Rachid Ramda: Londres refusait son extradition arguant de risques de «traitement dégradant» en France

Ramda, dix ans de bras de fer diplomatique

Londres refusait son extradition arguant de risques de «traitement dégradant» en France

Londres de notre correspondante Armelle THORAVAL, Libération, vendredi 17 février 2006

Ce n’est pas la première fois que surgissent, publiquement, des accusations de mauvais traitements à l’encontre des hommes dirigés en 1995 par le commissaire Marion. Loin s’en faut. Méthodes musclées et soupçons de torture sont au coeur du conflit qui a opposé, durant dix ans, la France et la Grande-Bretagne sur l’extradition de Rachid Ramda, ce que souligne d’ailleurs le livre des journalistes du Point.

Présenté comme le donneur d’ordres de la vague d’attentats qui terrorise la France à partir de juillet, Rachid Ramda, rédacteur d’Al-Ansar, le bulletin clandestin du GIA algérien publié à Londres, est placé sous écrou extraditionnel le 10 novembre 1995. Durant les six ans qui suivront, Londres empêche son extradition. Un blocage politique interprété à Paris comme la preuve du pacte de paix passé avec les islamistes du Londonistan. Il faut attendre les attentats du 11 septembre 2001 pour que ­ sur fond de durcissement de la législation antiterroriste britannique ­ le ministre de l’Intérieur David Blunkett reprenne le dossier et ordonne l’extradition. Ramda fait appel. Fin juin 2002, la procédure échoue : en appel, les deux juges refusent de l’extrader. Ils invoquent le risque de «traitement dégradant».

Interpellation houleuse ou garde à vue musclée ?
Pour comprendre ce blocage, il faut remonter au 1er novembre 1995. Ce jour-là, Boualem Bensaïd, condamné depuis à perpétuité pour sa participation aux attentats de Saint-Michel, du métro Maison-Blanche, du TGV Paris-Lyon et de la station Musée-d’Orsay, est interpellé et conduit dans les locaux de la 6e division de la police judiciaire (DPJ), dans le cadre de l’instruction menée par le juge Bruguière. Le 2 novembre 1995, un médecin constate un «bleu» au front de Bensaïd. Dans la nuit du 2 novembre, un deuxième médecin ne constate rien. Mais le 3 novembre, le docteur Becour, médecin des urgences médico-judiciaires (UMJ) de l’Hôtel-Dieu, relève que Bensaïd a de sacrées marques au visage ­ de fait, il semble avoir été passé à tabac. Le 6 novembre, Valérie Dubois, l’avocate de Bensaïd, commise d’office, rédige une note sur la mauvaise allure de son client, elle la remet au juge Bruguière et lui demande de faire une expertise médicale. Le juge verse la note dans l’un des dossiers. Or c’est le 4 novembre que Bensaïd s’est mis à parler de son comparse londonien, Rachid Ramda. D’autres éléments accusent Ramda, et notamment de petits virements effectués depuis la Western Union d’un quartier du sud-ouest de Londres. Mais les déclarations de Bensaïd sont fondamentales.

A l’époque, il n’y a pas d’expertise médicale. L’avocate ne relance pas le juge. Et Jean-Louis Bruguière «oublie» l’incident. Il aurait seulement affirmé à Valérie Dubois que les «zones substantielles d’ecchymoses» provenaient non pas de la garde à vue mais de l’interpellation houleuse de son client, malgré les premiers certificats médicaux. L’épisode est clos. Jusqu’en 2001. Les nouveaux avocats de Bensaïd ressortent alors l’histoire devant la cour d’assises à Paris. Cela n’aura pas davantage d’effet.

Puis le dossier rebondit à Londres. Certificat médical, note de l’avocate : ces éléments sont transmis aux avocats britanniques de Ramda, qui ont fait appel de l’extradition. Gareth Peirce, figure du barreau britannique et spécialiste des causes impossibles, multiplie les questions : Bensaïd s’est-il fait taper dessus au moment de son interpellation, alors qu’il essayait de s’enfuir, ou bien durant sa garde à vue, pour l’aider à avouer ? Si la mise en cause de Ramda par Bensaïd a été obtenue par la force, que peut redouter Ramda ? Pour la cour d’appel de Londres, il s’agit de comprendre si la justice française fait son travail correctement vis-à-vis des suspects, et si Ramda encourt le risque de prendre des coups lui aussi. Le débat s’engage une première fois en 2002 devant les juges Sedley et Poole, qui refusent l’extradition : ils ont le sentiment que la justice française a menti en 1997 en passant sous silence la note de Me Dubois et les certificats médicaux. Ils estiment que Ramda, «en tant qu’Algérien soupçonné de crimes terroristes, est exposé à un risque de traitement inhumain et dégradant».

«Bensaïd n’a jamais porté plainte pour torture»
Trois ans plus tard, le 15 octobre dernier, après un nouvel ordre d’extradition du Home Office, l’affaire est revenue devant la même cour, cette fois devant les juges Keene et Poole. «Boulaem Bensaïd n’a jamais porté plainte pour torture», attaquait James Lewis, plaidant pour le gouvernement français. Pour calmer les Britanniques, Paris a assuré que le juge Bruguière aurait procédé à des «investigations informelles» ­ une curiosité en droit français. «Il est franchement incroyable que le juge n’ait fait aucune enquête !» s’opposait alors Ed Fitzgerald, plaidant pour Ramda.
Cette discussion sur les méthodes de la police antiterroriste reprendra le 27 février. Ramda, finalement remis à la justice française, doit être jugé devant la cour d’assises de Paris pour association de malfaiteurs. «Cet épisode de la garde à vue retraversera évidemment les débats», notent ses avocats, Guillaume Barbe et Benoît Dietsch. Ce dernier ajoute : «Et qu’on ne vienne pas nous dire que personne n’a jamais rien su de ce qui se passait…»
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