La France vient se rappeler au bon souvenir d’Alger
José Garçon, Libération, 10 avril 2006
Après plusieurs reports et articles fielleux dans la presse algérienne, Philippe Douste-Blazy est arrivé hier à Alger. Cette visite de 36 heures du chef de la diplomatie française est censée relancer les relations entre Alger et Paris qui, depuis un an, se battent encore froid après une décennie tendue pour cause de manque d’empressement français à livrer directement du matériel militaire sophistiqué pendant la guerre civile. Alger le réclamait autant pour «lutter contre le terrorisme» qu’en signe de légitimation de son combat contre les groupes armés islamistes dont les effets collatéraux ont été dévastateurs : 200 000 morts, civils pour la plupart, et 15 000 disparus.
«Repentance» contre harkis. L’embellie liée au rapprochement entrepris après l’installation au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, et après sa réélection en 2004, durera peu. Une méchante polémique a repoussé aux calendes grecques la signature du traité d’amitié prévue «avant fin 2005 » et toujours en attente. C’est l’adoption le 23 février 2005 de la loi glorifiant le rôle de la colonisation qui a mis, à nouveau, le feu aux poudres . Du moins officiellement, car le particularisme des rapports franco-algériens réside dans une contradiction : les épisodes de tension se succèdent alors que, fondamentalement, Alger sait pouvoir compter sur le soutien quasi sans faille de Paris, particulièrement sur l’épineux dossier des droits de l’homme.
Le retrait de l’article de loi controversé en janvier 2006, sur proposition de Jacques Chirac, aura quelque peu apaisé la polémique. Mais il n’a pas fait varier l’exigence d’Abdelaziz Bouteflika d’obtenir une repentance de la France pour les 130 ans de colonisation avant toute relance du traité d’amitié. Celui-ci est en fait totalement bloqué et tout indique que, sauf miracle, il le restera jusqu’à la présidentielle de 2007. Jacques Chirac n’a pourtant pas hésité à se faire demandeur à la grande satisfaction d’Alger. Le 22 mars, il adressait une missive à son homologue algérien que l’Algérie s’est fait un plaisir de rendre publique pour l’assurer de la permanence de son «engagement» dans le traité et de son «souhait de s’entretenir [avec le président algérien] sur la façon de mener à bonne fin cette grande entreprise ». Cette lettre n’a pas vraiment changé la donne.
«Courtoisie». Deux raisons à cela. La première est l’impossibilité de concilier l’exigence d’Alger qui réclame des excuses de la France avec celle de Jacques Chirac qui veut obtenir «un geste» algérien sur les harkis. La seconde tient à des considérations plus prosaïques. Dans l’incertitude entourant la présidentielle française, le pouvoir algérien n’a aucune intention de faire le cadeau de ce traité d’amitié à un Chirac en bout de course. D’autant que sa ratification reste un moyen de pression sur la France sur deux dossiers. Alger, qui appuie le Front Polisario, entend dissuader Paris de soutenir trop ouvertement le plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental. En ces temps de dixième anniversaire de l’assassinat des sept moines de Tibéhirine, il s’agit aussi d’éviter que Paris ait la tentation de donner suite, fut-ce formellement, à la plainte contre X déposée par des proches des trappistes pour faire la lumière sur leur disparition et le rôle trouble des «services» algériens.
Dans ce contexte de gel du traité d’amitié géré directement par les présidents français et algérien , à quoi peut bien servir la visite de Douste-Blazy ? Alors que le Quotidien d’Oran note qu’on « n’aura pas l’audace de l’inscrire dans le pur style de la courtoisie toute diplomatique, même si on a des raisons de le faire», le ministre français affirme qu’il s’agit d’«approfondir nos relations dans tous les domaines […] et de les faire progresser en identifiant de nouveaux domaines de notre coopération». Concrètement, cela signifie que des projets sur la santé, l’éducation et la formation des élites vont voir le jour.
Deux dossiers délicats, auxquels Alger tient beaucoup, sont aussi au coeur des discussions : la circulation des personnes et les conditions d’accueil, indignes, des Algériens qui demandent un visa. «En 2005, le taux de délivrance des visas a, pour la première fois depuis plus de dix ans, dépassé 50 % des demandes», plaide Douste-Blazy en admettant que « la situation est loin de nos espérances, que les délais de délivrance sont trop longs et les conditions d’accueil insatisfaisantes». Outre la réouverture du consulat d’Oran fin 2007, une nouveauté devrait être bien accueillie par Alger : la création de «visas de circulation» de un à cinq ans pour «ceux qui font vivre la relation franco-algérienne», hommes d’affaires, chercheurs, journalistes…
Enchères. Au-delà de ces problèmes réels, l’aspect politique de la visite de Philippe Douste-Blazy est patent. La France ne veut pas être à la traîne au moment où l’Algérie, avec 61 milliards de dollars de réserves de change, apparaît comme un nouvel eldorado dont les grandes (et moyennes) puissances se disputent les faveurs. Alger joue d’ailleurs habilement de ces rivalités pour faire monter les enchères et s’imposer comme seul leader régional. Un statut qui oblige à ce que la France soit présente dans la noria des Etats dont les dirigeants se bousculent à Alger. Une visite de Jacques Chirac n’étant pas d’actualité, va pour Philippe Douste-Blazy. Qui devrait rencontrer aujourd’hui Abdelaziz Bouteflika.