Essais nucléaires français dans le Sahara
Essais nucléaires français dans le Sahara
Alger ose le débat
El Watan, 13 février 2007
Un tabou « historique » est en phase de neutralisation. C’est du moins ce qui ressort de cette volonté d’organiser un débat à Alger sur les essais nucléaires français au Sahara.
« Un débat scientifique et historique », insiste Ibrahim Abbès, directeur du patrimoine historique et culturel au ministère des Moudjahidine, premier responsable du colloque international qui s’ouvre aujourd’hui à l’hôtel El Aurassi. Une manifestation qui devait se tenir en novembre 2006 mais qui a été reportée pour des considérations techniques, à en croire M. Abbès. « Contrairement à ce qui a été dit çà et là, nous n’avons subi aucune pression pour annuler le colloque », dit-il, lors d’une rencontre avec la presse, hier, au siège du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national, à El Biar, sur les hauteurs d’Alger. « Il y a la nécessité de faire le travail de mémoire. Il n’y a pas de sujets tabous. » Nous avons déjà abordé le thème du comportement de la justice durant de la guerre de libération. Nous avons également étudié les mouvements qui étaient hostiles à la révolution », précise M. Abbès. Djamel Yahiaoui, directeur du centre, indique que la thématique sera traitée par des juristes, des historiens et des experts. Sont invités à prendre la parole Nic Mac Lellan, chercheur australien de la Nuclear Free and Independent Pacific Movement (basé aux îles Fidji) ; Katsumi Furitsu de l’Association des victimes des essais nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki au Japon ; Roland Oldham, président de l’Association Moruroa e Tatou (installée à Papeete à Tahiti) ; Jean Louis Valtax, président de l’Association des vétérans des essais nucléaires français (AVEN) ; Carah Ong, directeur de communication de la Nuclear Age Peace Foundation, ONG américaine qui mène campagne contre la guerre en Irak ; Bruno Barrillot, journaliste et expert français au Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits. Côté algérien, les chercheurs Amar Mansouri, Mohamed Bellameri et Zahra Mokrani du Comena (recherche atomique) prennent part aux débats. Mais aussi des spécialistes en médecine nucléaire, à l’image de Salah Eddine Benyoucef du Chu de Bab El Oued et Abdelhamid Aberkane du Chu de Constantine. Les organisateurs ont fait appel également à des témoins des régions d’Adrar et de Tamanrasset où ont eu lieu les essais nucléaires français entre 1960 et 1966. A ce jour, aucun bilan détaillé n’a été établi des victimes civiles algériennes des fameuses opérations Gerboise bleue, rouge, blanche et verte et des treize essais souterrains dans la montagne de Tan Afella à In Ecker, dont les sinistres Saphir, Jade, Rubis et Béryl qui ont fait beaucoup de dégâts à cause des fuites. L’Algérie, selon M. Abbès, souhaite profiter, entre autres, des expériences japonaise, américaine et polynésienne pour la prise en charge des victimes. « Que faut-il faire après, c’est notre souci », dit-il. Si le dossier des indemnisations, à réclamer auprès de l’ex-puissance coloniale, n’est pas encore posé, cela a tout l’air d’être le début d’un long chemin. L’AVEN, qui défend d’anciens soldats, a déposé plusieurs plaintes contre l’Etat français. ` Dans une note de présentation, un des objectifs du colloque d’aujourd’hui est précisé en ces termes : « Poser le problème des essais nucléaires français au Sahara algérien sur le plan de la responsabilité juridique, tout en dénonçant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité causés par les effets de rayonnements ayant contaminé des zones importantes et affecté tant l’espèce humaine que les espèces animale et végétale. » Il est expliqué que des éléments existent sur « des négligences graves en connaissance de cause » pour la sécurité et la santé des personnels des essais et des populations voisines. « L’opération de démantèlement de ces sites n’a pas été correctement effectuée, ce qui constitue des risques permanents liés à toute vie dans ces zones », est-il indiqué. Aucun travail détaillé et scientifique n’a été fait sur le nettoyage de ces zones considérées comme dangereuses (le volume des essais atomiques français a dépassé les 500 kilotonnes). « Le colloque va engager une réflexion sur un programme de réhabilitation des sites contaminés », précise M. Abbès. Il y a également l’idée de proposer des textes de loi pour la prise en charge des victimes. Il est prévu également la publication d’un ouvrage sur les conséquences des essais nucléaires au Sahara. Le débat aura-t-il un aspect politique, tant il est vrai que les implications futures sur les relations, déjà compliquées, entre l’Algérie et la France seront inévitables ? « La question politique ne peut pas être dissociée du débat scientifique et historique », souligne le représentant du ministère des anciens combattants.
Metaoui Fayçal
Les oubliés de Reggane
Au total, 17 expériences ont été effectuées par la France coloniale sur le sol du Sud algérien, dont quatre explosions de bombes atomiques à la surface du sol à Reggane. La plus puissante était celle de 117/127 KT en février 1965. Ainsi, dès 1984, sont apparus des cas de leucémie et de cancer dans la région.
Cependant, aucune statistique officielle n’existe pour évaluer le taux de radioactivité et des personnes contaminées. Dans la région de Reggane, les radiations sont toujours présentes et menaçantes. C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la France a lancé son programme nucléaire avec le fervent désir de concevoir sa propre arme à destruction massive, et de là, obtenir le statut de puissance mondiale aux côtés des USA, de l’Angleterre et de l’ex-URSS. Alors, un commissariat à l’énergie atomique a été créé par le général de Gaulle, le 8 mai 1945, qui avait pour mission la conception de la bombe atomique. Selon la publication du centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la révolution du 1er novembre 1954, sur les essais nucléaires français en Algérie, la conception de la bombe atomique s’est effectuée en trois phases échelonnées sur quinze ans. La première étape, de 1945 à 1951, a été consacrée aux études scientifiques et techniques. La seconde, en 1952, a permis la mise sur pied d’un budget spécial pour le soutien logistique et le programme d’acquisition du plutonium. La dernière étape, à partir de 1955, a abouti à la construction de la bombe atomique en collaboration avec le ministère des Armées et le Commissariat à l’énergie atomique pour le lancement des travaux d’expérimentation, suite au refus des USA et de l’Angleterre de lui fournir les renseignements relatifs à la bombe. C’est le Sahara algérien, plus précisément Reggane (150 km au sud d’Adrar) qui a été choisi comme champ d’expérimentation. Cette décision a été prise en 1957 par de Gaulle. L’installation de la base des essais atomiques a été confiée à la 2e compagnie de l’armée française qui a dressé son PC à Hamoudia, une localité située à 65 km au sud de Reggane.
Séquelles indélébiles
Cette opération a mobilisé 6500 Français, entre chercheurs, savants, ingénieurs et soldats, ainsi que 3500 Algériens, de simples ouvriers, avec une majorité de détenus. La première, de 70 kilotonnes, le 13 février 1960, à Hamoudia, celle inférieure à 20 kilotonnes, le 1er et le 4 avril 1960, et une autre supérieure à 20 kilotonnes, le 25 avril 1961. Et puis 13 autres explosions, mais souterraines cette fois-ci, au Sud-Est algérien, à In Ikker (région de Tamanrasset), du 7 novembre 1961 au 16 février 1966. Ces expériences atomiques ont contaminé de vastes zones entre l’Algérie et le Tchad, selon certaines publications, et ont laissé des traces indélébiles sur la nature et les humains. Des mesures ont été prises par les services de l’environnement qui confirment cette présence, avec un pic au point zéro. Cependant, des relevés topographiques ont été effectués sur le terrain et une clôture de 12 kilomètres linéaires, avec des panneaux de signalisation, est prévue pour matérialiser cette zone dangereuse. Selon M. A. Ksasi, président de l’association 13 février 1960, agréée en 1997 à Reggane et qui compte près de 300 adhérents, les séquelles sont encore perceptibles sur certaines personnes qui apportent leur témoignage. Cette association souffre du manque de moyens pour pouvoir poursuivre ses recherches dans ce domaine.
A. A.