Selon Saïd Arif, Damas a fait «le sale boulot» pour Paris

Le procès des filières tchétchènes

Selon Saïd Arif, Damas a fait «le sale boulot» pour Paris

L’accusé dit avoir été torturé en Syrie et balaie sa «prétendue confession».

Par Patricia Tourancheau, Libération, 22 avril 2006

Ancien lieutenant déserteur de l’armée algérienne reconverti dans le Jihad, Saïd Arif, 40 ans, détonne par rapport aux vingt-cinq autres islamistes des filières dites «tchétchènes» jugés à Paris pour «association de malfaiteurs terroristes». Nez aquilin et allure altière avec son pantalon blanc et sa chemise bleue, visage émacié et glabre, ce prévenu phare dépasse d’une tête dans le box ses voisins barbus et râblés. Pas besoin d’interprète, l’Algérien s’exprime dans un français parfait (comme en anglais, et correct en allemand), mais se montre chiche de ses paroles au tribunal : «Au nom de quoi vous me jugez, en tant que pays colonial ?» Il ne répond pas plus aux questions de la présidente Jacqueline Rebeyrotte qu’à celles du juge Jean-Louis Bruguière lors de ses douze interrogatoires. A défaut d’aveux, la présidente a psalmodié durant trois heures jeudi des notes de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et des procès-verbaux de comparses accusateurs, qui dépeignent Saïd Arif comme un cadre itinérant d’Al-Qaeda. Il a passé douze ans à sillonner le monde sous «dix alias différents».
Marché de Noël. Né à Oran en 1965, de parents agriculteurs, Saïd Arif aurait fait des études secondaires, l’école militaire pour ingénieurs de Béjaïa, aurait servi l’armée à Ouargla, puis déserté fin 1989. Il quitte l’Algérie en 1991, s’installe en Allemagne jusqu’en 1995. Son engagement religieux daterait de cette année-là. Il aurait rejoint la Grande-Bretagne avec son troisième frère Omar (tué depuis en Irak lors de combats contre les forces américaines), fréquenté la mosquée intégriste de Baker Street à Londres, puis intégré le réseau de l’ultrafondamentaliste «Abou Doha». Il part ainsi en Afghanistan l’été 1996 et fait des «stages paramilitaires» jusqu’en 1997. Il habite à Berlin, en 1999 et 2000, un appartement occupé parfois par des islamistes du «groupe de Francfort», qui ont concocté de faire sauter le marché de Noël à Strasbourg : «Il y a des traces de nitroglycérine et des armes dans cet appartement, monsieur, avez-vous des observations ?» demande la présidente. Le hic, c’est que la même magistrate a écrit dans le jugement du réseau de Francfort des mots durs sur Arif, qui la rembarre : «Vous m’avez déjà jugé, j’étais une « grosse pointure », disiez-vous.» Il a échappé aux arrestations outre-Rhin. Selon l’accusation, «il parvient à quitter l’Allemagne, où il se sait recherché, pour la Géorgie», et s’entraîne au Jihad dans la vallée du Pankissi, avant d’essayer de passer en Tchétchénie.
De retour en Europe, Saïd Arif a été contrôlé à l’aéroport de Barcelone, le 22 mars 2002, en compagnie de Nourredine Merabet et de Merouane Benhamed, deux autres pivots supposés du réseau qui fomenterait alors en Espagne des projets d’attentats : «Vous êtes interpellé avec des personnes qui ne sont pas n’importe qui, les connaissez-vous ?», insiste la présidente. Saïd Arif élude : «Sur quelles bases me posez-vous cette question ?» Il dit ne pas comprendre ce qui lui est «reproché en France». Son avocat, Sébastien Bono, a en effet contesté la compétence du tribunal «saisi de faits qui se passent dans neuf pays étrangers, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Autriche, Espagne, Afghanistan, Géorgie, Azerbaïdjan, et Syrie», mais «pas en France».
«Pas le même langage». Enervée par les récriminations juridiques de Saïd Arif et de Me Bono, la présidente s’emporte : «On ne parle pas le même langage, je suis saisie d’un réseau international qui part de la France.» Il a été interpellé en Syrie le 12 juillet 2003, puis extradé en France le 17 juin 2004. Son avocat a demandé à la présidente d’écarter des débats sa «prétendue confession» à Damas, car «ces pièces établies en Syrie ont été obtenues sous la torture» (Libération du 20 mars).
Alors, Saïd Arif se lève et parle au tribunal : «J’ai été torturé. Je devais avaliser les documents qui m’étaient présentés. J’ai été détenu dans le centre Palestine, en Syrie. Il y avait des hurlements. Ils me mettaient assis dans un pneu et me tapaient la plante des pieds avec un câble de télévision. ça fait très mal et ça ne laisse pas de trace. J’ai été mis dans une cave où on attrape la gale, à même le sol avec des rats et des cafards. J’ai été interrogé pendant un an, toujours pareil, dans un pneu. Tout ça pour vous dire que ce dossier m’est complètement étranger.» Il a continué vendredi à accuser la justice française de collusion avec les militaires syriens qui, a-t-il dit, «ont fait le sale boulot pour la France, qui a délocalisé l’interrogatoire en Syrie. Quand ils ont eu fini, ils ont donné le feu vert aux Français» pour le livrer à Paris.
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