mais les associations de défense des irradiés n’avaient pas tort de souligner que l’Etat français cherchait à réduire au minimum les personnes pouvant prétendre à l’indemnisation.
En outre, la démarche française ne prend pas en compte les effets durables et transmissibles des tests nucléaires à ciel ouvert. La contamination des sols peut durer pendant de très longues périodes. C’est un souci pour l’Algérie. Pour rappel, le ministre algérien des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci, a estimé, il y a plusieurs mois, que la question des essais nucléaires français en Algérie ne se limite pas à l’indemnisation des victimes mais doit prendre en charge la décontamination des espaces concernés. Il s’agit, avait-il dit, «de procéder à une évaluation la plus complète possible sur la situation et de faire en sorte que nous puissions aller, ensemble, à la prise en charge des problèmes qui ne sont pas simplement des problèmes d’indemnisation mais aussi de décontamination».